La Revue Droit animal, éthique & sciences a l’immense regret d’informer ses lecteurs de la disparition d’innombrables amis dans des conditions dramatiques.
Le bourdon terrestre
Le bourdon terrestre (Bombus terrestris) a été décimé par dizaines de milliers par un nouveau pesticide, le sulfoxaflor, lancé comme substitut aux poisons cortinoïdes tueurs d’abeilles. En dépit de travaux, pris en référence par l’Union nationale de l’apiculture française, qui démontraient que la neurotoxicité de ce produit (de la famille des sulfoximines) est analogue à celle des néocorticoïdes, l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire) en a autorisé l’utilisation en France, en octobre 2017. Cette décision a été immédiatement contestée. À la demande introduite par L’ONG Générations Futures, le tribunal administratif de Nice a ordonné le 23 novembre 2017, la suspension de l’autorisation de mise sur le marché délivrée par l’ANSES aux insecticides contenant du sulfoxaflor (Closer, Transform), « jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur leur légalité », cela en s’appuyant sur le principe de précaution.
Saisi par la Société Dow Agrosciences, le Conseil d’État a confirmé Le 15 février 2018 la suspension des autorisations de mise sur le marché (AMM) des insecticides Closer et Transform contenant la substance active sulfoxaflor, commercialisés par la société Dow AgroSciences SAS.
Puis le Conseil d’État, le 11 juillet 2018, a pris une décision qui ne va pas dans le sens d’un meilleur accès du public aux informations relatives à l’environnement en rejetant un pourvoi de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) qui réclamait la communication de la position française sur l’autorisation d’insecticides néonicotinoïdes exprimée au sein d’un comité permanent chargé d’assister la Commission européenne, cela au motif que « cette communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France, à la sécurité publique ou à la défense nationale ».
Un travail de chercheurs de l’université Royal Holloway de Londres, publié dans la revue Sciences du 15 août 2018, va éclaircir des idées, en affinant les connaissances sur les conséquences de l’utilisation du sulfoxaflor.
Entre deux et trois semaines après le début de l’expérience, « les impacts négatifs sur l’efficacité de la reproduction des colonies traitées sont apparus ». Dans un premier temps, les ruches exposées ont produit moins de bourdons ouvriers. Ensuite, les colonies de bourdons ont donné naissance à 54% de moins de bourdons capables de se reproduire que dans les colonies témoin, « suggérant que dans un contexte de pollinisateurs sauvages, l’exposition au sulfoxaflor pourrait conduire à des conséquences environnementales similaires aux néonicotinoïdes s’il était utilisé sur des cultures attirant abeilles ou bourdons ». La LFDA soutient la position de l’association Générations Futures estimant qu’il « est grand temps que l’on arrête concrètement de mettre sur le marché tous les insecticides néonicotinoïdes si dangereux pour les abeilles ! » et dénonce « une situation scandaleuse sur la gestion des homologations européennes des matières actives de pesticides qui sont accordées en l’absence de données pourtant essentielles sur la sécurité des produits ».
Rappelons que les insectes pollinisateurs (abeilles, bourdons) assurent la fécondation des fleurs à l’origine de nombreuses productions alimentaires…
De nombreux batraciens
La LFDA déplore également la raréfaction d’innombrables batraciens – grenouilles, crapauds, tritons et autres salamandres –, conduits peu à peu à la disparition par le dérèglement climatique, les sécheresses, l’empoisonnement chimique des milieux humides, l’urbanisation et la restriction des espaces naturels. À quoi s’ajoute la menace de l’extension de champignons pathogènes altérant les fonctions cardiaques et respiratoires, lesquels ont déjà colonisé l’Amérique centrale, l’Australie et l’Afrique.
En France, la rainette verte (Rana arborea) est menacée, ainsi que la grenouille des champs (Rana arvalis). En se nourrissant de nombreux invertébrés, les batraciens contribuent de façon majeure à l’équilibre des écosystèmes, eux-mêmes étant les proies de serpents, d’oiseaux et de petits mammifères.
De nombreux dauphins
Notre Fondation déplore également, et à nouveau, l’extermination de nombreux dauphins, tout au long des côtes françaises. Selon l’ONG Sea Shepherd, chaque année, et particulièrement entre janvier et mars, 6 000 dauphins sont tués, victimes du chalutage au large de la Vendée et de la Charente-Maritime. Ce massacre menace la survie des populations, elles-mêmes affaiblies par la raréfaction de leurs proies surpêchées. L’Observatoire Pelagis (CNRS-La Rochelle) a relevé, sur la période 2000-2009, des pertes comparables (de 2 000 à 8 000 dauphins) dans le golfe de Gascogne et la Manche, et accuse les engins de pêche d’en être la principale cause. Évidemment, le Comité national des pêches se défausse de cette responsabilité. Un groupe de travail agriculture/environnement a été constitué : l’une de ses recommandations est l’utilisation de dissuasions acoustiques propres à éloigner les cétacés des zones de pêche. Personne ne semble avoir noté que ce système va affamer les dauphins, qui se regroupent sur les concentrations de poissons qu’ils repèrent, et qui sont aussi repérées par les sonars des bateaux de pêche… Sea Shepherd conclut en recommandant l’interdiction des pêches au chalut dans certaines zones.
Au consommateur d’agir : il le peut en refusant l’achat de poissons pêchés au chalut. On notera avec ironie que les delphinariums défendent leur rôle de protecteur des espèces en se référant au nombre de morts en mer...
La liste n’est pas close ; elle n’est d’ailleurs pas près de l’être…
Le koala
Voyons du côté de l’Australie, où les koalas sont victimes du déboisement intensif. Soumis à une sécheresse croissante, expulsés de leurs eucalyptus, les koalas divaguent au sol, à la recherche d’arbres qui leur assurent abri et alimentation. Sans défense aucune, ils sont percutés par des véhicules, ou attaqués par des chiens. Affaiblis, assurément angoissés, leur défense immunitaire est amoindrie ; ils deviennent plus sensibles à un agent microbien sexuellement transmissible, la chlamydia, à l’origine d’infection oculaire allant jusqu’à la cécité, et d’infection génitale entraînant une stérilité. Actuellement, la moitié de la population totale serait atteinte, population qui ne comprendrait plus que 45 000 à 90 000 individus sur tout le continent. Un plan de sauvegarde de 25 000 hectares de forêts est envisagé : il est jugé inefficace et hypocrite par les scientifiques, et soumis aux intérêts industriels du déboisement. Rappelons que koala est l’icône nationale de l’Australie…
L'âne
Nous terminerons cette liste funèbre par un exemple assez incongru, celui d’un animal domestique. Il s’agit de l’âne (Equus asinus), et du sort qu’il subit au Kenya.
Depuis plusieurs années, leur nombre décroît considérablement : il n’en reste plus que 900 000 sur le double en 2009. L’âne y est le compagnon inséparable de l’homme rural. Vivant, son sort n’est pas enviable ; corvéable à merci, pliant sous les charges de bois, de sac, de pierres, et sous les coups de baguette. Mais sa fin est honteuse, depuis une demi-douzaine d’années. Après des mises à mort en abattoir (et de quelle façon ?...), les ânes sont dépouillés, et leurs peaux sont expédiées par milliers en Chine à prix d’or, à partir de Mombasa ! Le prix de l’âne a doublé, atteignant 30 000 shillings kenyans, soit près de 250 € ! Ce pactole a généré un trafic florissant : les ânes sont volés partout dans le pays, aux dépens de leur propriétaire, généralement très pauvre, incapable d’acheter un autre animal, aide indispensable pourtant. Mais que fait donc la Chine des peaux d’âne ? Oh ! Ce n’est pas un conte de Perrault ! La peau d’âne sert à fabriquer l’ejiao, une poudre recherchée par les consommateurs de Canton, de Pékin ou de Shangaï, utilisée par la « médecine traditionnelle », et consommée pour combattre l’anémie, la vieillesse, et pour…stimuler la libido.
Cela semble être un problème obsessionnel des Asiatiques, qui pour des raisons psychologiques, ou physiologiques, ou anatomiques, ressentent le besoin de recourir à des stimulants tels que l’os de tigre, la corne de rhinocéros, et la poudre de perlimpinpin, pardon, de peau d’âne. Mais peut-être est-ce réellement actif ? Les Chinois ne sont-ils pas aujourd’hui 1 milliard 400 millions…
du mieux pour le lynx pardelle
Terminons par un brin d’optimisme : en face des disparitions massives d’espèces animales, que l’on désespère de pouvoir freiner, il est ici ou là quelque résultat heureux. Le lynx pardelle, ou lynx d’Espagne (Lynx pardinus) était classé « menacé de disparition » par l’UICN en 2002 : il n’en restait plus qu’une petite centaine dans toute l’Espagne, réfugiée dans des espaces naturels de l’estuaire du Guadalquivir et d’une sierra du nord de l’Andalousie. Il est seulement classé aujourd’hui « en danger » : la population totale est remontée à 600 individus, la majorité en Andalousie.
Ce succès est dû au programme Iberlince, mis en œuvre avec constance et rigueur. Il a fallu trouver et mobiliser des équipes de volontaires, convaincre les grands propriétaires de fincas, ces territoires semi-sauvages où se pratiquent la chasse au grand gibier et l’élevage des taureaux de corrida, obtenir la participation et l’intérêt des locaux. Il a fallu créer trois centres de reproduction, où les jeunes félins, séparés de leur mère après le sevrage, apprennent à chasser le lapin. Il a fallu élever et relâcher 150 000 lapins, le lapin constituant 90 % de l’alimentation du pardelle. Il a fallu mobiliser les écoles : ce fut un succès, les écoliers peuvent suivre les progrès des jeunes lynx. Il faut désormais modérer la fréquentation touristique. Le succès est démonstratif, au point que le fondateur d’Iberlince, Miguel Angel Simon, pense à transposer à Taïwan ce modèle de sauvetage au bénéfice de la panthère nébuleuse. Et le succès démontre aussi que quand on VEUT, on peut. La leçon serait bien souvent à appliquer en France… On retiendra, parce que son opinion rejoint la nôtre, ce que pense Simon du sauvetage du panda : « Ils ont fait du panda géant un business mais n’ont pas essayé de le relocaliser dans son habitat naturel, car c’est ce qu’il y a de plus difficile. »
Sources : Le Monde des 3 mars, 27 juin, 4 juillet, 8, 18 et 27 août ; TéléZ du 20 avril 2018.
Article publié dans le numéro 99 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.