Évidemment, il ne s’agit pas d’apparition d’espèces nouvelles. Cela est du domaine de l’Évolution, laquelle prend son temps pour adapter l’existant à l’environnement : le temps se mesure alors en centaines de milliers d’années. Il s’agit des résultats des expéditions scientifiques lancées partout sur Terre, et des travaux de recherche qui s’ensuivent : des espèces non encore identifiées et répertoriées sont reconnues comme telles ; un nom leur est attribué, suivant le code international en cours, et elles trouvent leur place dans le répertoire des espèces connues.
Ces nouvelles étiquetées sont nombreuses :
C’est la conséquence de la multiplication des expéditions en question, stimulée par la menace avérée d’une disparition de masse, qui emportera certainement nombre de formes du vivant encore inconnues aujourd’hui. Une course est ainsi engagée, non pas entre les espèces connues qui disparaissent et les nouvelles que l’on ajoute au catalogue, mais entre la lenteur des découvertes nouvelles, et la vitesse à laquelle la disparition de masse va progresser.
Les équipes de recherche ne sont pas très nombreuses : le travail des scientifiques a été accéléré et est devenu beaucoup plus précis avec la généralisation des analyses génétiques et des séquençages, les carrières scientifiques sont passionnantes, mais peu recherchées par les diplômés, et d’ailleurs les postes ne sont pas nombreux à être offerts. Les milieux d’un abord difficile sont spécialement visités : Amazonie, Mékong, canopée des forêts équatoriales, où vivent certainement des dizaines de milliers d’espèces d’insectes inconnues. Néanmoins, au total, chaque année, sont ajoutés à la liste des 2 000 000 d’espèces animales connues, quelque 20 000 noms nouveaux, dont 7 000 d’insectes, plusieurs centaines de reptiles, amphibiens et poissons, et seulement une vingtaine de mammifères (qui sont le groupe le moins représenté : 5 760 au total). Ainsi, récemment, une espèce de taupe a pu être distinguée des deux espèces décrites précédemment en France. Plus intéressante a été la « découverte » (la distinction précise, plutôt) en 2017 d’une espèce d’orang-outang différente de l’orang-outang de Sumatra et de l’orang-outang de Bornéo ; elle vit dans un territoire limité de forêt primaire du nord de Sumatra. Le comportement, des particularités anatomiques (mâchoire et dents) ont attiré l’attention. L’analyse génétique a tranché : cet orang-outang est différent, il a été enregistré sous le nom de Pongo tapanuliensis. Sa population totale doit être inférieure à 800 individus, contre 14 000 Sumatra et 104 700 Bornéo ; ce faible effectif oblige à placer l’espèce, à peine identifiée, comme étant en danger critique.
Une découverte intéressante
L’existence d’un troisième orang-outang est particulièrement intéressante : elle nous replonge dans nos propres origines. Restons schématiques et ne remontons pas trop loin dans le passé… pas au-delà de la séparation, à partir d’un tronc commun de singes de l’ancien monde, de deux types distincts : les cercopithécoïdes (de petite taille et munis d’une queue) et les pongidés (singes de grande taille, dépourvus de queue). Différents pongidés s’individualisent peu à peu. L’orang-outang est le premier à se séparer du groupe commun. Il est le plus ancien et le moins proche de nos cousins. Le tronc restant va être commun à ceux qui deviendront gorille, chimpanzé et homme. Il semble que durant assez longtemps soient survenus des échanges génétiques entre ces trois ébauches d’espèces, mêlés dans une population pas encore différenciée, commune aux ancêtres des trois espèces : certains remaniements chromosomiques observables aujourd’hui sont partagés par l’homme et le chimpanzé, d’autres par le chimpanzé et le gorille, mais pas par l’homme. Viendront ensuite l’individualisation des trois branches, et de leurs propres sous-branches, chimpanzé et bonobo, gorille des plaines et de montagne, et les divers « hommes » dont la liste se complète selon les découvertes anthropologiques.
L’affaire du troisième orang-outang est intéressante aussi parce qu’elle montre un parallèle entre la situation actuelle des « pongidés » (deux chimpanzés, deux gorilles, trois orangs-outangs), et celle qui faisait coexister sur Terre, en même temps il y a 100 000 ans, cinq représentants du genre homo : Sapiens, Néanderthal, Fioresiensis, Denisova, et Naledi. Une seule des cinq a subsisté. Des sept pongidés actuels, lesquels vont échapper à la disparition générale ? Et le dernier homo y échappera-t-il ?
Article publié dans le numéro 99 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.