Loïc Gouëllo, indépendant, 2019, 104 pages (7,38€)
Après la publication de deux romans où les hommes évoluaient déjà dans la nature, Loïc Gouëllo, vétérinaire de formation et inspecteur général de la santé publique vétérinaire, donne la parole aux animaux dans un recueil de fables.
Certaines sont directement inspirées des célèbres fables de Jean de La Fontaine, elles en sont même – avec beaucoup d’humour – des reprises actualisées, des prolongements déconcertants. Elles sont drôles, pleines de jeux de mots, et peuvent être grinçantes. La morale n’est plus celle du XVIIe siècle. Elle peut être inattendue. En tout cas, ces fables, dans leur ensemble, portent un regard contemporain sur ce que les hommes ont fait ou font de la Terre et du Vivant, des animaux en particulier mais pas seulement.
Par exemple, dans L’ours et la chenille l’extinction des espèces y est sujet de préoccupation.
Dans Les chiens, l’écureuil et les cors de chasse, la chasse est copieusement ridiculisée, les chasseurs y sont moqués à travers une rébellion imaginaire des cors de chasse avec la complicité solidaire des animaux.
C’est au tour de la pêche de loisir d’apparaître comme une grossièreté dans Le misérable vermisseau.
Les vingt-quatre fables de ce recueil peuvent constituer un très agréable divertissement du lecteur en même temps que, sous des apparences de badinerie, un moyen non violent d’amener l’homme à des remises en question dans son comportement face au Vivant.
La caille et le rat – peut-être la fable qui aura notre faveur – est à sa manière une jolie ode à l’amour.
À lire et à déclamer sans modération !
Michel Baussier
Avec l’autorisation de l’auteur, nous reproduisons ici une des fables :
L’ours et la chenille
L’ours ne s’aperçoit de rien,
Il ne peut pas sentir
Un petit être sans importance,
Qui de son ombilic vient de sortir.
Une minuscule chenille vert tendre, rampe avec élégance,
Dans une épaisse forêt de poils bruns.
Pour atteindre le sol, long est encore le chemin.
Involontaires glissades,
Nombreuses contorsions,
Et la voilà sur une griffe luisante
Prête à sauter,
Sur le plancher ciré.
Une grosse voix grave résonne au-dessus d’elle :
– Où vas-tu si vite petite créature ?
– Je vais rejoindre un champ de choux, que je sais bio, non loin d’ici
– Tu m’as l’air bien informée ?
– Ma famille y est installée depuis plusieurs générations.
Un champ de choux frisés, verts, au goût sucré, sur
Lesquels on se déplace incognito avec voracité.
– J’aurais aimé t’aider, dit le gros animal, mais je ne peux pas me déplacer.
Je suis sur place littéralement cloué
– J’ai vu cela de l’intérieur, dit la chenille avec espièglerie,
On peut même dire que tu es entièrement empaillé.
– Hélas, tu as raison. Tu auras remarqué,
Que je suis bien conservé
Pour mon âge avancé.
Je te suis reconnaissant de m’avoir accordé ton attention,
Les animaux ne me parlent plus,
Aujourd’hui du monde des vivants, je suis définitivement exclu
L’adorable larve gracile se tortille, se retourne et lui murmure :
– Ne t’inquiète pas je reviendrai te voir,
Quand je serai papillon,
Je volerai jusqu’à toi pondre mes rejetons
Dans ton ventre douillet,
Je te montrerai qu’il est encore fécond.
– Comment retrouveras-tu ton chemin ?
– J’ai repéré l’étiquette à tes pieds de géant.
À San Francisco,
Difficile d’oublier de sitôt
Un ours de cet acabit,
Le dernier « grizzli de Californie.»
Moralité
Choisir comme emblème un animal disparu,
N’a rien d’incongru.
Cela le maintient en vie pour l’éternité.
Mais il y a urgence et nécessité
À protéger les espèces menacées
Bientôt il n’y aura pas assez
Ni de drapeaux ni de républiques
Pour faire connaître à nos petits-enfants
Ces animaux antiques.