Quel avenir pour l’axolotl ?

À plusieurs reprises l’avenir menacé des Amphibiens a été évoqué ici (1). Ils sont victimes de l’impact des activités humaines sur leurs écosystèmes et leurs aires de répartition partout dans le monde ; victimes également des perturbations de leur reproduction provoquées par le changement climatiques et de pathologies, telle la plus récente la mycose dévastatrice frappant tant les Anoures que les Urodèles due au champignon Batrachochytrium dendrobatidis. Présentement, c’est l’avenir de l’Urodèle Ambystoma mexicanum bien connu sous le nom d’axolotl qui suscite des interrogations. L’axolotl est une espèce néoténique qui ne se métamorphose pas ; aquatique permanente, elle croît et se reproduit en conservant l’aspect larvaire et notamment ses trois paires de branchies externes. Comme l’expose de façon très documentée un article récent, l’axolotl présente une situation paradoxale. En effet, l’espèce est menacée d’extinction dans le district de Xochimilco, son lieu d’origine proche de la ville de Mexico, alors même qu’elle est très répandue dans le monde, dans des laboratoires de biologie, dans des vivariums présentés au public ou dans des élevages chez des particuliers aquariophiles.

C’est en 1863 que les premiers axolotls ont été introduits en Europe. Installés au Muséum d’Histoire naturelle par le professeur Auguste Duméril, 34 animaux (dont un blanc) provenant du lac Xochimilco ont constitué une première colonie à partir de laquelle ont diffusé d’autres élevages. C’est à partir de cette colonie initiale qu’a été créée une race blanche d’axolotl (2). En 1935, quelques individus provenant d’un élevage polonais ont été introduits en Amérique du Nord, à l’origine d’un élevage à l’université de Buffalo, New York aboutissant à terme au centre d’élevage majeur actuel à l’université du Kentucky à Lexington dirigé par R. Voss ; élevage qui comprend 2 000 adultes et entre 3 000 et 5 000 larves. Comme signalé ci-dessus, il convient d’ajouter les innombrables élevages publics et privés dispersés dans le monde.

Facile à élever et à faire reproduire en captivité, l’axolotl est un matériel de choix dans de nombreux domaines de la biologie expérimentale, tout particulièrement en raison de ses étonnantes capacités de régénération des membres, de la queue, de différents organes et des parties de l’œil ou du cerveau. Un ouvrage synthétique qui lui a été consacré en fournit la preuve. Il possède des cellules de très grande taille, ses ovocytes et ses œufs fécondés sont commodes pour effectuer des micromanipulations. Le développement initial de ces derniers est relativement lent par rapport à celui chez d’autres espèces et, de plus, ralenti par un conditionnement à basse température, il favorise la réalisation de recherches biochimiques qui ont permis de mettre en évidence des activités de synthèse singulières très précoces dès le début du développement. De nombreuses interventions de microchirurgie réalisées sur les embryons ont contribué au progrès de la biologie du développement. Celles de Humphrey ont permis d’élucider les mécanismes de la détermination du sexe chez cette espèce. De 1960 à 1978, cet auteur, seul ou associé, a isolé et décrit de nombreuses mutations de l’axolotl.

© Alain Collenot

Parmi les mutations pigmentaires de l’axolotl, la mutation albinos représente un outil de marquage cellulaire naturel commode pour réaliser des greffes de microchirurgie embryonnaire. Les cellules des individus homozygotes porteurs de cette mutation sont incapables de synthétiser la mélanine qui est présente sous la forme de grains noirs dans le cytoplasme des mélanocytes. La figure 1 assemble un individu sombre du phénotype sauvage habituel de l’axolotl et un individu du phénotype albinos dépourvu de toute mélanine mais portant des iridophores réfléchissants au niveau des yeux et des xanthophores contenant du pigment jaune sous la peau. Sur la figure 2, un individu du phénotype sauvage sombre accompagne un individu du phénotype white, blanc. Cette dernière mutation entraîne chez l’embryon une altération de la matrice extracellulaire qui empêche la différenciation et la migration des futures cellules pigmentaires qui, à partir de la région dorsale du tube neural, se répartissent normalement sur le corps de l’animal. En revanche, les cellules pigmentaires de la rétine qui ont une origine différente et se différencient au niveau de la vésicule optique (ébauche de l’œil) synthétisent de la mélanine de telle sorte que l’individu white non pigmenté porte des yeux sombres. La figure 3 représente une ponte issue d’un couple albinos ; les embryons dépourvus de mélanine et parfaitement blancs amorcent ici la phase de la formation du tube neural, ébauche de l’encéphale et de la moelle épinière (neurulation), accompagnée de l’allongement du corps. Toutes les cellules issues d’un greffon albinos placé sur un « receveur » sombre seront identifiables ultérieurement et vice-versa.

L’étude de la régénération parfaite des membres après blessure ou amputation a été l’objet de multiples travaux, notamment pour identifier quelles cellules vont constituer le blastème de régénération à partir duquel s’édifie le nouveau membre et comment vont se mettre en place les axes de polarité proximo-distale, antéro-postérieure et dorso-ventrale de celui-ci. L’analyse moléculaire des mécanismes de la régénération peut maintenant être engagée car grâce à des techniques d’ingénierie génétique, le génome de très grande taille de l’axolotl (32 milliards de paires de bases) qui représentait un obstacle pour ce type d’approche a été assemblé. Cela devrait faciliter l’enquête sur les gènes qui interviennent dans la régénération. Ainsi, les auteurs ont identifié le rôle potentiel, dans le blastème de régénération de certaines protéines de la surface cellulaire. En outre, ils ont constaté que le gène du développement Pax3 est absent mais que le gène Pax7 qui est présent assure à la fois les fonctions de Pax3 et Pax7. Des recherches avaient par ailleurs montré que, dans le blastème, les cellules satellites exprimant Pax7 contribuent de façon majeure à la formation des muscles.

Les progrès que promettent de tels résultats renforcent l’intérêt de l’axolotl comme modèle pour l’étude de la régénération en ce qui concerne la médecine réparatrice et sa mise en œuvre dans l’espèce humaine. Mais de quel axolotl s’agit-il ? Au gré des différentes implantations des élevages, à chaque étape, c’est un nombre relativement restreint d’animaux qui constituent le lot initial porteur d’une diversité génétique limitée. Dès la première introduction en Europe, le lot des 34 animaux portait un échantillon du pool de gènes présent à cette époque dans la population des axolotls de Xochimilco. Il en va ainsi à chaque étape de la dissémination dans les différents élevages. Dans chacun de ceux-ci, la reproduction en circuit fermé conduit à une consanguinité qui n’est pas nécessairement bénéfique et qui risque de biaiser les protocoles expérimentaux. Étant donné que la population des axolotls de Xochimilco est menacée d’extinction à la fois par la pollution des eaux et par des poissons prédateurs (carpe et tilapia) qui ont été introduits, il apparaît indispensable d’organiser coopérativement la reconstitution artificielle d’une population d’axolotls en partant de géniteurs issus de différents élevages présents dans le monde (la connaissance du génome permettrait de les choisir judicieusement et non au hasard) afin d’obtenir la plus grande diversité génétique possible dans cette nouvelle population. La réalisation concrète d’une telle démarche est-elle utopique ?

Alain Collenot

1. Droit Animal, Éthique & Sciences, 2009, n° 61, 62, 63 ; 2011, n° 68, 69 ; 2015, n° 84 ; 2017, n° 95.

2. Duméril, A.H.A. 1870. Création d’une race blanche d’Axolotl à la ménagerie des reptiles du Muséum d’Histoire naturelle, et remarques sur la transformation de ces batraciens. C. R. Acad. Sci. Paris, 70, 7823-785.

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