Sauvons les baleines disent les économistes

Ou « Quand le FMI vient au secours des baleines » comme le titre le média Actu-Environnement.

Point de militantisme à l’horizon, même si un peu d’éthique ne fait jamais de mal : il s’agit de la constatation, dans un article de septembre 2019, de deux membres de l’Institute for Capacity Development du Fonds monétaire international (FMI) et de deux universitaires. Le constat : pas besoin de high-tech coûteux et imprévisible pour sauver la planète, utilisons le no-tech, ou plus exactement le earth-tech (technologie de la Terre). L’idée est simple : les baleines participent à la captation du CO2 atmosphérique ; pour notre survie, protégeons ces géants des mers.

Un cycle de vie « ecofriendly »

Le dioxyde de carbone (CO2) constitue moins de 0,1 % du volume de notre atmosphère. Et pourtant, l’augmentation de sa concentration contribue fortement au réchauffement climatique via l’effet de serre. Au début du XXe siècle, sa concentration augmentait déjà mais restait en dessous de 300 parties par million de molécules d’air (ppm) ; elle dépasse les 400 ppm aujourd’hui. Pour préserver la biodiversité sur Terre, et parce que la survie de notre propre espèce est en question, beaucoup d’efforts sont réalisés pour faire baisser la concentration de ce gaz dans l’air.

Plusieurs études scientifiques démontrent l’intérêt des grands cétacés dans la capture du CO2 de l’air, soit directement, soit indirectement à travers le maintien des populations de phytoplancton. Ces petits organismes végétaux marins sont responsables de plus de 50 % de la production de l’oxygène de l’air en capturant près de 40 % de tout le CO2 produit. Indispensables, donc.

Les baleines entretiennent les populations de phytoplancton grâce au Whale Pump (la « pompe baleine ») : elles se nourrissent en plongeant, quelquefois assez profondément, puis remontent à la surface respirer – d’où le mouvement de « pompe ». Ce faisant, elles larguent en surface leurs déjections, riches en nutriments tels l’azote et le fer dont se nourrit le phytoplancton. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » avait noté le célèbre chimiste Lavoisier.

Un second mouvement exécuté par beaucoup de populations de baleines est le Great Whale Conveyor Belt (le « carrousel des grandes baleines »). Il s’agit du mouvement migratoire effectué entre les aires riches en nourriture où les baleines font leurs réserves l’été (dans la partie proche des pôles de chaque hémisphère) et les aires plus pauvres en nutriments où les baleines se reproduisent l’hiver (plus proches de l’équateur). Ainsi, elles enrichissent les eaux pauvres en nutriments, ce qui permet là encore de stimuler la croissance du phytoplancton.

Les auteurs de l’article estiment que si nous permettions aux populations de baleines de revenir à leurs chiffres pré-chasse à la baleine – c’est-à-dire si elles étaient trois ou quatre fois plus nombreuses qu’aujourd’hui, soit 4 à 5 millions d’individus –, cela permettrait de multiplier la quantité de phytoplancton dans nos océans. Au minimum, une augmentation de 1 % de la productivité du phytoplancton correspondrait au « travail » de captage du CO2 de deux milliards d’arbres, soit des centaines de millions de tonnes de CO2.

Plus directement, comme chaque être vivant, les baleines sont constituées elles-mêmes de molécules de carbone. Leur grande taille et leur longue espérance de vie en font des super capteurs de carbone. Lorsqu’elles meurent, elles emportent avec elles en moyenne l’équivalent de 33 tonnes de CO2 au fond de l’océan. Un arbre absorbe à peine plus d’un kilogramme de CO2 par an.

Comment faire bouger les lignes ? (de pêche…)

Sur le principe, tout le monde sera d’accord sur le fait que c’est une idée formidable. Mais concrètement, comment faire face aux coûts inévitables de leur protection ? En effet, les dangers impactant leur survie sont nombreux : collisions avec des bateaux qui croisent leurs territoires, bruit, pollution par les plastiques (on voit de plus en plus d’échouages de baleines le ventre plein de déchets plastiques), piégeage dans des filets de pêche…

Les auteurs citent la tragédie des biens communs (ou tragédie des communaux) qui touche les « biens publics ». Les baleines ne sont pas des « biens » mais la démonstration est valable : la survie des baleines bénéficierait à tout le monde, mais elles n’appartiennent à personne en particulier, et donc personne ne se sent motivé pour faire plus d’efforts que tout le monde. Résultat, il est plus facile de continuer à se comporter comme nous le faisons, égoïstement, parce que l’on ne veut pas être les imbéciles qui se sacrifient pour les autres, malgré le déclin des baleines et donc du « bien commun ».

Les auteurs suggèrent qu’il faudrait réussir à démontrer que les bénéfices d’une protection efficace des baleines seraient bien plus importants que les coûts. Entre autres : le rôle des baleines dans l’écosystème marin permet d’accroître les stocks de poissons, l’industrie touristique d’observation des baleines rapporte plus de deux milliards de dollars américains par an, etc.

Mais quelle institution aurait la charge de la coordination de cette protection ? Un programme de type ONU-REDD pourrait permettre de financer les coûts. Des aides pourraient compenser la modification des routes de navigation par exemple. Les auteurs citent également le Fonds pour l’environnement mondial (FEM)*, le FMI, ou encore la Banque mondiale. Pour eux, la protection des grandes baleines devrait être intégrée à l’Accord de Paris signé en 2015 par 190 pays. De toute urgence.

Sophie Hild

* « [P]artenariat regroupant 18 organisations et 183 pays qui a pour mission de s’attaquer aux grands défis environnementaux mondiaux (biodiversité, changement climatique, dégradation des terres, produits chimiques et eaux internationales). Le FEM accorde des dons aux pays afin qu’ils relèvent ces défis tout en contribuant à la réalisation d’objectifs de développement clés tels que la sécurité alimentaire. »

Lire aussi: Les baleines franches victimes du réchauffement climatique

Voir aussi pour plus d’information :

ACTUALITÉS