L’expérimentation animale est encore considérée comme indispensable à la recherche scientifique car les alternatives permettant d’éviter l’utilisation d’animaux ne sont pas en mesure de remplacer l’ensemble des procédures réalisées sur les animaux. Cependant, des nouvelles technologies sont imaginées et mises au point par des chercheurs.
Le prix de biologie Alfred Kastler que remet la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) l’atteste : le progrès technologique est en cours. En plus de la difficulté d’imaginer puis de mettre au point des méthodes de remplacement de l’animal qui soient efficaces, d’autres obstacles majeurs à leur développement sont la dissémination des alternatives existantes et de leurs résultats, ainsi que leur financement.
Or, l’article 58 de la directive européenne 2010/63/UE sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques dispose que « Le cas échéant et en concertation avec les États membres et les parties intéressées, la Commission procède à des réexamens thématiques périodiques de l’application du principe de remplacement, de réduction et de raffinement dans le cadre de l’utilisation des animaux dans des procédures, en accordant une attention particulière aux primates non humains ainsi qu’à l’évolution des techniques et aux nouvelles connaissances scientifiques et en matière de bien-être des animaux » .
Ce mécanisme de réexamen thématique pourrait permettre de faire progresser concrètement le remplacement d’animaux utilisés pour la recherche scientifique, notamment en surmontant les obstacles précédemment évoqués. Pourtant, il n’a pour l’instant jamais été utilisé par la Commission européenne.
À l’origine de ce mécanisme
Ce procédé a été proposé à la Commission européenne et au Parlement européen lors de la révision de la précédente directive de 1986 sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques par l’ONG britannique Animal Defenders International (ADI). Par cet amendement, l’idée d’ADI était de permettre un examen critique et systématique de la justification scientifique de certaines procédures expérimentales afin par exemple de déterminer si des alternatives existent ou bien si ces tests sont inutiles car de pertinence limitée. Cela pourrait permettre une évolution plus rapide de la réglementation dans certains domaines, sans recourir à, ni attendre une révision globale de la directive.
Le potentiel de ce mécanisme a été reconnu par le Parlement européen qui a adopté la directive en y incluant le concept de réexamen thématique. Malheureusement, 7 ans après l’entrée en vigueur de la directive en 2013, aucun réexamen thématique n’a été ne serait-ce que proposé.
L’intérêt des réexamens thématiques
Ce mécanisme permet d’évaluer l’état des progrès scientifiques dans un domaine donné, ou la pertinence d’un modèle animal pour des procédures expérimentales, ou encore la pertinence d’un test réalisé sur animaux au regard des résultats qu’il a déjà fourni ou des alternatives qui existent. En fonction de l’analyse qui en ressort, un plan stratégique peut être mis en place pour, par exemple, supprimer l’utilisation d’animaux dans un domaine (comme ce qui a été fait pour les cosmétiques dans l’Union européenne), ou interdire l’utilisation d’un modèle animal pour certaines ou toutes les expériences, ou encore interdire la pratique d’une procédure sur tous les animaux. Ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres à imaginer.
Lors de la révision de la directive de 1986, la LFDA a tenté de faire inclure les céphalopodes et les crustacés décapodes (crevettes, homards) dans le champ de la nouvelle directive pour qu’ils soient protégés. Cela a fonctionné pour les céphalopodes, mais pas pour les décapodes. Ainsi, en 2017, des membres de la LFDA ont envoyé un dossier aux ministères de l’Agriculture, de la Recherche et de l’Environnement au sujet de l’utilisation des décapodes à des fins scientifiques, en basant leur requête sur le processus de réexamen thématique. En effet, un réexamen thématique concernant la sensibilité des décapodes devrait permettre de les inclure parmi les catégories d’animaux protégés par la directive sur l’expérimentation animale, au motif que des résultats scientifiques soutiennent avec une probabilité forte la capacité de ce groupe de crustacés à ressentir la douleur. Pour l’instant, ils ne sont pas protégés par la directive ; les expériences sur ces animaux ne sont donc pas réglementées, ce qui peut mener à des expériences extrêmement douloureuses, voire cruelles, sans prises en charge de la douleur de l’animal, ou à des conditions d’hébergement précaires.
Le fonctionnement de ce mécanisme
N’ayant jamais mis en œuvre ce mécanisme de réexamen thématique, la Commission européenne n’en a pas établi les contours. À l’origine de ce mécanisme, ADI s’est chargé d’imaginer son fonctionnement.
Pour l’ONG, la demande pourrait être proposée par la Commission européenne, un État membre de l’UE ou même d’autres acteurs ayant un intérêt à enclencher un tel processus visant à mettre progressivement un terme à des tests sur animaux, telles que des ONG de protection animale, des organisations scientifiques, etc.
La première étape consisterait pour l’un de ces acteurs à émettre un appel à candidature ouvert à toutes les parties prenantes en lien avec l’expérimentation animale pour proposer un thème d’utilisation de l’animal à réexaminer. Ce processus devrait également être ouvert aux organisations ou scientifiques ne travaillant pas avec des animaux. Toute candidature devrait inclure les raisons de cette proposition, par exemple :
- l’existence de méthodes substitutives à l’utilisation de l’animal dans ce domaine ;
- des preuves que le modèle animal n’est pas fiable ;
- un manque évident de bénéfices de cette recherche pour l’humain ;
- une méthode qui n’est quasiment plus utilisée et/ou interdite dans certains pays ;
- l’identification des obstacles et les solutions pour les contourner.
La deuxième étape consisterait à choisir le ou les candidat(s) dont la ou les proposition(s) ont le plus de chance d’aboutir à un remplacement total de l’animal. La sélection devrait être effectuée par un comité d’experts indépendants, libres de tout conflit d’intérêt. Le comité d’experts choisirait une ou plusieurs propositions spécifiques, réalistes et atteignables. Une fois le candidat sélectionné, le comité d’experts indépendants conduirait une analyse en profondeur de la proposition, en rassemblant plus d’informations et en consultant des experts du domaine, y compris des experts en méthodes alternatives. Une analyse précise des obstacles (scientifiques ou bien économiques, sociétaux, etc.) et des solutions pour les surmonter devrait être réalisée. Cette analyse résulterait en la publication d’un rapport avec des recommandations et des propositions d’actions avec un calendrier.
La troisième étape comprendrait la mise en œuvre d’une stratégie pour parvenir à la réussite de la proposition de remplacement de l’utilisation de l’animal. Cette stratégie pourrait être établie sur plusieurs mois à plusieurs années, en fonction de la nature des obstacles à surmonter (exemple : la disponibilité des méthodes substitutives). Elle devrait être pragmatique, avec des objectifs atteignables et des échéances réalistes. Plusieurs types d’actions pourraient être menés, tels qu’une réaffectation des financements, des modifications législatives ou réglementaires, la dissémination de l’arrêt de cette utilisation particulière de l’animal à tous les acteurs concernés, etc.
ADI insiste sur la nécessité de se focaliser sur le premier « R » de la règle des 3R (1) applicables à l’utilisation de l’animal en laboratoire : le remplacement de l’utilisation de l’animal. Le remplacement nécessite une réflexion globale avec des compétences et une vision multidisciplinaire qu’un utilisateur d’animaux ne peut pas toutes posséder. Cela n’est pas vrai pour les deux autres « R », que le porteur du projet d’expérimentation animale peut mettre en œuvre plus facilement avec les connaissances qu’il possède et la réglementation existante.
Conclusion
Dans la directive européenne, il est indiqué que « l’objectif final [est] le remplacement total des procédures appliquées à des animaux vivants à des fins scientifiques et éducatives » (considérant 10). Les réexamens thématiques seraient un moyen concret et transparent pour progresser volontairement vers cet objectif. Reste à les mettre en œuvre.
Nikita Bachelard
1. 3R : remplacer les animaux par des méthodes alternatives, réduire le nombre d’animaux utilisés pour une expérience et améliorer (refine en anglais) les méthodes d’expérimentation sur les animaux et leurs conditions d’hébergement.