Le label «MSC pêche durable» accusé de greenwashing

En mai dernier, l’ONG Bloom, qui se bat contre la surpêche, a épinglé le label Marine Stewardship Council (MSC) « Pêche durable ». Dans une étude réalisée en collaboration avec des chercheurs nord-américains et publiée dans la revue Plos One, Bloom accuse le plus grand label « durabilité » du secteur de la pêche de tromper les consommateurs.

Alors que la majorité des supports de communication du MSC nous montre des images de petite pêche côtière, le MSC certifierait majoritairement des pêcheries « aux antipodes de la pêche durable ». Dans un rapport qui vulgarise les principaux éléments de leur étude, l’ONG qualifie le label MSC de véritable imposture. Et Frédéric Le Manach, directeur scientifique de Bloom, de commenter : « Aujourd’hui, nous ne croyons plus du tout au MSC. Ça a été le cas par le passé mais ses dérives sont aujourd’hui irrécupérables. Le MSC est devenu un frein à la pêche durable. En servant de bouclier marketing aux industriels de la pêche mondiale, le MSC empêche aujourd’hui toute possibilité de changement structurel du secteur de la pêche en légitimant les pires pratiques. »       

Qu’est-ce que le label MSC ?

Le Marine Stewardship Council est à l’origine une association à but non lucratif née d’un partenariat entre le groupe agro-alimentaire Unilever et l’ONG écologiste World Wildlife Fund (WWF) en 1997 dans le but de favoriser la pêche durable via la création d’un écolabel.

Le terme « pêcherie » peut revêtir différents sens en sciences halieutiques. Cependant, au sens du MSC, le terme « pêcherie » est utilisé pour désigner les entités candidates à la certification. Ces « unités de certification » recouvrent l’ensemble formé par la pratique d’une flotte de pêche donnée, opérant dans une zone géographique donnée, avec un engin de pêche donné pour cibler un ou plusieurs stocks donnés. Au sein d’une espèce, un « stock » correspond à une population quasi-indépendante génétiquement, située et définie sur un territoire géographique. L’état écologique des différents stocks d’une même espèce est indépendant : la même espèce peut comprendre des stocks en parfait état et des stocks effondrés. Parfois, les « pêcheries » au sens du MSC sont très précises comme la pêcherie de homards aux casiers dans les îles anglo-normandes. Parfois, les contours de l’unité certifiée sont beaucoup plus flous comme la pêcherie multi-spécifique de la Mer du Nord.

Les trois principes généraux revendiqués par le MSC pour définir la durabilité d’une pêcherie sont les suivants :

  1. les stocks ciblés doivent être durables – la pêcherie doit cibler des populations en bon état de conservation sans porter atteinte à leur pérennité ;
  2. l’impact environnemental doit être minimisé : les méthodes utilisées doivent permettre le maintien de la structure, de la productivité, des fonctions et de la diversité de l’écosystème dans son ensemble ;
  3. la gestion de la pêcherie doit être efficace : la pêcherie doit respecter les lois en vigueur et doit être gérée efficacement via un cadre institutionnel.

Le processus de certification comprend plusieurs étapes. La pêcherie souhaitant être certifiée fait appel à un consultant extérieur qui sera chargé d’expertiser la conformité de la pêcherie avec les critères de durabilité du MSC. Si la pêcherie est jugée conforme, le processus prévoit alors une période où d’éventuels opposants à la certification de cette pêcherie peuvent se manifester. Les opposants peuvent déclencher une procédure d’objection : un arbitre extérieur est alors sollicité pour réaliser une contre-expertise qui décidera de la conformité ou de la non-conformité de la pêcherie avec les critères de durabilité du MSC. S’il n’y a pas d’objection ou si la procédure d’objection échoue, la pêcherie est alors certifiée, et le MSC touche un pourcentage sur la vente des produits labellisés. La certification vaut alors pour 5 ans, période durant laquelle le consultant ayant réalisé l’expertise initiale conduit des audits annuels pouvant aboutir à la suspension de la certification en cas de manquement.

Le label MSC est devenu le leader des écolabels dans le domaine de la pêche, certifiant 15 % des captures mondiales en 2019. Le MSC a annoncé son objectif de certifier 30 % des captures mondiales d’ici 2030. Le nombre de pêcherie certifiée MSC dans un pays est même utilisé comme un indicateur du respect des objectifs de durabilité fixés par la Convention sur la diversité biologique.

Un fossé entre image et réalité

La méthodologie suivie par Bloom dans son étude est simple. Les auteurs ont rigoureusement comparé les méthodes de pêche représentées sur les supports de communication utilisés par le MSC sur les réseaux sociaux, à la réalité des pêcheries certifiées par l’écolabel.

Deux jeux de données ont été analysés : d’une part, les 399 photos utilisées par le MSC sur Facebook et dans ses rapports publics depuis 2009, et d’autre part, l’origine de toutes les prises certifiées MSC entre 2009 et 2017.

Les méthodes de pêche ont été catégorisées selon 2 critères. La première catégorisation repose sur le type d’engin de pêche. Les engins peuvent être actifs (c’est-à-dire traînés activement pour attraper les poissons à la manière d’un filet à papillon) ou passifs (les proies s’empêtrent alors d’elles-mêmes dans les filets). Les engins actifs sont généralement considérés comme ayant un impact négatif supérieur aux engins passifs, à la fois en termes de pressions sur les écosystèmes marins, mais aussi en termes de carburant nécessaire et donc d’émissions de gaz à effet de serre. La deuxième catégorisation distingue la « petite pêche côtière » définie par l’Union européenne comme étant réalisée par des navires de moins de 12 m utilisant des engins passifs, de la pêche « à grande échelle ».  Cette dernière catégorie inclue la « pêche intermédiaire » comprenant les bateaux de plus de 12 m utilisant des engins passifs, et la « grande pêche industrielle » comprenant les bateaux entre 12 et 144 m utilisant uniquement des engins actifs. La petite pêche côtière étant évidemment considérée comme plus durable que la pêche à grande échelle.

Sur l’ensemble des supports de communication analysés, 49 % représentaient des bateaux de petite pêche côtière, alors que la « petite pêche côtière » ne représente que 7 % des prises certifiées MSC. La « pêche à grande échelle » était représentée dans 47 % des photos alors qu’elle représente 93 % des prises certifiées MSC, dont 83 % de « grande pêche industrielle » et 10 % de « pêche intermédiaire ». Ainsi, la proportion des photos représentant la « petite pêche côtière » dans les supports de communication MSC est presque 7 fois plus élevée que ce que ce type de pêche représente réellement dans les volumes certifiés, et 2,4 fois plus élevée que ce que ce type de pêche représente en nombre de pêcherie certifiées.

Même constat concernant les engins de pêche : 64 % des photos représentent des bateaux utilisant des engins passifs alors que seules 17 % des prises certifiées ont été pêchées avec des engins passifs. Les bateaux avec des engins actifs étaient représentés sur 32 % des photos alors que 83 % des prises certifiées MSC ont été capturées avec des engins actifs. Ainsi, la proportion des photos représentant des bateaux pêchant à l’aide d’engins passifs dans la communication du MSC est presque 4 fois plus importante que ce que ce type d’engins représente réellement dans les prises certifiées, et 1,6 fois plus importante en termes de nombre de pêcheries certifiées.

Sur 11,6 millions de tonnes de prises issues des 210 pêcheries certifiées MSC au 31 décembre 2017, 9,8 millions sont issues de pêche réalisée avec des engins actifs, et 10,7 millions sont issus de pêche « à grande échelle ».

La question de la durabilité des pratiques de pêche revêt des subtilités plus complexes que la catégorisation entre engins actifs et passifs, et entre « petite pêche côtière », « pêche intermédiaire » et « grande pêche industrielle ». D’autres facteurs tels que la sélectivité des engins en termes d’espèce et de maturité des poissons prélevés, la vitesse de reproduction des espèces ciblées, l’état écologique des stocks, l’impact sur les espèces non ciblées mais dépendantes de l’espèce ciblée, l’impact sur les habitats, la période de l’année à laquelle est conduite la pêche, la zone géographique ciblée, la pollution sonore générée par les bateaux, les problèmes de filets abandonnés en mer, ainsi que des considérations économiques et sociales entrent en compte. De même, la taille des bateaux est un indicateur qui doit être contextualisé : un bateau de plus de 12 m peut potentiellement avoir des pratiques durables. Le recours à ce système de catégorisation a d’ailleurs été la principale critique du MSC en réaction à l’étude de Bloom : « En tant qu’ONG scientifique, nous savons que la durabilité environnementale de la pêche ne se mesure ni à la taille d’un bateau, ni à son engin de pêche. Tous les engins de pêche, peuvent avoir des impacts négatifs sur la biodiversité marine s’ils sont mal gérés. L’important est de s’assurer que quel que soit l’engin et la taille du bateau, il soit géré et utilisé de façon à respecter les stocks, les habitats et toutes les espèces marines environnantes. ».

Cependant, Bloom estime que sa catégorisation permet tout de même de dégrossir l’analyse d’un ensemble complexe de données, laissant entrevoir un fossé entre réalité et communication.

Un ensemble de critiques

Bloom considère que les critères utilisés, sont particulièrement laxistes. En termes de méthodes, seules la pêche à l’explosif et la pêche au poison (notamment la tristement célèbre pêche au cyanure) seraient exclues. Des méthodes lourdes d’impact comme les chaluts de fonds et les dragues, qui abîment les fonds marins, peuvent faire l’objet d’une certification. Les plus grands navires-usines d’Europe, longs de 144 m, peuvent eux aussi être certifiés.

L’ONG dénonce également le fait que les consultants extérieurs chargés d’expertiser la conformité d’une pêcherie aux critères de certification soient rémunérés par la pêcherie elle-même. Le consultant se retrouverait donc en situation de conflit d’intérêt, et ce d’autant plus que si la pêcherie est certifiée, le consultant obtient alors le contrat de réalisation des audits annuels pendant les 5 années de certification.

Enfin, la procédure d’objection à la disposition des ONG pour contester la certification d’une pêcherie serait insatisfaisante. Les chiffres sont assez parlants : sur les 32 procédures d’objection menées entre 1997 et 2012, seules 2 ont abouti. Le coût pour déclencher la procédure doit être pris en charge par l’organisme à l’origine de l’objection. Fixé à environ 16 000 euros avant 2010, le coût est aujourd’hui abaissé à environ 5 500 euros. Ce coût reste malgré tout jugé dissuasif par Bloom. De plus, les contre-expertises en cas de procédures d’objection seraient elles aussi sujettes à des conflits d’intérêts. En effet, le consultant chargé de réaliser l’expertise est désigné et rémunéré par le MSC. Or, touchant des pourcentages sur chacune des ventes de ses produits certifiés, le MSC a un intérêt financier à voir ses volumes certifiés augmenter. Les pourcentages touchés sur les ventes auraient rapporté 25 millions au MSC en 2019, soit 80 % de ses revenus. Et en 2020, une enquête aurait révélé que le MSC posséderait 40 millions d’euros en avoirs nets, ce qui fait dire à Bloom que le MSC est « un objet capitaliste classique très éloigné d’une association à but non lucratif ».

Le revirement du WWF

Ce n’est pas la première fois qu’une ONG écologiste s’attaque au label MSC. Même le WWF, pourtant membre fondateur du label, exprime aujourd’hui des critiques fortes. En 2015, le WWF avait manifesté son opposition à la certification de pêcheries pratiquant le chalutage en eau profonde. En 2016, il s’était opposé à la certification d’une pêcherie d’empereurs – une espèce d’eau profonde – en Nouvelle-Zélande. En janvier 2018, le WWF avait exhorté le MSC d’adopter des réformes clés dans sa procédure de certification, déclarant alors : « Bien que le WWF se félicite de l’engagement du MSC à agir pour apporter diverses améliorations, il y a des domaines clés dans lesquels nous pensons qu’il doit accomplir des progrès rapides et clairs. Il s’agit notamment de veiller à ce que le processus d’évaluation des pêcheries par des tiers, qui vise à octroyer des certifications, soit indépendant, objectif et étayé scientifiquement. Le standard devrait également intégrer les meilleures données scientifiques disponibles pour vérifier les évaluations de durabilité des pêcheries déjà certifiées. Le MSC doit préserver les espèces en danger, menacées et protégées, ainsi que les écosystèmes, et s’aligner sur les objectifs des aires marines protégées. »

Le ton s’est durci en avril dernier à la suite de la publication de son nouveau référentiel de certification par le MSC. Le WWF déclare alors que « les améliorations globales attendues ne sont pas au rendez-vous » et qu’aucun progrès significatif n’a été fait concernant les réformes demandées sur « l’impartialité totale des instances d’évaluation, la place à accorder aux débats scientifiques dans la procédure, la prise en compte explicite du principe de précaution et des considérations d’ordre social ainsi que des délais clairs et contraignants pour les mises en conformité ». Et John Tanzer, responsable Océan au WWF International, de déclarer : « Plutôt que de fixer un agenda ambitieux, ce document constitue une véritable fuite en avant. » Le WWF a déposé 17 objections aux certifications MSC et appelle les consommateurs et distributeurs à se détourner de certaines des pêcheries labellisées MSC en particulier les pêcheries de chalut de fond conjointes en mer du Nord, la pêcherie de thon tropical du Pacifique nord-est, le thon listao de l’océan Indien, de l’armement espagnol Echebastar et la pêcherie de thon rouge de l’Atlantique.

La fondation hollandaise Changing Markets avait elle aussi émis des doutes en 2018 sur la réalité des promesses de durabilité du label MSC dans un rapport ayant analysé les engagements de plus de 400 écolabels.

Greenpeace elle aussi s’est attaquée au label MSC. En 2016, l’ONG a mené une campagne contre le groupe Thai Union, propriétaire de la marque Petit Navire, pour demander la fin de l’utilisation des dispositifs de concentration de poissons (DCP). Cette méthode est en effet caractérisée par une faible sélectivité menant à des captures de thons juvéniles ne s’étant pas reproduits et à de fortes prises accessoires relâchées en plus ou moins bon état, après la capture. Cette pêcherie aux DCP sur les thons tropicaux en océan indien était pourtant labellisée MSC « pêche durable ». Brendan May, ancien directeur du MSC, avait alors partagé sur son blog personnel un rapport non publié du WWF auquel il a eu accès via des fuites internes. Le rapport décriait les « troublants défauts systémiques du schéma MSC » et concluait que le label n’avait pas été un « moyen approprié d’assurer la durabilité des pêcheries de thon dans l’Océan Indien ». Selon Brendan May, ce document montrait « la volonté du MSC de compromettre ses propres systèmes et procédures pour assurer la pastille bleue ([le label]) aux candidats ayant les poches pleines ».

Lire aussi Les poissons : une nouvelle priorité pour la protection animale ?

Comment choisir son poisson en évitant la surpêche ?

Face à ce que Bloom considère comme une tromperie des consommateurs, l’ONG a détaillé des conseils sur son site pour les consommateurs soucieux de la durabilité de leur consommation de produits de la pêche. Les 4 axes de ces conseils sont :

  1. la réduction de la consommation ;
  2. le choix préférentiel des poissons pêchés via des méthodes vertueuses ;
  3. la diversification de la consommation qui permet de répartir la pression de la pêche sur différentes espèces au lieu de concentrer cette pression sur quelques espèces seulement ;
  4. avoir un regard critique sur les labels. Sur ce dernier point, Bloom va jusqu’à affirmer qu’« aucun label existant de « pêche durable » ne garantit que le poisson certifié est effectivement durable. »

Pêche et souffrance animale

Si le label MSC est critiquable sur le plan de la durabilité, on peut également lui reprocher de ne pas tenir compte de la souffrance des poissons. Le bien-être et la souffrance animale commencent à être pris en compte dans les critères des cahiers des charges en aquaculture. Les labels ASC et Global GAP sont en effet en pleine concertation sur la révision de leurs standards, et ont exprimé leur volonté d’inclure davantage la question du bien-être dans leurs cahiers des charges. Le label aquaculture porté par Friends of the Sea tient lui aussi compte du bien-être animal, des critères ayant été intégrés en partenariat avec l’ONG Fairfish spécialisée sur le bien-être des poissons d’élevage.

Lire aussi Douleur des poissons : va-t-on continuer à noyer… le poisson ? animale ?

Si de telles initiatives émergent dans le monde de l’aquaculture, les labels concernant la pêche, dans leur quasi-totalité, négligent complètement la souffrance des poissons. Ces souffrances sont pourtant bien réelles, les poissons pouvant s’épuiser à se débattre des heures durant dans les filets, subir des chocs de pression lors de la remontée, être écrasés les uns sur les autres et asphyxier pendant de longues minutes à l’air libre. Or, il est possible d’améliorer les conditions d’abattage pour réduire la souffrance des poissons dans le cadre de la pêche. Cela passe notamment par l’interdiction de l’utilisation des poissons en tant qu’appâts vivants, l’amélioration des conditions d’abattage via le développement de l’étourdissement des poissons pêchés, l’amélioration des techniques de remontée et de manipulation.

Un signe de progrès cependant : le label qualité suédois KRAV a inclus dans son cahier des charges l’obligation de disposer d’équipement d’étourdissement pour les navires de pêche de plus de 24 m. Il existe cependant des dérogations à cette obligation…

Gautier Riberolles

ACTUALITÉS