Alors que le nombre de chasseurs diminue en France, ils continuent à faire de nombreuses victimes animales et humaines. Ils ne sont pas « des acteurs de la biodiversité et de la ruralité », comme l’affirme le président Emmanuel Macron.
En 2018, dans la revue n° 99, le Pr Jean-Claude Nouët, président d’honneur de la LFDA, écrivait une chronique nécrologique sur les victimes animales de la chasse. En janvier 2019, dans le n° 100, il écrivait une nouvelle « Chronique nécrologique (suite) » portant cette fois sur les victimes humaines. Cette série est-elle sans fin ?
Les victimes animales
Les derniers tableaux de chasse nationaux disponibles datent de la saison 2013-2014. Les estimations font état d’environ 22 millions d’animaux tués. Ce chiffre correspond à l’addition des estimations d’animaux chassés pour 60 espèces chassables sur 91 en France[1]. Les estimations se basent sur des déclarations ; pour les espèces manquantes, elles ne sont pas assez fiables, ce qui suppose un nombre potentiellement bien supérieur d’animaux sauvages tués par les chasseurs. Les chiffres du nombre d’animaux tués sont en baisse par rapport à la précédente estimation pour la saison 1998-1999, qui s’élevait à 32 millions – pour 45 espèces.
Les victimes animales sont donc nombreuses, d’espèces variées d’oiseaux et de mammifères. Quant à leurs conditions de mort, elles sont également très variées : coups de fusil, de couteau, de flèche, de pelle, piégés, traqués ou collés pendant des heures, attrapés dans des filets ou dans des cages… il y en a pour tous les goûts ! Blessures douloureuses, stress, parfois agonies… une part inconnue des animaux sauvages persécutés et blessés n’est jamais retrouvée par les chasseurs.
Les victimes humaines
Comme si les victimes animales ne suffisaient pas, la chasse fait aussi des victimes humaines. Le 5 décembre 2020, une marche blanche a réuni près de 900 personnes dans une petite commune du Lot, à la mémoire d’un homme de 25 ans décédé quelques jours plus tôt sous la balle d’un chasseur. Il était en train de couper du bois dans son jardin, lequel se trouvait aux alentours d’une battue aux sangliers – battue par ailleurs autorisée dans le département en dépit du confinement. Il n’est pas la première victime humaine des chasseurs cette saison.
Chaque année, les chasseurs provoquent de nombreux accidents, bien souvent au sein même de leurs rangs, mais aussi en dehors, comme le montre ce drame. Pour la saison 2019-2020, la chasse a provoqué 136 accidents, dont 11 mortels. Au total, c’est 141 personnes qui ont été victimes de la chasse. Le nombre d’accidents au total est en hausse par rapport à la saison précédente (+5) et celle encore avant (+23). Le nombre d’accidents mortels est en hausse comparé à la saison 2018-2019 (+4) et en baisse comparé à 2017-2018 (-2).
Comme relevé par le Pr Nouët et conformément aux années précédentes, l’Office français de la biodiversité se targue de la chute constante du nombre d’accidents depuis une vingtaine d’années. L’OFB omet de préciser que la chute est corrélée à la diminution du nombre de chasseurs. À l’instar des années précédentes, l’OFB déclare que la cause principale des accidents sont les manquements aux règles de sécurité.
L’OFB note que « les incidents (habitations ou véhicules touchés) restent très préoccupants et nécessitent une réelle prise de conscience que chaque cartouche tirée ne peut l’être qu’après anticipation des risques ». En effet, les accidents reflètent des situations où des personnes ont été blessées, mais pas les incidents lors desquels certains l’ont échappé de peu, quand leur maison ou leur voiture a été atteint d’un ou plusieurs plombs par exemple… À cela s’ajoute les animaux de compagnie qui finissent blessés ou tués par les chasseurs.
Les coupables
Pour chaque victime, il y a un coupable. Heureusement, les chasseurs sont de moins en moins nombreux. Selon le Président de la République Emmanuel Macron lors de son entretien accordé au média Brut le 4 décembre 2020, il y aurait « 5 millions de chasseurs, qu’est-ce que je dis 5 millions, il y en a même plus dans la pratique ». Peut-être que le « président Schraen » comme il l’appelle (Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs) grossit un peu les chiffres pour mieux faire valoir ses intérêts. En fait, la FNC mentionne sur son site « 5 millions de porteurs de permis et 1,1 million de pratiquants » : soit actuellement 5 millions de personnes ayant un jour passé leur permis de chasser et 1,1 million qui l’auraient actuellement validé. Mais ces 1,1 million concernent le nombre de permis validés, en sachant qu’un chasseur peut détenir à la fois une validation départementale et une validation nationale. Le nombre de chasseurs se rapproche donc vraisemblablement plus du nombre de 840 000 calculé par le Pr Nouët.
« Des acteurs de la biodiversité et de la ruralité »
Terminons cet article en revenant sur les propos d’Emmanuel Macron sur la chasse lors de son interview par Brut. Le Président de la République a dit : « les chasseurs, c’est pas un lobby. […] Un lobby c’est un groupe de pression caché. […] Quand je parle au président des chasseurs, moi je n’appelle pas ça un lobby, c’est le président d’une fédération. Ou alors dans ces cas-là, vous appelez tout « lobby » : dans ces cas-là, tous les syndicats sont des lobbies. […] tous les représentants patronaux sont des lobbies, […] toutes les forces sectorielles sont des lobbies […] ». En effet, un lobby étant un groupe de pression qui cherche à promouvoir ses intérêts auprès des pouvoirs publics, les organisations citées par le Président de la République sont bien des lobbies. De même que la FNC. Et les organisations de défense des animaux. En France, le terme lobby est connoté péjorativement, notamment parce qu’il fait référence à des groupes qui ont une large écoute parmi les pouvoirs publics. C’est le cas de la FNC, de son président et de son lobbyiste Thierry Coste.
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Le Président Emmanuel Macron d’enchérir qu’il fallait reconnaître la place de la chasse dans la « préservation de la biodiversité et la structuration de la ruralité ». Qu’en est-il de la préservation de la biodiversité en déversant des quantités de plomb dans la nature, en lâchant en masse des animaux sauvages issus d’élevages et en persécutant les grands prédateurs ? Quant à la ruralité, les chasseurs n’en ont pas le monopole. D’ailleurs, la notion de ruralité provient de « rural », terme lui-même associé à la notion de géographie « campagne », qui fait référence à des paysages agricoles. Or, d’après la FNC et le BIPE, les agriculteurs ne représentent que 9 % des chasseurs, contre 36 % de cadres et professions libérales. De plus, un sondage sur le référendum pour les animaux révèle que 77 % des sondés habitants une commune rural sont favorable à l’organisation d’un tel référendum.
Emmanuel Macron ajoute vouloir « lutter contre les pratiques qui ne sont pas conformes au bien-être animal […], réduire les pratiques qui objectivement choquent et ne sont pas conformes au monde dans lequel on vit ». Fini les chasses traditionnelles cruelles (vénerie, chasse à la glu, à la tendelle, à la matole, aux pantes, tenderie aux vanneaux et tenderie au brancher) ?! Il ne faut pas trop espérer.
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Finalement, le Président de la République assure que « les chasseurs sont des acteurs de la biodiversité et de la ruralité, ce qui est une réalité ». L’autre réalité, c’est qu’une majorité de Français des milieux ruraux et urbains aimerait bien pouvoir se promener tranquillement autour de chez eux, voire vaquer à leurs occupations dans leur jardin, sans craindre d’y laisser leur vie ou de voir mise en danger celle de leurs proches, humains ou animaux.
Nikita Bachelard
[1] Avec un intervalle de confiance de 95 %.