Georges Chapouthier, Éditions Odile Jacob, collection Sciences, 240 p., 2020 (23,90 €)
Cet ouvrage rappelle à l’Homme son animalité et l’invite à une certaine humilité vis-à-vis des autres espèces qui l’entourent. G. Chapouthier propose de reconsidérer l’animal en tenant compte de sa sensibilité, son intelligence, son empathie, son altruisme et à faire preuve à son égard de plus de respect. Ainsi, l’espèce humaine en sortira grandie, avec plus de sagesse et d’harmonie.
L’être humain s’est développé depuis plusieurs centaines de milliers d’années pour devenir « l’homme savant », Homo sapiens, tel qu’il se décrit lui-même. Sa supériorité intellectuelle autoproclamée et sa soif de connaissances lui ont permis d’explorer le reste du monde vivant et de découvrir qu’il n’était pas au sommet d’une pyramide, surplombant le reste du monde animal, mais qu’il était une espèce animale parmi les autres. Les capacités dont il se croyait l’unique dépositaire sont en fait présentes sous diverses formes, à divers niveaux de développement, chez nombre de « nos parents ». Même la morale n’est pas l’apanage de l’être humain.
Georges Chapouthier, membre du collège des fondateurs de la LFDA et rédacteur régulier de la revue, met à profit ses doubles compétences en biologie et en philosophie pour nous en parler, de la morale, ainsi que des avancées de la science dans le domaine du monde animal. Il est persuadé que la cruauté que notre espèce est capable de montrer envers ses propres membres ou envers ceux d’autres espèces n’est pas une fatalité. Il soutient qu’en prenant conscience de notre animalité, « une meilleure harmonie avec la nature et les animaux pourraient peut-être mener l’homme vers plus d’équilibre et de sagesse […], [il voudrait] justement montrer en quoi une meilleure relation entre l’animal et l’homme pourrait permettre d’améliorer cette facette très négative du comportement humain, sa déficience en morale pratique. » (p. 14)
Pour cela, Georges Chapouthier revient dans un premier chapitre sur le traitement par l’humain des autres animaux au cours de son histoire. Les philosophes Pythagore ou Plutarque en discutaient déjà dans l’Antiquité. Et déjà Hippocrate ou Galien pratiquaient la vivisection pour faire progresser la médecine, bien avant Claude Bernard au XIXe siècle.
Le deuxième chapitre fait un tour d’horizon des capacités humaines qui existent chez les autres animaux, dont le langage et l’esthétique. La culture, « un ensemble de traits de comportements qui se transmettent, par imitation ou enseignement, entre les individus sans passer par l’hérédité génétique » (p. 38) se retrouve chez beaucoup d’espèces, que ce soit chez nos proches cousins primates ou même chez des invertébrés comme les pieuvres. Chapouthier nous parle de l’intelligence des animaux et de leur utilisation d’outils, et lorsque l’on compare la complexité des outils humains à la simplicité de ceux utilisés par les autres animaux, l’auteur nous rappelle avec raison que « [n]os ancêtres préhistoriques, avec la même intelligence que nous, ne construisaient pas des ordinateurs. Ils taillaient des silex, qui restent beaucoup plus proches des outils utilisés par les animaux. » (p. 44) Il décrit également l’état des connaissances sur la conscience ou encore sur la capacité à souffrir des animaux, sur leur capacité à ressentir l’empathie ou à se montrer altruiste. L’auteur ne manque pas non plus de revenir sur le rire, considéré comme le propre de l’humain pendant longtemps.
Dans le troisième et dernier chapitre, le lecteur en apprendra plus sur l’être humain, ce « singe juvénile » (p. 126). « [I]l sera utile de revenir aux racines animales de notre intelligence, non pas à ce qui nous distingue des (autres) animaux, mais à ce qui nous en rapproche. » (p. 123) Avant d’aborder les souffrances causées au animaux, l’auteur nous rappelle les horreurs dont est capable l’humain dans sa propre espèce. « Triste constat. » L’humain utilise des animaux dans divers domaines. « Certains, comme les jeux cruels, ne posent guère que des questions morales sur la manière de traiter l’animal, alors que d’autres, comme l’expérimentation biomédicale, incluent des questions philosophiques et morales plus larges sur la survie, voire l’essence, de l’homme lui-même. » (p. 142) Pour l’auteur, le « déguisement de la réalité » (par l’imaginaire notamment – cf. la corrida, p. 156) ou le « découpage des responsabilités » permettent à l’humain de ne pas faire face à l’horreur dont il est capable. Mais il est également capable d’empathie. Schopenhauer, cité, considère l’être humain comme un désastre moral. Chapouthier confirme : « Si l’homme est peut-être raté sur le plan écologique, il est certainement raté sur le plan éthique. » (p. 172) Néanmoins, la thèse de l’auteur développée dans cet ouvrage est qu’en retrouvant ses racines animales dans l’empathie, l’imaginaire et l’altruisme, l’humain retrouvera « des processus qui sont de puissants ressorts d’affection et de fraternité » (p. 173) ce qui lui permettra d’aller vers plus de morale, que l’auteur définit comme « un merveilleux mélange d’élan du cœur et de comportement rationnel, d’émotion et de cognition » (p. 182).
Ce livre fait du bien en ces temps difficiles où le cynisme et l’égoïsme font des ravages. Mélange d’anecdotes et d’explications claires en sciences, en philosophie et en morale, il donne de l’espoir quant à la capacité de l’être humain à utiliser ses compétences pour réfléchir à ses actions et « faire mieux » pour le futur. C’est ce type de carburant qui nous permet de rester optimistes et de continuer le combat pour les animaux, et l’être humain.
Sophie Hild