Braconnage dans les calanques: condamnation sur le fondement du préjudice écologique

La cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendu le 29 juin 2021 sa décision : quatre braconniers poursuivis pour des actes de pêche illégale dans le parc national des Calanques ont été condamnés à verser la somme de 52 068,34 euros au titre de la réparation du préjudice écologique.

oursins calanques

Bien que le tribunal correctionnel de Marseille eût estimé la valeur de la perte de biodiversité à 350 060 euros, cette décision qualifiée à juste titre de sans précédent par la presse est « un signal fort pour la nature » pour reprendre les mots de la ministre de la Transition écologique.

Retour sur les faits

En 2015 s’ouvre une enquête au sujet de plusieurs braconniers pratiquant la pêche et la revente d’oursins, de poulpes et de poissons dans la zone protégée du parc national des Calanques. Après deux ans d’enquête ayant permis de réunir des éléments probants tels que des écoutes téléphoniques ou des témoignages anonymes, c’est finalement en 2017 que quatre personnes ont été interpellées en flagrant délit. Au total, plus de 194 046 oursins, 289 kg de poulpes et 44 973 kg de poissons, dont certaines espèces protégées, ont été péchés illégalement dans la zone protégée entre 2013 et 2017. Sur le plan pénal, les prévenus ont été condamnés en 2018 à entre 15 et 18 mois de prison avec sursis pour « pêche maritime en zone interdite » et « vente non autorisée d’espèce animale protégée ». Sur le plan civil, c’est la question du préjudice écologique et de sa réparation qui a été soulevée. Il est évident que ces prélèvements ont eu un impact significatif sur l’environnement en menaçant de renverser l’équilibre de l’écosystème marin. C’est d’ailleurs sur cet argument que s’est appuyé le parc national des Calanques pour déterminer le montant de la réparation du préjudice causé à l’écosystème sur le fondement de la loi sur la reconquête de la biodiversité de 2016.

La réparation du préjudice écologique rendu possible depuis 2016 par la loi sur la reconquête de la biodiversité

Cette affaire est l’une des premières applications de la loi de 2016 qui a introduit dans le code civil la possibilité pour « toute personne ayant qualité et intérêt à agir (…) telles que les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement » de réparer une « atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». En l’espèce, le parc national des Calanques, accompagné par des ONG telles que Sea Shepherd et France Nature Environnement, s’est constitué partie civile, demandant que soit réparé le préjudice causé à l’environnement directement. En effet, c’est bien l’atteinte à l’écosystème en lui-même qui est en cause, ce qui est à distinguer du préjudice personnel subi par le parc national des Calanques. On s’éloigne ainsi de la vision anthropocentrée que représente les bénéfices collectifs tirés par l’Homme de l’environnement.

Cette loi de 2016 permettant d’engager la responsabilité civile ou pénale d’une personne et de demander la réparation des atteintes aux éléments des écosystèmes est une avancée en matière de protection de l’environnement et par ricochet pour la protection animale. Les atteintes causées à la faune entrent bel et bien dans le champ d’application de la loi. Cette décision apparait donc comme un précédent en matière de réparation des atteintes aux espèces marines. Quant aux sanctions, il est à espérer qu’elles aient un effet dissuasif pour éviter que de tels comportements se reproduisent.

La reconnaissance et le calcul de la valeur de la biodiversité

L’une des particularités de cette affaire est la méthode de calcul utilisée pour déterminer le montant des dommages et intérêts affectés à la réparation de l’environnement. Ce que prévoit la loi de 2016 est que la réparation doit se faire en priorité par nature, c’est-à-dire qu’elle aboutisse à remettre l’environnement dans le statut antérieur à l’atteinte. Toutefois, lorsque cela est impossible, l’article 1249 du code civil prévoit que des dommages et intérêts puissent être affectés à la réparation de l’environnement. C’est le cas en l’espèce, le tribunal correctionnel ayant écarté la réparation en nature, déclarant que « toute intervention humaine inconsidérée dans l’écosystème en cause (…) risquerait de perturber plus gravement encore les processus biologiques naturels ». Ce choix opéré par le tribunal de ne pas avoir recours à la réparation en nature est influencé par le fait que premièrement les coupables n’ont pas les connaissances suffisantes pour remettre l’écosystème dans son état antérieur, mais aussi par le fait que chaque individu est unique et n’est pas interchangeable. Revenir à l’état antérieur à l’atteinte s’avérait donc difficile dans cette affaire.

Les juridictions ont dû déterminer le montant de l’indemnisation. Pour ce faire, le tribunal a eu recours à un indicateur qui est le coefficient trophique, se basant sur « l’importance de chaque espèce pour l’équilibre de l’écosystème et la gravité corrélative de l’atteinte et du déséquilibre induit ». La valeur des espèces illégalement pêchées est donc différente de leur simple valeur marchande. C’est ici une prise en compte de la place de chaque espèce dans l’écosystème marin. À ce titre, quelques explications ont été données par Denise Bellan-Santini, directrice de recherches au CNRS : « Dans un écosystème comme les Calanques, nous avons affaire à un réseau trophique, c’est-à-dire à un ensemble de chaînes alimentaires. Ce réseau trophique est pyramidal : les prédateurs sont au sommet. Si on tue un prédateur comme le mérou, on va impacter tout l’écosystème. Et les conséquences sont tragiques. »Elle illustre cela de la manière suivante : « si on mange une femelle avec des petits mérous, on mange tout une génération ! ». Le tribunal lui-même a repris les dires des représentants de la défense en comparant la valeur d’un vieux Mérou, à celle d’un tableau de maître.

En conclusion, ce qu’il faut retenir de cette affaire

La cour d’appel a finalement décidé de ramener le montant des dommages-intérêts de 350 060 euros à 52 068 euros. Néanmoins, le fait qu’un établissement public tel que le parc national des Calanques puisse obtenir la réparation de dommages causés à l’écosystème lui-même témoigne d’une avancée. Plusieurs éléments sont à retenir. Le préjudice écologique est qualifié lorsque les quantités de poissons, de poulpes et d’oursins pêchées sont telles qu’elles constituent une atteinte non négligeable aux éléments des écosystèmes. De ce fait, la loi de 2016 sur la reconquête de la biodiversité apparait donc comme une clé permettant d’améliorer la protection animale et la reconnaissance de l’importance de chaque espèce pour l’équilibre des écosystèmes. Il ne reste plus qu’à espérer que les sanctions prononcées et le caractère médiatique de cette affaire aient un effet dissuasif. Plus généralement, c’est une reconnaissance plus large du préjudice écologique par les juridictions qui est à espérer, le tribunal ayant rappelé qu’il est finalement indifférent que les espèces aient été prélevées à l’intérieur ou en dehors du parc national. Il considère en effet que « il n’apparait pas que la demande de ce chef doive nécessairement se limiter à la seule infraction de pêche en zone de non-pêche ou aux seuls dégâts commis dans ce périmètre voire dans le périmètre du parc, selon une logique qui occulterait alors les solidarités à l’œuvre au sein d’un écosystème complexe ».

Marie Combes

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