En prenant la définition de la ruralité, on s’aperçoit que l’associer à celle des chasseurs est contradictoire. Pourtant, cette amalgame courante fait aujourd’hui partie des plus employée par les politiques.
Il est courant d’entendre l’association entre la ruralité et la chasse. Ces derniers mois, politiques et candidats à l’élection présidentielle n’ont pas fait l’économie de cet amalgame. En septembre 2021, Emmanuel Macron expliquait que « les chasseurs, ce sont des acteurs de la ruralité». Le 18 octobre 2021, au micro de France Info, le candidat à l’élection présidentielle Fabien Roussel indiquait : « Il y a un courant anti-chasse que je ne partage pas, parce que je suis moi-même député d’une circonscription rurale». Marc Fesneau, ministre du gouvernement Castex, déclarait, en novembre 2021, dans Le Monde : « [La chasse], c’est le symbole d’un électorat rural, attaché à des traditions critiquées et qu’il perçoit comme menacées, comme le foie gras ou la corrida. ». Répondant à BFM TV le 8 novembre 2021, la candidate Marine Le Pen disait : « Si nous n’avions pas les chasseurs, on se rendrait compte ne serait-ce que visuellement des conséquences que ça aurait sur notre pays, les paysages et même l’organisation de la ruralité ». Le parti Chasse, pêche, nature et tradition s’est d’ailleurs renommé « Mouvement de la ruralité ». Lors du « Grand oral de la ruralité » organisé par ce parti le 15 février 2022, le candidat Eric Zemmour déclarait : « Nos politiciens ont méprisé le monde rural. […] Je refuse et je refuserai que qui ce soit vous interdise la chasse ou s’attaque à la pêche. Les vrais écologistes, c’est vous. » Ce ne sont là que quelques exemples. La liste est longue.
Le lobbyiste de la Fédération nationale des chasseurs (FNC), Thierry Coste, qui murmure à l’oreille des politiques – et dont la fâcheuse influence aurait précipité, parmi d’autres facteurs, le départ de Nicolas Hulot du gouvernement en 2018 –, a révélé dans le journal La Croix du 21 février 2022 d’où vient cet amalgame : « L’idée que défendre la chasse revient à défendre la ruralité dans son ensemble est une assimilation fallacieuse mais que nous avons réussi à installer. » C’est lui qui le dit !
Deux enseignements peuvent être tirés de cette déclaration. Le premier, c’est que défendre la chasse, ce n’est pas défendre la ruralité. « Chasseurs » n’est pas égal à « ruraux ». Nous n’en doutions pas. Un sondage Ifop pour la Fondation Brigitte Bardot de février 2022 le confirme. À la question « vous personnellement, seriez-vous favorable ou opposé à ce que soient instaurés 2 jours sans chasse par semaine (dont le dimanche) et l’intégralité des vacances scolaires ? », 79 % des répondants habitant une commune rurale se disent favorables. De même, selon un sondage Ifop pour Woopets en septembre 2021, seuls 9 % des répondants habitant une commune rurale déclarent que le fait qu’un candidat affiche son soutien aux chasseurs durant la campagne présidentielle pourrait l’inciter à voter pour lui, contre 36 % pour qui cela pourrait les inciter à ne pas voter pour le candidat, et 55 % pour qui cela n’aurait pas d’impact sur leur vote. Autre sondage, réalisé par l’Ifop pour la FNC, en février 2021 : à la question « personnellement, diriez-vous que vous êtes plutôt favorable, plutôt défavorable ou indifférent à la chasse ? », 55 % des sondés habitant une commune rurale se déclarent défavorables et 24 % indifférents. Dans ce sondage, seulement 2 % des sondés habitant une commune rurale déclarent pratiquer la chasse. Ça va mieux en le disant.
Le second enseignement est que les représentants de la chasse ont effectivement l’oreille attentive des politiques, qui n’hésitent pas une seconde à reprendre les éléments de langage proposés par le lobbyiste en chef. Willy Schraen, président de la FNC, s’est d’ailleurs félicité de l’écoute d’Emmanuel Macron pour les chasseurs pendant son premier quinquennat, dans une interview au journal Le Parisien, le 29 mars 2022 : « Il ne m’a pas déçu. Aucune loi ou amendement pouvant abîmer la chasse n’a été adopté dans ce quinquennat. À chaque fois qu’on a eu un problème à régler avec un ministre de l’Écologie, il est intervenu ». C’est ce qu’on avait constaté.
Notons en conclusion que l’Institut national des statistiques et des études économiques (Insee) a proposé une définition de « rural ». Les caractéristiques des espaces ruraux sont une faible densité de population, associée à des critères comme le degré d’influence d’un pôle d’emploi ou des disparités de revenus moins marquées qu’en milieux urbains. La définition proposée par l’Insee ne fait aucunement mention de la chasse – ou de la pêche. Thierry Coste ne fait que confirmer ce que nous savions et dénoncions : il est fallacieux d’associer la défense de la chasse à celle de la ruralité.
Nikita Bachelard