Tribune : « Innover pour réduire les souffrances animales dans la pêche commerciale »

Pour la journée mondiale des océans, la LFDA publie une tribune sur la pêche commerciale dans Le Monde du 8 juin 2022. La France possède l’une des plus importantes flottes de pêche en Europe ; elle se doit d’améliorer les conditions d’abattage des poissons pêchés. Les 85 signataires, parmi lesquels de nombreux membres de la LFDA, demandent la création d’un programme de recherche scientifique français afin de réduire la souffrance des poissons dans le cadre de la pêche commerciale.

   

Beaucoup plus d’animaux sont mis à mort sur les bateaux de pêche que dans les abattoirs terrestres. Chaque année, entre 790 et 2 300 milliards de poissons sont tués sur les bateaux de pêche dans le monde. Entre 695 millions et 2,3 milliards d’entre eux sont abattus par la pêche française. 

    Selon l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), et selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), les poissons sont capables de souffrir, de ressentir la douleur, le stress et même la peur. Or, le processus de pêche implique de multiples sources de souffrances. Les poissons se blessent au contact des hameçons ou des filets. Une fois empêtrés, ils peuvent s’épuiser en passant des heures à se débattre. Lors de la remontée, les poissons peuvent subir un choc dû au changement rapide de température et de pression qui endommage gravement leurs organes internes, et ils sont comprimés les uns sur les autres. Une fois à bord, ils sont exposés à l’air libre et parfois manipulés violemment avec des outils blessants tels que la gaffe – bâton muni de crochet que l’on plante dans la chair. Ils meurent le plus souvent des suites d’une très longue asphyxie, ou bien saignés ou éviscérés à vif sans étourdissement préalable.

    Depuis plusieurs décennies déjà, notre société tente de minimiser les souffrances des animaux terrestres au moment de la mise à mort. Ainsi, les abattoirs terrestres sont soumis à une réglementation dont l’application est en principe contrôlée par les services vétérinaires de l’Etat. Celle-ci prévoit l’étourdissement préalable des animaux (à l’exception de l’abattage rituel) selon des méthodes spécifiques et encadre la formation des opérateurs d’abattoirs ainsi que les conditions de transport, d’accueil et de manipulation des animaux. De plus, des travaux de recherche scientifique, financés par l’État ou par le secteur privé, sont activement menés afin de perfectionner les méthodes d’abattage des animaux terrestres dans un souci de minimisation des souffrances animales. 

En ce qui concerne les animaux aquatiques, la filière piscicole n’est pour l’instant pas soumise à cette réglementation mais a d’elle-même initié une démarche de progrès en créant une plateforme d’échange entre chercheurs et professionnels pour identifier et diffuser les bonnes pratiques en matière d’abattage. Cependant, cette démarche de réduction des souffrances évitables n’existe pas encore dans le secteur de la pêche commerciale en France. Dans notre pays, ni les pouvoirs publics, ni les professionnels, ni les instituts de recherche scientifique ne se sont réellement intéressés à cette question jusqu’à maintenant.

Pourtant, une demande sociétale est en train d’émerger : 76% des Français souhaitent que les poissons bénéficient d’une protection similaire aux autres animaux que l’on consomme. Ainsi, par sa résolution du 1er novembre 2020, l’Assemblée nationale a officiellement demandé à la Commission européenne “d’intégrer, dans le règlement européen sur la politique commune de la pêche, des éléments relatifs au bien-être des poissons issus de la pêche commerciale, notamment la reconnaissance de la sensibilité des animaux pêchés, l’obligation d’éviter les souffrances évitables infligées aux animaux dans le cadre de la pêche, l’interdiction de l’utilisation d’animaux sensibles en tant qu’appâts vivants et des recommandations permettant de limiter la souffrance des animaux dans le cadre de la pêche”. L’Association des Vétérinaires Britanniques a elle aussi appelé à initier des efforts dans ce sens au Royaume-Uni.

Des améliorations sont possibles. La mise à mort peut être améliorée en développant des technologies d’étourdissement applicables au contexte de la pêche. La capture peut être améliorée en concevant des hameçons et filets qui occasionnent moins de blessures et en limitant la durée du processus. La remontée peut être améliorée par l’utilisation de pompes à poissons. Ces grands tuyaux, couramment utilisés en aquaculture, aspirent les poissons avec de l’eau, ce qui permet d’éviter de les exposer à l’air libre et de les comprimer les uns sur les autres dans les filets. Une fois à bord, les poissons pourraient être maintenus dans des cuves d’eau oxygénée en attendant d’être étourdis puis mis à mort, plutôt que d’agoniser en s’asphyxiant à l’air libre pendant de très longues minutes.

Ces éléments ne sont qu’un bref aperçu des pistes déjà explorées à l’étranger. L’entreprise américaine Blue North, l’entreprise néerlandaise Ekofish, et le label qualité KRAV en Suède mettent déjà en œuvre certaines de ces améliorations. Le marché des produits de la mer plus respectueux de la sensibilité des animaux est encore à développer. Il en va de même du marché des équipements permettant la mise en œuvre des bonnes pratiques. La France ne doit pas laisser passer l’opportunité de devenir leader de ce secteur d’avenir en pleine expansion.

    La toute première des conditions nécessaires pour initier une démarche de progrès est le développement de la technologie et des connaissances scientifiques. Des chercheurs s’attèlent déjà à cette tâche au Royaume-Uni, en Norvège, en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas et au Portugal. Nous appelons le gouvernement et l’industrie française de la pêche à faire de même. La France doit rejoindre la liste des pays qui innovent pour répondre aux attentes de la société concernant la condition animale. Nous, signataires, demandons la création d’un programme de recherche scientifique français sur la réduction des souffrances des poissons dans le cadre de la pêche commerciale. Disposant d’une des plus importantes flottes de pêche en Europe, et du deuxième espace maritime mondial, la France a une responsabilité toute particulière pour montrer la voie.

Liste des signataires :

Serge Aron, directeur de recherche du Fonds de la Recherche Scientifique (Belgique), professeur à l’université libre de Bruxelles ; Béatrice Babignan, avocat au barreau de Paris, membre de l’association Avocats et Droits de l’Animal ; Arnaud Bazin, sénateur du Val d’Oise, vétérinaire, Vice-président du groupe d’étude “Elevage”, président de la section “Animal et société” ; Allain Bougrain Dubourg, journaliste – producteur ; Lorène Bourdin, avocat au barreau de Paris, membre de l’association Avocats et Droits de l’Animal ; Pierre-Yves Bournazel, député de Paris, président du groupe Indépendants et Progressistes du conseil de Paris, élu du 18ème arrondissement ; Laurent Bègue-Shankland, membre de l’Institut Universitaire de France, Professeur des universités ; Samantha Cazebonne, sénatrice ; Léopoldine Charbonneaux, directrice de Compassion In World Farming (CIWF) France ; Dr. Marie Charpentier, directrice de recherche ; Matéo Chaumont, technicien halieute ; Georges Chapouthier, biologiste et philosophe, directeur de recherche émérite au CNRS ; David Chauvet, docteur en droit privé et sciences criminelles, essayiste et chercheur à L’Institut de Droit Européen des Droits de l’Homme ; Dr. Isabella Clegg, directeur de Animal Welfare Expertise ; Amélia Curd, chercheuse en écologie benthique ; Typhanie Degois, députée de Savoie ; Blanche de Granvilliers, avocat au barreau de Paris, membre de l’Association Avocats & Droits de l’Animal ; Patrick de Rham, biologiste et Dr. ès Sciences ; Channel Desseigne, juriste de droit social et avocate ; Marie-Bénédicte Desvallon, présidente de l’association Avocats & Droits de l’Animal ; David Cormand, eurodéputé ; Alice Di Concetto, juriste et fondatrice de l’Institut européen pour le droit de l’animal ; Loïc Dombreval, député des Alpes Maritimes, président du groupe d’étude “Condition animale” de l’Assemblée Nationale ; Pascal Durand, eurodéputé ; Eugénie Duval, docteure en droit public, chercheuse en droit de l’animal, Université d’Essex ; Aude Epstein, maître de conférence en droit privé, Université Paris Nanterre ; Muriel Falaise, maîtresse de conférence en droit privé, Université Lyon 3 ; François Galgani, océanographe ; Agnese Ghersi, avocat au barreau de Paris, membre de l’Association Avocats & Droits de l’Animal ; Marc Giraud, porte-parole de l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages (ASPAS) ; Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère, président du groupe Ecologie, Solidarité et Territoires ; Brigitte Gothière, co-fondatrice et directrice de L214 ; Albin Gräns, professeur associé en bien-être des poissons, Université Suédoise des Sciences Agricoles ; Christine Grandjean, présidente de l’association C’est Assez ; Magali Greiner, avocat au barreau de Paris, membre de l’Association Avocats & Droits de l’Animal ; Dr. Alain Grépinet, vétérinaire, expert honoraire à la Cour d’appel de Montpellier, ancien chargé de cours de législation et de droit vétérinaire à l’ENVT ; Astrid Guillaume, présidente fondatrice de la société française de zoosémiotique ; Catherine Helayel, co-fondatrice de l’association Animal Justice et Droit ; Sophie Hild, éthologue, directrice de La Fondation Droit Animal Ethique et sciences (LFDA) ; Elise Huchard, directrice de recherche CNRS, éthologie et écologie évolutive ; Laure Ieltsch, présidente de la Société Nationale pour la Défense des Animaux (SNDA) ; Emilie Jeannin, présidente fondatrice du Boeuf éthique (abattoir mobile) ; Andrès Jiménez Zorrilla, président directeur général de Shrimp Welfare Project ; Haven King-Noble, co-fondateur et directeur des opérations de Fish Welfare Initiative ; Michel Kreutzer, professeur émérite, éthologue, université Paris Nanterre ; Stéphane Lamart, président fondateur de l’Association Stéphane Lamart pour la défense des droits des animaux ; Pierre Larrouturou, député européen ; Philippe Lazar, directeur de recherche honoraire à l’INSERM ; Benjamin Lecorps, maître de conférence en bien-être animal, éthique et agriculture durable à l’Université de Bristol ; Pierre-Yves Le Bail, ichtyologue, ancien directeur de recherche INRAE ; Arnaud Lelaidier, technicien halieute ; Mathieu Lihoreau, éthologue (CNRS) ; Catalina Lopez-Salazar, directrice de l’Aquatic Animal Alliance ; Fabien Marchadier, professeur de droit privé, Université de Poitiers ; Anaëlle Martin, docteure en droit public, Université de Strasbourg ; Manuel Mersch, docteur vétérinaire, président de l’Oeuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoir (OABA) ; Cathy Morales, avocat au barreau de Paris, membre de l’Association Avocats & Droits de l’Animal ; Alexandra Morette, présidente l’association Code Animal ; Pierre Mormède, vétérinaire, président du comité national d’éthique sur l’expérimentation animale ; Luc Mounier, docteur vétérinaire, professeur en bien-être animal ; Anne-Louise Nicolas-Laurent, avocat au barreau de Rennes, membre de l’Association Avocats & Droits de l’Animal  ; Anne-Claire Lomellini-Dereclenne, docteur vétérinaire, Ph.D en bien-être animal ; Claire O’Petit, députée de l’Eure ; Patrick Pageat, professeur associé en éthologie appliquée et bien-être animal – Ecole d’ingénieurs de Purpan, chercheur sénior à l’IRSEA – Aquaculture Research Centre ; Corine Pelluchon, philosophe, professeure à l’université Gustave Eiffel ; Lisa Poncet, doctorante en comportement des céphalopodes ; Aloïse Quesne, maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Saclay-Evry-Val d’Essonne, Lauréate 2014 du prix de droit de La Fondation Droit Animal Ethique et Sciences ; Matthieu Ricard, moine bouddhiste ; Gautier Riberolles, éthologue ; Caroline Roose, eurodéputée, membre de la Commission de la pêche ; Amandine Sanvisens, co-fondatrice de Paris Animaux Zoopolis ; João L. Saraiva, Fish Etho Group, Portugal ; Louis Schweitzer, président de La Fondation Droit Animal Ethique et Sciences ; Jessica Serra, docteure en éthologie, autrice et directrice de collection ; Nathalie Soisson, vice-présidente de l’Association pour la Protection des Animaux par le Droit (A.P.R.A.D), juriste en droit maritime international et en droit animalier ; Dr. Lynne Sneddon, chercheuse et maître de conférence au Laboratoire d’Endocrinologie des Poissons, Université de Göteborg ; Cédric Sueur, maître de conférence en éthologie et éthique animale ; Olivia Symniacos, fondatrice du Cabinet Animalex-avocats, entièrement dédié au droit animalier ; Benoît Thomé, président d’Animal Cross ; Hélène Thouy, co-présidente du parti animaliste ; Marie Toussaint, eurodéputée ; Claire Vial, professeur de droit public, Université de Montpellier ; Cédric Villani, député de l’Essonne ; Cédric Zimmer, neuro-endocrinologiste comportemental, maître de conférence à l’université Sorbonne Paris Nord ; Ghislain Zuccolo, directeur général de Welfarm.

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