Chasse à l’arc- UK

La chasse à l’arc est une pratique particulièrement vulnérante. L’animal est rarement tué sur le coup. Même gravement et douloureusement blessé, il peut fuir et va divaguer, une flèche plantée dans le corps, pour mourir dans un délai qui dépend du temps que le chasseur met pour le trouver et l’achever. Abandonnée depuis près de deux siècles, elle a été remise à la mode il y a deux décennies. En 1985 la LFDA a décidé d’engager un combat judiciaire qui s’est révélé particulièrement épineux, et qui s’est terminé en 1995 par notre échec, une défaite que nous n’avons pas pu avaler et qui nous reste comme un os en travers du gosier depuis vingt-deux ans ! Voici l’histoire de ce combat.

L’histoire du combat contre la chasse à l’arc se déroule en trois parties successives. C’est d’abord l’histoire d’un texte, l’ancien article 373 du code rural, ensuite celle d’une longue procédure initiée contre deux associations de promotion de cette « activité », enfin celle de l’interférence de l’exécutif par la publication d’un arrêté réglementant la chasse à l’arc, ayant pour objet et pour effet de mettre fin aux questions d’interprétation de l’article 373.

Prologue : l’ancien article 373 du code rural, une liste limitative des modes de chasse qui cite la chasse « à tir »

Cet article, de manière classique, établissait le principe d’une liste limitative des modes de chasse autorisés. Il s’agit de la chasse à tir, à courre, à cor et à cri et au vol, leurs distinctions devant être spécifiées par arrêtés du ministre de l’Agriculture.

Son deuxième alinéa prévoyait des possibilités de dérogations à ces modes de chasse. Celles-ci étaient réservées à la chasse de certains oiseaux de passage en petites quantités et ne pouvaient être autorisées que de manière sélective par le ministre chargé de la Chasse, qui en déterminait les conditions. Cette autorisation ne pouvait porter que sur l’utilisation de modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels.

Acte I, l’engagement d’un combat judiciaire

Informée de l’existence de deux associations de promotion de cette chasse, le Bow Hunting Club et l’Association des chasseurs à l’arc région Aquitaine (ACARA), la LFDA assignait les associations dès 1985 en dissolution pour objet illicite, sur le fondement des articles 3 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 qui permettent à tout intéressé justifiant d’un intérêt matériel ou moral d’obtenir la dissolution judiciaire d’une association dont l’objet est illicite.

Or, l’objet du Bow Hunting Club était « la promotion de la chasse et de la pêche à l’arc, les activités sportives et touristiques en rapport avec l’archerie« , celui de l’ACARA de « faire connaître et faire développer la chasse et la pêche à l’arc, ainsi que de coordonner les efforts de ses membres en vue d’améliorer leur art et de favoriser la conservation de toute la faune sauvage« .

La question principale posée par les actions judiciaires engagées par la LFDA était la suivante : la chasse « à tir » visée par l’article 373 du code rural comprend-elle la chasse au moyen d’un arc et d’une flèche ? Semblant pourtant simple, cette question engendra onze années de procédure judiciaire, par la voix du cabinet d’avocats à qui la LFDA avait confié l’affaire, la LFDA faisait valoir plusieurs arguments au soutien de l’illicéité de la chasse à l’arc et, partant, de l’objet des associations.

D’abord, celui de la doctrine. De manière générale, celle-ci définissait la chasse à tir comme celle exercée au moyen d’une arme à feu. À citer par exemple, Roger Merle et André Vitu dans leur Traité de droit pénal spécial, publié en 1981 et faisant autorité en la matière, le commentateur du JurisClasseur, ou encore Jehan de Malafosse dans son ouvrage Droit de la chasse et protection de la nature, publié en 1979.

Second argument, celui de l’interprétation dite téléologique de la loi, selon laquelle il convient de s’attacher à la finalité recherchée par le législateur. En cas de conflit entre la lettre du texte et l’esprit de la règle, l’esprit prévaut sur la lettre. Or, les travaux préparatoires de la loi du 3 mai 1844 font apparaître que le législateur de l’époque a entendu par chasse à tir la chasse au moyen d’armes à feu à l’exclusion de tous autres instruments. Le rapporteur de la loi considérait en effet que la chasse ne se pratique que de deux manières « avec le fusil ou avec les chiens, à tir ou à courre » et rappelait les termes d’une ordonnance de 1669 selon lesquels « on ne devait chasser qu’à force de chiens ou oiseaux, ou à l’arquebuse, qui a été remplacée par le fusil, sans jamais pouvoir se servir d’engins prohibés ».

À cette méthode d’interprétation s’opposait celle retenue par les associations de chasse à l’arc consistant à retenir le sens trivial du texte, donné par sa lettre. Or, selon les dictionnaires français, le terme de tir ne préjuge pas de la nature de l’instrument utilisé.

Par ailleurs, la LFDA rappelait l’existence des textes réglementaires d’application qui devaient nécessairement être pris en compte pour l’interprétation de l’article 373 du code rural. Il s’agissait du décret et de l’arrêté pris en 1976 relatifs à la délivrance du permis de chasse : ils étaient totalement silencieux sur l’arc et la flèche, tandis qu’ils prévoyaient pour les armes à feu une série d’épreuves sur le fonctionnement de la carabine et des fusils autorisés pour la chasse. Dans ces conditions, ne devait-on pas vraiment considérer que le chasseur à l’arc chassait sans permis de chasse ? D’autant plus que l’arc était également absent de l’arrêté du 2 mars 1972 relatif à l’emploi des armes à feu pour la chasse. Il résultait incontestablement de ces éléments que le législateur initial n’avait jamais considéré l’arc comme un mode de chasse.

Enfin, la LFDA soutenait que l’emploi de l’arc constituait une infraction à la législation sur le port d’armes (1) selon laquelle l’usage des armes de 6e catégorie (« blanches ») est interdit sauf motif légitime.

Évidemment, la nature sensible de l’animal, et sa protection par les conventions et les textes internationaux, dont le respect s’imposait déjà à la France, étaient des arguments également soulevés, étant rappelé que la chasse à l’arc blesse davantage qu’elle ne tue et laisse bien souvent l’animal dans une longue agonie.

Acte II, des décisions contrastées

Le 7 avril 1987, le tribunal de grande instance de Paris déboute la LFDA de son action contre le Bow Hunting Club. Il fonde simplement son jugement sur l’absence de précision du texte concernant la chasse à l’arc et en déduit qu’elle constitue l’un des modes de chasse à tir autorisés par le code rural. Dans l’affaire ACARA, le TGI de Bordeaux fait de même par jugement du 6 avril 1987.

Cette application du principe « ce qui n’est pas expressément interdit par la loi est autorisé » est loin d’être juridiquement solide, dès lors que l’exercice de la chasse est déjà l’exception aux principes de protection de la nature. Elle est ainsi soumise à un régime d’autorisation, pas même de simple déclaration. Par conséquent et comme pour toute activité réglementée, l’interprétation des textes législatifs et réglementaires qui en fixent les conditions et limites ne peut qu’être stricte.

La LFDA interjettera appel de ces deux jugements. Ce n’est que le 27 février 1989 que la cour d’appel de Paris se prononcera et infirmera le jugement rendu dans l’affaire Bow Hunting Club. Selon la cour, qui rappelle l’article 9 de l’arrêté du 1er août 1986 aux termes duquel « l’emploi d’engins, tels que pièges, cages, filets, lacets, hameçons, gluaux, nasses, et de tous autres moyens ayant pour but d’effectuer ou de faciliter la capture ou la destruction du gibier sont interdits », l’arc est nécessairement un moyen d’effectuer la destruction du gibier proscrit en général par ce dernier texte, et, partant, un instrument de chasse prohibé. Selon la cour, il n’y a pas lieu de rechercher si, étymologiquement ou juridiquement, la chasse à l’arc est une chasse à tir au sens de l’article 373 du code rural ! La LFDA obtient ainsi la dissolution de l’association. Dans l’affaire ACARA, c’est deux ans plus tard que la cour d’appel de Bordeaux, le 9 avril 1991, infirme également le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux. La LFDA faisait part de cette deuxième réjouissante décision dans un communiqué de presse du 20 avril 1991.

La cour d’appel de Bordeaux avait fait toute l’analyse des textes législatifs de 1844, à l’origine de la législation en vigueur à l’époque, afin de faire ressortir l’intention du législateur. Et celle-ci était clairement dirigée vers le seul emploi des armes à feu : l’arc n’ayant jamais été envisagé, il était prohibé par l’article 373 devenu L222-4 du code rural. La cour retenait la méthode d’interprétation téléologique qu’il est d’usage d’adopter et que la LFDA n’avait eu de cesse de rappeler.

Les associations de chasse à l’arc décidaient alors de porter les décisions d’appel devant la Cour de cassation. Dans l’affaire Hunting Bow Club, l’arrêt d’appel était cassé le 19 novembre 1991. Selon la Cour de cassation, la chasse à l’arc était une forme de chasse à tir. Elle rejetait ainsi de manière totalement hermétique l’argumentation développée par l’arrêt et se ralliait au jugement de 1re instance. Ce n’est que le 16 décembre 1992 que, dans l’affaire ACARA, la cour devait également casser l’arrêt d’appel. On notera d’ailleurs le non-sens de l’attendu selon lequel « la chasse à tir est expressément autorisée par l’article L. 122-4 du code rural (ancien article 373 du même code) qui ne distingue pas entre le tir au moyen d’une arme à feu ou au moyen d’une arme à flèche telle qu’un arc […] ». Selon la cour, un texte bien silencieux sur l’arc suffirait à l’autoriser expressément !

Et les deux affaires sont renvoyées par la Cour de cassation devant une cour d’appel de renvoi, comme le veut la procédure. Celles-ci se conforment à la Cour de cassation, le 28 février 1994 dans l’affaire Bow Hunting Club, le 17 janvier 1995 dans l’affaire ACARA.

De nouveaux pourvois en cassation par la LFDA devaient clore l’affaire – au moins sur le plan judiciaire.

Épilogue, l’intervention d’un arrêté de validation

Le ministre chargé de la Chasse, M. Michel Barnier, répondant aux demandes et sollicitations d’associations et fédérations de chasse, prenait un arrêté le 15 février 1995 encadrant et légalisant, en creux, la pratique de la chasse à l’arc. Et ce, avant même que l’arrêt de cassation ne soit rendu dans chacune des affaires…

C’est donc sans surprise que, le 25 juin 1996 dans l’affaire Bow Hunting Club, la Cour de cassation confirmait l’arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi, sans même examiner les moyens tirés de la méconnaissance par cette activité (qui vise à donner la mort dans des conditions exposant l’animal à la souffrance et à l’angoisse) du droit communautaire qui protège la faune et la flore en interdisant certains modes de capture et de mise à mort eu égard à la nature sensible de l’animal. La LFDA faisait en effet valoir que le véritable questionnement, non abordé par la cour d’appel, était celui du statut de l’animal.

Et également sans surprise, la Cour de cassation, le 17 décembre 1996 dans l’affaire ACARA, confirmait également l’arrêt d’appel de renvoi.

Depuis, un nouvel arrêté a été pris le 18 août 2008 et modifié le 16 juillet 2012 et encadre une session de formation de chasse à l’arc et édicte des prescriptions générales. Ces arrêtés n’en demeurent pas moins issus d’une intervention critiquable dans le processus judiciaire et restent, à notre sens, contraires au principe selon lequel le texte réglementaire d’application de la loi ne peut s’écarter de son champ d’application ou l’élargir.

Le ministère avait pourtant pleinement connaissance de l’intention du législateur initial puisqu’il la rappelait dans une réponse à une question parlementaire, publiée le 29 juin 1989, en indiquant qu’eu égard à l’analyse des travaux préparatoires, il n’y avait pas d’intention de proposer de modifications réglementaires visant à rendre licite la chasse à l’arc.

Chanel Desseigne

1. Décret du 12 mars 1973 n° 73-364 et loi du 3 janvier 1977 n° 77-7.

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