Une orque a défrayé la chronique ces derniers mois. Il s’agit de Gladis Blanca, une femelle adulte vivant près du détroit de Gibraltar, entre l’Espagne et le Maroc. Son nom a fait couler de l’encre pour cause d’« attaques » de bateaux autour du détroit. La presse a fait ses choux gras de la vengeance de Gladis Blanca sur les humains. Toutefois, cette interprétation anthropomorphique n’est pas vérifiée.
Les petites embarcations visées
Depuis 2020, plus de 500 incidents impliquant des orques et des bateaux au sud de l’Espagne et du Portugal ont été enregistrés. Parmi eux, 250 embarcations ont été endommagées et trois bateaux ont coulé à la suite des dommages occasionnés par les cétacés.
Les incidents impliquent principalement des voiliers de 12 mètres en moyenne. Les orques percutent les embarcations, les poussent et parfois les font tourner. Quelques fois, elles ont même fini par arracher la partie immergée du gouvernail.
Les Gladis à la manœuvre
Le groupe de travail Orque de l’Atlantique (GTOA), regroupant des scientifiques spécialistes des orques, a été créé spécifiquement pour analyser la situation. Le groupe de travail a réalisé un premier rapport en 2021. Il révèle que ces interactions sont perpétrées par une quinzaine d’individus. Les premières interactions d’orques avec des bateaux ont été commises par Gladis Blanca et deux orques juvéniles. Puis, d’autres épaulards s’y sont mis à leur tour. Certains interagissent directement, en général des jeunes, quand d’autres sont de simples observateurs. Les orques ne sont pas toutes de la même famille, mais elles appartiennent toutes à la sous-population du détroit de Gibraltar des orques ibériques. Les experts ont appelé « Gladis » les cétacés interagissant avec les embarcations. Elles ont été quelques fois observées interagissant avec les bateaux toutes ensemble.
Gladis Blanca, qui a initié ces interactions en 2020 et qui est l’orque la plus active en la matière, et ses congénères, seraient spécialisées dans la pêche aux thons. L’une des congénères, Gladis Negra, aurait subi deux importantes blessures en 2020 et 2021, possiblement à cause d’une collision avec un navire.
Une ou des causes incertaines
Les médias ont imaginé des orques vengeresses envers les humains, pour leur avoir causé des blessures, les avoir concurrencées à la pêche, ou encore pour des nuisances sonores trop importantes, dues au passage des bateaux. Toutefois, cette idée anthropomorphique, qui prête aux épaulards un comportement que nous pourrions avoir en tant qu’humain, n’est pas prouvé scientifiquement.
Le Pr Barbara J. King n’écarte pas la piste de la vengeance après un événement traumatisant, car elle estime que l’espèce, considérée comme hautement intelligente, en serait cognitivement capable. De tels comportements ont été observés chez des éléphants et des grands singes, selon elle. Cependant, cette éventualité n’est pas vérifiée à ce stade et n’est pas l’hypothèse privilégiée par les spécialistes. Elle est malgré tout considérée par le GTOA, qui estime qu’à la suite d’in événement traumatisant associé à un bateau et notamment à sa vitesse, les orques pourraient vouloir mettre les bateaux à l’arrêt. En tout cas, cela pourrait expliquer que les bateaux à l’arrêt intéressent moins les cétacés. De plus, si le traumatisme provoqué par une blessure pourrait être à l’origine des premières interactions, cela ne signifie pas que les interactions suivantes sont motivées par cet événement.
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Aux yeux des experts, l’hypothèse la plus crédible serait un comportement de jeu « nouvelle génération », une sorte de mode parmi ce groupe d’orques. Le fait de faire bouger les bateaux en les touchant pourrait créer un sentiment de surprise et être agréable pour les animaux. De plus, le comportement est principalement réalisé par des orques juvéniles. Or, le jeu est un comportement bien présent chez les mammifères, y compris les orques, et particulièrement chez les jeunes.
Ce qui est plus surprenant, c’est que Gladis Blanca, la femelle adulte, fait partie des cétacés qui interagissent le plus avec les bateaux. C’est également le cas de sa progéniture, à qui elle a vraisemblablement appris le comportement. Il s’agit donc d’un comportement culturel qui se transmet entre individus, notamment entre individus de plusieurs générations.
Conclusion
À ce jour, quelques orques ibériques du Détroit de Gibraltar continuent à interagir avec les embarcations. La motivation de ces comportements reste inconnue. Le GTOA recommande aux bateaux de se mettre à l’arrêt s’ils en ont la possibilité et que les conditions météorologiques le permettent. Ils encouragent également les équipages à prendre des photos et vidéos des animaux pour aider au suivi de cette affaire.
L’emballement médiatique autour de Gladis Blanca et de ses congénères et de leurs potentiels actes de vengeance pourrait être utile s’il contribuait à réduire les interactions humaines avec ces animaux, en limitant les activités de pêche et le trafic maritime dans cette zone.
Enfin, à noter qu’il n’y a pas de risque d’attaque d’un humain par une orque. Selon les termes des scientifiques du GTOA, « aucune attaque d’épaulard est connue dans le monde, sauf dans les parcs aquatiques ou les épaulards deviennent fous ».
Nikita Bachelard