Dans un communiqué de presse du 4 octobre 2023, la Commission européenne (CE) a lancé une consultation sur l’état de la population de loups en Europe et son impact. Son objectif : réévaluer le statut de protection du loup, qui est actuellement une espèce strictement protégée dans le droit européen. La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) a participé à la consultation pour défendre la protection stricte de Canis lupus.
La population de loups en France
En France, le loup a totalement disparu dans les années 1930. Le prédateur a finalement fait son retour dans les Alpes françaises en 1992, après que son statut juridique est devenu « strictement protégé » grâce à la Convention de Berne. Depuis, la population est passée de 292 loups en 2016 (première estimation) à 580 en 2019 et à 1 104 en 2023 (estimation provisoire). Le loup est présent principalement dans la région Alpine, mais commence à se disperser aux quatre coins du territoire métropolitain.
L’état de conservation du loup en France
Canis lupus est sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Son statut de conservation est « vulnérable » en France. Dans une étude de 2017 du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et du Muséum national d’Histoire naturelle, la viabilité démographique de la population de loups français est estimée à un strict minimum de 500 individus. Cependant, ce nombre n’assure pas la viabilité génétique de la population de loups français, que l’étude estime être entre 2 500 et 5 000 individus matures sexuellement. On est donc encore loin du compte.
Prédation du bétail par les loups
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a déclaré que le loup représentait un « véritable danger pour le bétail ». Il est indéniable que la nature opportuniste du loup en fait un prédateur pour ces animaux (des moutons pour la grande majorité). En 2022, 4 181 attaques ont été déclarées en France, faisant 12 526 victimes, dont 91,5 % étaient des moutons1. Cependant, une étude de 2012 portant sur l’alimentation de 9 meutes de loups a établi que les animaux d’élevage représentaient 16 % de leur régime alimentaire.
En 2021, alors que la population de loups avait augmenté par rapport à l’année précédente (921 loups en 2021 contre 783 en 2020), le nombre d’attaques a diminué : 3 537 attaques et 10 826 animaux domestiques tués ou blessés en 2021, contre 3 670 attaques et 11 746 animaux domestiques tués ou blessés en 2020. Cette diminution des attaques a été observée dans des zones où les loups sont établis de longue date et donc les éleveurs mieux habitués à protéger leurs troupeaux.
Lire aussi : « Plus de loups, moins d’attaques, mais un statut de protection en danger » (Revue n° 115)
Moyens de protection des troupeaux
Les mesures de protection des animaux d’élevage sont nécessaires pour les prémunir des prédateurs. Diverses méthodes ont été développées : enclos, bergers, patous, etc. Ces mesures doivent être adaptées à la situation et à l’environnement concernés, et la plupart du temps de manière combinée. Elles sont efficaces pour empêcher la prédation des loups, bien que le risque zéro n’existe pas.
Le gouvernement français a mis en place un « Plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage ». Ce plan autorise le tir de 19 % de la population de loups français, et jusqu’à 21 % si cela est jugé nécessaire. Selon plusieurs syndicats d’agriculteurs, le nombre de loups pouvant être abattus devrait être revu à la hausse, ce que prévoit malheureusement le nouveau « Plan loup 2024-2029 ».
L’éthologue Jean-Marc Landry, en collaboration avec Jean-Luc Borelli, de l’Institut pour la promotion et la recherche sur les animaux de protection (IPRA), travaille sur le comportement du loup. Ils ont étudié le comportement des loups en France de 2013 à 2018. Dans leur rapport « CanOvis », publié en 2021, ils concluent que chaque loup possède sa propre personnalité et que loups et les animaux d’élevage interagissent au sein du même environnement de diverses manières. Ils préconisent une approche adaptative en ce qui concerne la protection des troupeaux.
L’inefficacité des tirs de loups
Les politiques de prélèvement n’ont pas prouvé leur efficacité pour protéger les troupeaux et préserver les populations de loups. Une étude de 2014 et une revue de la littérature scientifique de 2016 ont montré l’inefficacité des tirs des loups à l’aveugle pour éviter la prédation des animaux d’élevage. La plupart du temps, tuer des loups ne réduit pas le nombre d’animaux tués, et peut même l’augmenter. En France, Oksana Grente et al. (2022) ont étudié le rapport entre la prédation des troupeaux et la gestion de la population de loups. Ils en ont conclu que les effets des prélèvements de loups sur la prédation des troupeaux semblaient dépendre du lieu, de la saison et du nombre de loups tués. Ils ont souvent observé un niveau de prédation identique, parfois une diminution et parfois une augmentation. Selon elle, des études supplémentaires sont nécessaires pour évaluer clairement l’efficacité des tirs de loups en France. Les tirs de loups sont donc une mesure politique dont le seul objectif est de satisfaire une partie du secteur de l’élevage.
Une mauvaise réputation injustifiée
Le loup pâtit d’une mauvaise réputation. Dans notre imaginaire collectif, le loup est synonyme de prédateur cruel. Cependant, contrairement à ce qu’a déclaré la présidente de la CE, Ursula von der Leyen, le loup n’est pas un « véritable danger […] potentiellement pour l’homme ». En France, malgré l’augmentation de la population de loups et le fait qu’ils errent parfois près des habitations, il n’y a pas eu d’attaque contre des humains depuis des décennies. De plus, les Français sont 84 % à être favorables à la stricte protection du loup (sondage Savanta pour Eurogroup for Animals, 2020).
Lire aussi : « Cohabitation homme-loup en Europe : quatre scénarios proposés par les scientifiques » (Revue n° 102)
Repenser notre relation avec les grands carnivores : le choix de la cohabitation
Les auteurs d’une étude de 2019 concluent que « la gestion du loup doit avoir pour objectif de renforcer la séparation entre les humains et les loups à des échelles spatio-temporelles pointues afin d’éviter les conflits. Trop souvent, nous nous focalisons uniquement sur des approches réactives (abattage, compensation) plutôt que sur la racine du problème. Influencer le comportement des loups et la perception qu’en ont les humains, tout en veillant à ce qu’ils disposent d’une quantité de proies sauvages suffisante, voilà la politique qui offre les meilleures perspectives d’une situation avantageuse tant pour les humains que pour les loups. La situation nous oblige désormais à plus de bon sens. Nous devons éviter que la politique européenne par défaut soit d’instaurer les conditions d’un retour à la persécution du loup » (tradution libre). Nous sommes bien d’accord.
Le dossier « loup » n’est pas simple et l’exterminer n’est pas une solution, ni même une option. Pour l’instant. En effet, malgré nos efforts pour faire comprendre que ce dossier a besoin de rationalité et de dialogue, la LFDA observe d’un œil anxieux la Commission européenne. Sous la pression des syndicats agricoles, elle pourrait faire le choix de déclasser le statut de protection du loup au sein de l’Union européenne.
Nikita Bachelard
- Notons que 4,6 % des signalements ne précisent pas si les animaux ont été tués, euthanasiés, blessés ou si leur pronostic vital était menacé. ↩︎