Par Suzanne Antoine, membre fondatrice du Conseil d’administration de la Fondation Ligue française des droits de l’animal. Conférence donnée à l’Institut des Sciences Politiques, mardi 15 mai 2007, à l’invitation de l’association étudiante de Sciences-Po-Paris « Tribune Pour l’Animal », à l’occasion de la parution du livre « Le droit de l’animal » de Suzanne Antoine aux Editions Legis-France.
L’ouvrage Le droit de l’animal était souhaité depuis longtemps par tous ceux qui, pour des raisons diverses, étaient amenés à faire un travail sur la condition animale. Des étudiants, des universitaires, ou des membres d’associations de protection animale avaient besoin de connaître les principales dispositions du droit français en cette matière, souvent pour des études de droit comparé. Or, aucun travail d’ensemble n’avait encore été publié sur cet aspect particulier de notre droit.
Ce livre a pour objectif de combler cette lacune. De caractère essentiellement juridique, il expose les grandes lignes de notre législation. Il n’a pas de prétention à l’exhaustivité, la matière est trop riche, mais les références aux textes législatifs, le rappel des jurisprudences de principe et surtout la bibliographie, devraient permettre à ceux qui veulent approfondir un sujet précis de trouver rapidement les éléments complémentaires qu’ils recherchent.
Le droit de l’animal présente un caractère complexe qui provient des contradictions qui le caractérisent. La règle de droit est faite pour l’homme et par l’homme, elle est destinée à organiser la société humaine et à protéger ses intérêts. Or, l’animal, bien qu’être vivant, n’est pas une personne et la prise en considération de son intérêt propre était considéré, encore très récemment, comme une utopie. Le droit de l’animal qui émerge de nos jours, c’est un ensemble de règles de conduite, sanctionnées par le droit, destinées à régir les relations entre les hommes et les animaux.
Mais, dans ce domaine, pas de concertation, l’homme légifère à sa guise, en fonction de ses propres intérêts – tout en étant conscient que la gente animale est indispensable à sa vie et doit, au moins à ce titre, recevoir protection. A ceci s’ajoutent, heureusement des considérations d’ordre éthique, et le fait que les animaux ont de plus en plus de « supporters » bien décidés à parler en leur nom.
La complexité de cette législation très particulière provient aussi des multiples formes que revêtent les animaux. Comment englober, dans la même règle juridique des êtres aussi différents que les insectes, les poissons, les mammifères, les singes et nos compagnons familiers.
La question est simplifiée, dans le droit français par la distinction fondamentale traditionnelle séparant le régime de l’animal domestique (auquel est assimilé l’animal sauvage apprivoisé ou tenu en captivité) et celui de la faune sauvage vivant en liberté dans la nature. Les premiers relèvent du droit privé (code civil, code pénal, code rural), les seconds du droit public (code de l’environnement).
Le livre Le droit de l’animal traite essentiellement de l’animal domestique, le dernier chapitre étant consacré à la faune sauvage.
On ne peut étudier le droit de l’animal sans exposer l’évolution historique de la pensée humaine à son égard.
L’introduction de l’ouvrage est consacrée à ce long cheminement qui a d’abord revêtu, au fil des siècles des aspects philosophiques et religieux et qui s’est poursuivi, à partir du XIXe siècle sur un plan scientifique, notamment à la suite des théories de Darwin. Une législation protectrice des animaux a commencé à émerger.
La seconde moitié du XXe siècle s’est caractérisée par une révision complète de la conception de l’animalité dans ses rapports avec l’humanité. Cette évolution est née de la rencontre de divers facteurs, tels que le développement des études consacrées au comportement animal, l’accroissement du nombre des animaux de compagnie, les pratiques alimentaires davantage orientées vers l’alimentation carnée.
Le droit de l’animal a commencé à exister à l’issue de la seconde guerre mondiale, en rapport avec les réflexions menées par le Conseil de l’Europe et par les organismes fondés par l’ONU.
C’est à partir de 1970 qu’ont été signées les grandes conventions internationales pour la préservation de la nature assorties d’instruments financiers destinés à assurer leur pérennité. Le Conseil de l’Europe a élaboré des conventions concernant les animaux d’élevage, ceux utilisés pour la recherche scientifique ainsi que les animaux de compagnie. La Communauté européenne a ratifié ces conventions qui ont inspiré l’essentiel de sa politique. Le droit communautaire est aujourd’hui la source la plus importante du droit de l’animal, imposant une harmonisation de la législation applicable aux animaux dans tous les pays membres.
C’est à un bouleversement complet des notions traditionnelles de la « protection animale » que nous assistons depuis quelques décennies. Que de chemin parcouru depuis la loi Grammont de 1850 qui tentait timidement de limiter les cruautés infligées aux chevaux et bêtes de somme. Désormais, il faut légiférer, sur un plan international, à l’égard de millions d’animaux, élevés pour l’alimentation, de manière intensive, faire face à une prolifération d’animaux de compagnie, encadrer les expérimentations sur les animaux, les domaines de recherches ne cessant de s’amplifier. L’exploitation des animaux qui génère d’énormes profits a des répercussions sur l’ensemble des circuits commerciaux. La politique agricole cherche encore sa voie entre rendement et retour à un élevage plus biologique, tout en respectant les impératifs de l’OMC.
D’où la prolifération de textes qui essaient, avec plus ou moins de succès, de concilier une condition animale décente avec les nécessités économiques.
La protection animale se traite désormais au niveau de l’Etat et des organismes communautaires.
Pour voir clair dans cette jungle administrative, l’ouvrage en décrit les structures essentielles : pour les animaux domestiques, il s’agit du Bureau de la protection animale, institué en 1980, au sein du ministère de l’agriculture, rattaché à la direction de l’alimentation, de services départementaux et municipaux et pour la faune sauvage, des services du ministère de l’écologie.
Une place importante est donnée sur l’organisation de la protection animale au sein des instances communautaires et européennes, sur le nouveau concept européen de « bien-être animal » qui se substitue à celui de « protection animale » et surtout sur l’importance que revêt le Protocole annexé au Traité d’Amsterdam de 1997.
Ces nouvelles structures étatiques et supra étatiques laissent subsister le rôle très important des associations privées de protection animale, groupes de pression indispensables qui sont les défenseurs indépendants des animaux, mais doivent désormais posséder des compétences économiques, juridiques et scientifiques pour intervenir efficacement dans les discussions.
Le chapitre concernant le régime juridique de l’animal
montre les difficultés rencontrées par le législateur pour établir un régime juridique permettant d’inclure l’animal dans les structures traditionnelles du droit français. Il y est fait référence au rapport qui avait été remis au Garde des Sceaux en 2005, dont les propositions consistaient soit à créer, au sein du code civil, une catégorie, intermédiaire entre personnes et biens, réservée aux animaux, soit à laisser ceux-ci dans la catégorie des biens mais en leur conférant une qualification de « biens protégés ».
Le chapitre consacré à la protection pénale de l’animal domestique
reprend l’ensemble des textes en vigueur, avec des références jurisprudentielles. Les exceptions légales comportant des immunités pour les organisateurs des corridas et combats de coqs, sont commentées au vu de l’évolution de la jurisprudence.
L’utilisation de l’animal dans la recherche scientifique
est un sujet auquel l’opinion publique est très sensible, certains estimant qu’elle doit être totalement abandonnée, d’autres, et c’est le point de vue des scientifiques, considèrent que ces recherches sont légitimées par l’intérêt de la santé humaine. L’utilisation des primates pour les recherches sur le sida, notamment, fait actuellement l’objet de polémiques.
Les domaines dans lesquels s’effectuent des tests sur les animaux ne cessent de s’étendre, puisque, outre leurs utilisations à des fins médicales, les tests sont aussi pratiqués pour évaluer les dangers des produits chimiques, des pesticides ou des produits ménagers.
La question de l’utilisation des tests sur les animaux en matière de produits cosmétiques
a soulevé de vigoureuses protestations de consommateurs qui ont influé sur les décisions européennes. Directives et amendements se sont succédés depuis 1976, l’interdiction de vente des produits cosmétiques dont la formulation finale aura fait l’objet d’une expérimentation animale est prévue pour 2009. Pour certains tests de toxicité, les délais de mise en application ont été reportés à plusieurs reprises. La validation des méthodes alternatives à l’emploi du modèle animal ne progresse que lentement.
Les expériences scientifiques sont réglementées par des dispositions juridiques françaises et communautaires dont la liste est fournie à la fin du chapitre concerné. Elles sont encadrées par des structures administratives, en particulier par la Commission nationale de l’expérimentation animale, assistée depuis 2005 par le Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation. Les pratiques de clonage des animaux, qui entraînent pour eux d’intenses souffrances et se concluent par des résultats souvent décevants sont, semble-t-il en régression mais le marché de la thérapie génique est en pleine expansion.
Les animaux d’élevage,
en raison de leur nombre et de leur importance économique, tant sur le plan national qu’international, font l’objet d’une législation particulièrement dense qui encadre leurs conditions d’élevage, de transports et d’abattage, en fonction des différentes catégories d’animaux. Des efforts ont été faits pour améliorer en particulier les transports d’animaux vivants sur de grandes distances. Le problème a été abordé par une Convention du Conseil de l’Europe qui remonte à 1968. Depuis cette date, des directives européennes se sont succédées pour tenter d’éviter à ces animaux des voyages éprouvants : or, le stress et l’inconfort continuent à sévir, les contrôles insuffisants ne permettent pas de sanctionner les fréquentes infractions à la législation.
L’animal de compagnie
bénéficie, comme tous les autres animaux domestiques de la protection générale édictée par le code pénal relativement aux sévices et mauvais traitements, mais il fait aussi l’objet d’une réglementation spécifique.
Outre la réglementation sur les animaux dangereux qui vise surtout la protection du public, le code rural contient un ensemble de mesures relatives aux animaux perdus ou abandonnés, à la gestion des fourrières et des refuges, à l’obligation du tatouage pour certains animaux. La prolifération des chiens errants, dans les départements d’outre-mer est un problème préoccupant que l’application d’un décret de 2002 n’a pas encore réglé.
La commercialisation des animaux de compagnie, leurs importations et exportations, les trafics dont ils sont l’objet sont autant de matières qui ont donné lieu à une réglementation nationale et communautaire qui tente de mettre fin à un commerce clandestin. La Convention européenne sur la protection des animaux de compagnie énonce des principes de base quant aux obligations morales des détenteurs d’animaux familiers. Proposée à la signature en 1987, elle n’a été adoptée par la France qu’en 2004…
Les animaux d’espèces sauvages détenus en captivité,
sont assimilés par la loi aux animaux domestiques. Ils font l’objet d’une stricte réglementation, énoncée dans le code de l’environnement qui limite la possibilité par les particuliers de détenir certaines espèces sauvages. La réglementation porte sur les conditions exigées pour les établissements détenant des espèces non domestiques, pour les élevages d’agrément, les cirques et les zoos. Là encore, il faut enrayer le trafic des animaux sauvages, qui occuperait, en chiffre d’affaires la 3° place des trafics clandestins, après la drogue et les armes.
Le dernier chapitre de cet ouvrage est consacré au régime juridique de la faune sauvage.
Notre législation est encore imprégnée des traditions issues de l’ancien droit français : l’animal sauvage était du gibier, le droit de chasse était un privilège de la noblesse. La restitution de ce droit au peuple, en 1989, a eu un caractère symbolique. Il en reste que le régime juridique de la faune sauvage est, dans notre pays, étroitement lié à la législation sur la chasse.
L’organisation administrative reflète cette situation, puisque, au sein du Ministère de l’écologie, la conservation de la faune sauvage est confiée à la sous-direction de la chasse.
La préservation de la faune sauvage relève du droit de l’environnement, lui-même issu des conventions internationales conclues depuis 1972 visant à la conservation du patrimoine naturel de l’humanité. Ces conventions ont porté, non pas sur la protection des animaux sauvages en tant qu’individus, mais sur la préservation de leurs espèces.
Dans ce même esprit notre droit français ignore l’animal sauvage, qui ne bénéficie pas comme l’animal domestique des dispositions pénales répressives sur les mauvais traitements et les atteintes à sa sensibilité. Ce sont les espèces qui sont protégées.
Toutes les espèces ne sont pas égales devant la loi. Les « espèces protégées », menacées de disparition, sont répertoriées dans des listes établies par arrêtés ministériels, on ne peut ni les détruire, ni les détenir hors du cadre légal. Les espèces chassables, c’est-à-dire le gibier, sont également répertoriées dans une liste limitative. Les animaux « nuisibles » figurent dans des listes établies à l’échelon préfectoral : ils peuvent être détruits mais l’opportunité de cette destruction doit s’apprécier dans le respect des équilibres biologiques. Il serait souhaitable qu’un régime particulier de protection puisse être créé en faveur de l’animal sauvage lui-même car sa sensibilité est aussi réelle que celle des autres animaux.
Le droit français, déjà constitué d’un grand nombre de textes, évolue constamment en fonction des impératifs sociaux et de ceux de la vie économique.
Il reste encore incomplet tant qu’une modification du code civil ne sera pas intervenue pour établir un régime juridique propre à l’animal. Sur le plan du droit pénal toutes les formes de cruautés commises envers les animaux devraient être sanctionnées et les immunités accordées aux organisateurs des courses de taureaux et de combats de coqs supprimées.
Il conviendrait aussi d’assurer une meilleure application des textes existants par le renforcement de contrôles pour assurer une répression pénale plus dissuasive.