Explosions de couleur, de formes et de lumières, les feux d’artifice présentent un spectacle de plein air apprécié et attendu. Ils constituent une tradition qui émerveille et impressionne toujours les êtres humains. Si on se place du point de vue des animaux, par contre, ces perturbations pyrotechniques représentent plutôt de fortes nuisances, en plus d’être sources de pollutions persistantes. Ces feux ont des impacts graves sur la santé mentale et physique des animaux sur le plan individuel, sur la dynamique des populations et leur capacité de reproduction, ainsi que sur la santé environnementale.
Atteintes à la santé mentale et physique des animaux
Bien que nos animaux de compagnie bénéficient d’une attention particulière au quotidien, les feux d’artifice sont la source de souffrances souvent sous-estimées par les propriétaires. Une étude menée par des chercheurs en Nouvelle-Zélande (Gates et al., 2019) a enquêté auprès de plus de 4 000 propriétaires qui possédaient environ 16 000 animaux de compagnie. L’étude a conclu que 74,4 % des animaux étaient effrayés par les feux d’artifice. Or, parmi les propriétaires de ces animaux, 71,9 % n’ont pas demandé d’aide ou de traitement pour leur animal. Les réactions négatives les plus fréquemment signalées étaient pourtant la dissimulation (70,8 %) – l’animal se cache –, les frissons (54,3 %) et le recroquevillement (44,5 %). Les propriétaires ont également déclaré que 345 animaux avaient été physiquement blessés par des feux d’artifice.
Ces réactions de panique sont évidemment similaires chez les animaux sauvages. Une étude de chercheurs en Allemagne (Rodewald et al., 2014) a observé plusieurs espèces de mammifères et d’oiseaux dans un zoo allemand avant, pendant et après des feux d’artifice d’une durée de 6 à 8 minutes pendant deux soirées. Les résultats ont montré diverses réactions, comme une augmentation de la nervosité, des mouvements, et une mise à l’abri.
« Dans le cas des oiseaux très grégaires [qui vivent en nuées], comme les étourneaux et les carouges à épaulettes, une réaction de panique peut se diffuser dans tout le groupe. En temps normal, le ballet de leurs vols, en rangs serrés, est parfaitement coordonné. Mais ce sont des espèces diurnes [actives le jour], qui ont une mauvaise vision nocturne. Suite à la détonation, elles s’envolent de leur dortoir dans la précipitation, tentant de fuir le danger, mais elles n’ont pas de repères. Elles se collisionnent entre elles et s’écrasent contre des obstacles », explique à Reporterre Jean-Marc Pons, ornithologue au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN).
D’après Kim Dallet, chargée des relations publiques à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) : « À chaque 14 juillet, on déplore [une] perte [chez] de nombreuses espèces d’oiseaux, et pas uniquement des étourneaux… Ces derniers sont terrorisés par le bruit provoqué par les feux d’artifice, la déflagration qui résonne, les coups de canons. […] Les volatiles sont réveillés en pleine nuit et quittent leur nid complètement désorientés. Ils peuvent mourir d’une crise cardiaque mais pas seulement. Certains oiseaux, effrayés, s’épuisent rapidement en cherchant à fuir, d’autres en volant trop haut dans le ciel. D’autres encore sont tellement paniqués qu’ils se prennent des obstacles et s’écrasent contre les vitres et les murs » (La Dépêche).
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Certains feux d’artifice célébrant la fête nationale en France ont en effet causé la mort de plusieurs dizaines d’oiseaux. À Limoges en 2018, « les rues étaient jonchées d’une trentaine de cadavres de merles, moineaux et de martinets, relate Le Populaire. SOS Faune sauvage 87 a confirmé des morts liées à un traumatisme mais pas seulement. Certains ont été « piétinés et écrasés » ». À Toulouse en 2019, La Dépêche titrait : « Paniqués, des dizaines d’étourneaux sont morts aux pieds des spectateurs. » Lors du Nouvel An de Rome en 2021, des centaines d’étourneaux sont morts d’après Ouest-France. Cette hécatombe était due, selon l’Organisation internationale de protection animale (OIPA), aux nombreux feux d’artifice tirés cette nuit-là par les habitants.
Les survivants ne s’en tirent pas indemnes. En effet, de nombreux animaux possèdent une ouïe beaucoup plus sensible que celle des êtres humains. Les feux d’artifice peuvent émettre des sons allant jusqu’à 190 décibels (110 à 115 décibels au-dessus du seuil de 75 à 80 décibels à partir duquel les bruits deviennent dangereux pour l’oreille humaine) et génèrent un niveau sonore plus élevé que les pétards, les coups de feu (140 décibels) et certains avions à réaction (100 décibels). Les bruits causés par les feux d’artifice peuvent entraîner une perte d’audition et des acouphènes. On sait qu’il arrive aux chiens de souffrir d’une perte auditive irréversible du fait de la proximité du bruit de coups de feu (Levine, 2009).
Perturbation des migrations et de la reproduction
Les feux d’artifices annuels coïncident avec les mouvements migratoires ou reproductifs des animaux sauvages. Une période qui est pourtant critique pour la survie de la population. Les perturbations occasionnées ont des conséquences irréversibles. Plusieurs études ont analysé les effets à court et long termes sur certaines populations animales.
Sur le court-terme, les animaux fuient la zone de tir et ses environs. « Les fortes déflagrations, surtout quand elles sont soudaines, provoquent une augmentation du stress, du rythme cardiaque et de la vigilance des oiseaux », expliquait à Reporterre Jean-Marc Pons, décrivant des réactions d’abandons de nid en panique, laissant les oisillons livrés à eux-mêmes.
La LPO de Touraine a constaté en 2019 après les festivités du 14 juillet, l’effondrement des populations de sternes pierregarins et naines qui nichent sur les îlots de la Loire. Les parents s’envolent et abandonnent parfois définitivement la colonie. Or les œufs et les poussins qui restent sur le sol peuvent se refroidir ou être tués par des prédateurs. Des poussins effrayés peuvent même se jeter à l’eau et se noyer.
Une étude de chercheurs en Suisse (Weggler, 2015) a montré que sur le lac de Zurich, les feux d’artifice du Nouvel An peuvent provoquer une chute de 26 à 35 % du nombre de cygnes, d’oies et de canards en une nuit, les effectifs se rétablissant en 3 à 10 jours.
En 2022, d’autres chercheurs à l’IBED (Institute for Biodiversity and Ecosystem Dynamics) ont découvert que les oies sont tellement affectées par les feux d’artifice qu’elles passent en moyenne 10 % de temps supplémentaire à chercher de la nourriture que d’habitude dans les 11 jours qui suivent les feux. Elles auraient besoin de ce temps pour reconstituer l’énergie perdue ou pour compenser la zone de recherche inconnue dans laquelle elles se sont retrouvées après avoir fui les feux d’artifice.
Dans leur article « Pas seulement un feu de paille : les effets à court et à long terme des feux d’artifice sur l’environnement » (Bateman et al., 2023) des chercheurs ont examiné les effets écologiques des festivités de Diwali en Inde, des célébrations du 4 juillet aux États-Unis et d’autres événements en Nouvelle-Zélande et en Europe. L’examen a confirmé que les feux d’artifice affectent la faune sur le long terme. Par exemple, les experts ont découvert que les lions de mer le long de la côte chilienne avaient modifié leur saison de reproduction à la suite des feux d’artifice du Nouvel An. En Californie, les feux d’artifice de juillet sont associés au déclin des colonies de cormorans de Brandt. De plus, les fêtes espagnoles ont été associées à un moindre succès de reproduction chez les moineaux domestiques.
Les feux d’artifice ont des conséquences à plusieurs échelles temporelles, mais aussi spatiales. Ces importantes déflagrations importunent les animaux sur des kilomètres. En effet, les feux d’artifice aériens ont des hauteurs d’éclatement entre 100 et 200 m et peuvent atteindre 270 m, avec des diamètres d’éclatement de 100 à 150 m (Zrnić et al. 2020). Une étude du Department of Environment and Science de l’État du Queensland, en Australie, montre que les oiseaux marins sont – au minimum – perturbés par les feux d’artifices jusqu’à deux voire quatre kilomètres autour du spectacle.
Une équipe internationale de chercheurs d’Amsterdam (Hoekstra et al., 2023) a étudié les conséquences sur l’envol d’oiseaux en utilisant des radars météorologiques et des comptages systématiques d’oiseaux. Ils ont constaté que le soir du Nouvel An, en moyenne, 1 000 fois plus d’oiseaux sont en vol près des feux d’artifice que les autres nuits, avec des pics de 10 000 à 100 000 fois le nombre normal d’oiseaux. Les effets sont les plus forts dans les premiers 5 km des feux d’artifice, mais jusqu’à 10 km, il y a toujours en moyenne au moins 10 fois plus d’oiseaux volant que d’habitude.
Pollution générant des risques environnementaux importants
Les analyses atmosphériques menées par la fédération des Associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (Atmo) Bourgogne-Franche-Comté lors de la soirée du 14 juillet 2018 ont montré une corrélation entre les pics de pollution atmosphérique et le moment où les feux ont été tirés.
Les feux d’artifice sont une réelle source de pollution (Sijimol & Mohan, 2014), libérant du dioxyde de soufre, du dioxyde de carbone, du monoxyde de carbone, des particules en suspension, de l’aluminium, du manganèse, etc., dans une fumée noire composée de nitrate de potassium, de charbon de bois et de soufre. Ils participent de manière active à la pollution chimique du sol, de l’eau et de l’air, ce qui a des implications sur la santé humaine et animale.
Or, la toxicité des particules émises est élevée – des tests (ibid.) effectués sur des souris et des cultures de cellules humaines révèlent des réactions inflammatoires importantes et des effets néfastes sur les cellules et les tissus pulmonaires. D’après l’Atmo, les métaux utilisés pour donner la couleur pourraient avoir des effets délétères pour notre santé : « Les contaminations au cuivre [utilisé pour faire le bleu] sont susceptibles d’entraîner des taux élevés de dioxine et des problèmes de peau, les contaminations à l’aluminium [utilisé pour créer des étincelles] sont liées à des problèmes cognitifs et sont suspectées d’augmenter la prévalence de la maladie d’Alzheimer ; le baryum [utilisé pour faire du vert] peut causer des problèmes gastro-intestinaux », liste l’association.
Des études se sont intéressées spécifiquement à divers polluants, et ont chaque fois révélé des taux particulièrement élevés à la suite des feux. À Paris, en moyenne 1,5 tonnes de CO2 se répandent dans l’air à l’explosion des artifices selon Libération. Une étude américaine publiée dans la revue Atmospheric Environment (Seidel & Birnbaum, 2015) révélait quant à elle une hausse de 42 % du niveau de particules fines dans l’air au cours de l’heure qui suit le feu d’artifice, le taux ne revenant à la normale que le lendemain.
La présence de l’anion inorganique perchlorate, qui contribue aux explosions et à la lumière associées aux feux d’artifice, est particulièrement préoccupante. Cet anion joue un rôle dans les problèmes de reproduction, de développement neurologique, de développement, d’immunotoxicité et de cancérogénicité (Utley, 2002). Les feux d’artifice libèrent également des métaux lourds qui restent dans l’environnement et sont bioaccumulés. Ils causent des anémies et affaiblissent le système immunitaire des animaux.
Célébrer nos traditions en respectant les animaux sauvages et l’environnement : des alternatives spectaculaires aux feux d’artifice
Il faut se rendre à l’évidence, les préoccupations animalistes et environnementales nous enjoignent à rechercher des alternatives aux feux d’artifice qui occasionnent moins de dégâts sur la biosphère, tout en assurant un spectacle à la hauteur de nos attentes. Plusieurs entreprises émergent pour proposer de nouveaux types de divertissement. Silencieuses, réutilisables, sans émissions, de nouvelles technologies ont déjà conquis plusieurs collectivités et leurs habitants.
Dronisos est une entreprise française basée à Bègles (Nouvelle Aquitaine), et leader du secteur en Europe. Cette structure est notamment derrière le spectacle de drones mis en scène pour les 1 000 ans du Mont-Saint-Michel ou encore celui imaginé pour les 30 ans du parc d’attractions de Disneyland Paris. Les municipalités de Nîmes, Lourdes ou la Teste-de-Buch, ont opté pour un spectacle de drones. Un choix similaire pour la municipalité d’Arc-lès-Gray en 2023, qui a indiqué ne pas avoir dépensé un euro de plus que l’année précédente par rapport aux engins pyrotechniques. La ville de Perpignan a quant à elle préféré en 2023 un spectacle à base de lasers, chef d’œuvre de sons et lumières. À Arcachon en 2023, un ballet de tissus aériens a allié vent, lumière et musique grâce à des baffles installées au bord de la plage. La compagnie à l’origine de ce spectacle est Porté par le Vent, une compagnie française qui existe depuis 20 ans et se produit à l’international. « Le but pour nous, c’est d’apporter du rêve et de la poésie, c’est de transformer l’espace un instant pour faire rêver les gens » témoigne Christophe Martine dans Sud-Ouest, concepteur du spectacle et des structures. Les formes imaginaires qui ont volé dans le ciel représentaient des espèces d’oiseaux-poissons fantastiques.
Cependant, les drones et autres objets volants peuvent eux aussi poser des problèmes. En volant à basse altitude comme c’est le cas généralement, ils sont plus susceptibles de rentrer en collisionavec les oiseaux. Par les nuisances sonores qu’ils peuvent aussi générer, ils peuvent perturber les espèces les plus sensibles. Les recherches qui étudient leur impact sur la faune sauvage restent rares. Une méta-analyse le souligne, et demande davantage de recherches et de réglementation pour l’utilisation récréative de drones dans les zones sensibles pour les animaux (Rebolo-Ifrán et al., 2019).
Camille Assié