Les animaux de compagnie en EHPAD : enfin !

Face au vieillissement de la population, la question du « bien vieillir » constitue un enjeu sociétal majeur pour les pouvoirs publics. Aujourd’hui, environ 10 % de la population est âgée de plus de 75 ans, et environ un quart des personnes de plus de 80 ans est propriétaire d’un animal de compagnie.

L’accueil des animaux de compagnie au sein des EHPAD est issu d’un combat historique et représente une avancée majeure

Selon un sondage IFOP réalisé en 2024 pour la Fondation 30 Millions d’Amis, 86 % des personnes sondées sont en faveur de l’accueil des animaux en établissement du type EHPAD. À l’aune de ces chiffres et au regard d’une forte attente de la société civile, la question se pose de savoir dans quelle mesure il était encore légitime de priver les personnes âgées de leurs compagnons de vie « non-humains ». Cet accueil, dont l’apport en termes de bien-être émotionnel et psychique est amplement documenté par des études scientifiques, a été de longue date l’objet d’une forte mobilisation d’associations de défense de la cause animale. Il est donc bienvenu qu’une loi vienne enfin consacrer ce droit, bien que les conditions pratiques de sa mise en œuvre sont susceptibles d’en limiter la portée.

Une avancée significative attendue de longue date bien qu’elle ne soit pas encore précisée dans son application

Le 27 mars dernier, le Sénat a validé la proposition de loi dite « Bien vieillir » qui a été adoptée le 8 avril et publiée au Journal officiel de la République française le 9 avril 2024. Cette loi crée un droit nouveau, celui pour les personnes âgées d’accueillir leurs animaux de compagnie au sein des EHPAD dans lesquelles elles sont placées. Cette législation introduit donc une obligation à la charge des établissements d’hébergement là où la situation antérieure laissait à l’appréciation discrétionnaire des directeurs le soin d’en décider.

Il est intéressant de noter que l’amendement proposé par le député (LR) Philippe Juvin a failli disparaître du texte législatif, à l’initiative du Sénat. Cet amendement a finalement été réintroduit par la commission mixte paritaire. La lecture des travaux législatifs nous permet de comprendre les inquiétudes exprimées par certains sénateurs s’agissant de l’introduction de ce nouveau droit au bénéfice des résidents et à la charge, essentiellement, des établissements. Les préoccupations portent sur la situation financière dégradée de nombre d’établissements publics et associatifs (environ 70 % d’entre eux seraient en déficit budgétaire), sur le manque de personnel (50 000 postes doivent être créés d’ici à 2030), ainsi que d’un défaut de formation professionnelle. Selon les membres de la Chambre haute du Parlement, cette situation pourrait être fragilisée davantage selon la charge et les responsabilités qui incomberont aux établissements. Le Sénat semble donc avoir accepté que ce droit existe, à condition qu’il soit strictement encadré.

C’est en ce sens que la ministre déléguée chargée des personnes âgées et des personnes handicapées s’est engagée à prendre les mesures d’application qu’elle veut « équilibrées » et qui seront élaborées en concertation avec les acteurs professionnels du secteur ainsi que les associations. Si elle s’est félicitée d’une telle avancée qui marque un tournant significatif sur le sujet, elle a par ailleurs souligné que ce droit s’inscrit dans une série de mesures consacrées à lutter contre l’isolement des personnes âgées et à prévenir la perte d’autonomie. Un arrêté doit donc déterminer les conditions d’hygiène et de sécurité auxquelles les établissements et les résidents doivent satisfaire afin d’être autorisés à accueillir les animaux de compagnie. Ce même arrêté doit également déterminer les catégories d’animaux ainsi que les limitations de taille maximale pour chacune d’elles.

La LFDA ainsi que d’autres associations historiquement mobilisées sur ce dossier travailleront de concert pour participer activement aux consultations organisées par le ministère du travail, de la santé et des solidarités. Il s’agira de garantir que les modalités pratiques de mise en œuvre ne rendent pas ce droit inopérant sur le terrain.

Une dimension éthique du bien-vieillir et la prise en compte des besoins affectifs de l’animal

II est par ailleurs assez révélateur que l’amendement ait été proposé par le député P. Juvin, médecin-anesthésiste, chef de service des urgences, au fait des enjeux liés à la prise en charge et de l’accompagnement des patients et de personnes âgées dépendantes. Si le sujet peut paraître secondaire par rapport aux questions de bioéthique liées à la fin de vie, la question du bien vieillir amène à s’interroger sur ce qu’implique le respect de la dignité humaine. Cette dignité semble requérir que l’on accorde la même considération aux relations affectives que les humains ont noué avec des animaux de compagnie ou domestiques, que celle attribuée aux relations humaines interpersonnelles. Ainsi, dans la lignée des réflexions sur les concepts de souci de soi et de souci de l’autre menées par certains philosophes tels que Michel Foucault ou, plus récemment, Cynthia Fleury (« éthique du care ») (Fleury, 2018), la préservation des rapports qui lient des personnes à des animaux devrait être considérée comme consubstantielle du respect de la dignité humaine.

D’autre part, les avancées scientifiques conduisent à confirmer que certaines catégories d’animaux, dont il est question ici, sont dotées d’une conscience de soi, capables de ressentir des émotions et avoir des comportements sociaux complexes. Aussi, lorsqu’une personne âgée placée en EHPAD est séparée d’un animal avec qui elle a partagé des années de sa vie, la souffrance et l’angoisse générées par la séparation sont vécues tant par l’homme que l’animal. Il est par ailleurs d’autant plus problématique que ces animaux sont souvent placés en refuge et proposés à l’adoption faute de solution trouvée par l’entourage proche. Adoption d’autant plus difficile que les animaux ont souvent un âge assez avancé lorsque cette situation survient.

Ces réflexions peuvent trouver une résonnance dans l’arrêt de la Cour de Cassation du 9 avril 2015, à l’occasion duquel les juges définissent qu’un animal de compagnie est un être vivant unique et irremplaçable en ce qu’il est le « réceptacle d’une affection unique ». Cette dimension de la relation devrait primer sur toute autre considération, et les conditions matérielles et sanitaires devraient être organisées de telle sorte que ce droit soit effectif et opposable. La crainte objective porte sur la nature et le degré de restrictions qui seront imposées par les décrets d’application et l’arrêté ministériel.

Les arguments mobilisés au bénéfice des personnes âgées dépendantes, dans ce nouveau contexte législatif, devraient à notre sens s’appliquer aux personnes sans domicile fixe accueillies au sein des centres d’hébergement d’urgence. En effet, les exigences sanitaires et de sécurité sont telles qu’elles conduisent régulièrement les propriétaires d’animaux à refuser une mise à l’abri, afin de ne pas être séparés de leurs compagnons de vie. À travers ces exemples, il est possible de mieux saisir en quoi les situations de particulière vulnérabilité (dépendance, handicap, vieillesse, précarité) sont le lieu d’une détérioration des liens de sociabilité et d’affection, de part et d’autre. Pour autant, il convient de souligner le travail remarquable réalisé sur le terrain par le secteur associatif dans l’attente d’une uniformisation, par le droit, des conditions d’accueil.

La présence d’animaux contribue à l’amélioration du bien-être de tous les membres de l’établissement

Cette loi introduit  donc dans le code de l’action sociale et des familles un alinéa 1 à l’article L311-9 qui dispose que « sauf avis contraire du conseil de la vie sociale mentionné à l’article L311-6, les établissements mentionnés au 6° de l’article L312-1 garantissent aux résidents le droit d’accueillir leurs animaux de compagnie, sous réserve de leur capacité à assurer les besoins physiologiques, comportementaux, et médicaux de ces animaux et de respecter les conditions d’hygiène et de sécurité définies par arrêté du ministre chargé des personnes âgées et handicapées. Cet arrêté détermine les catégories d’animaux qui peuvent être accueillis et peut prévoir des limitations de taille pour chacune de ces catégories ».

La loi « Bien vieillir » devrait ainsi avoir pour conséquence d’atténuer l’hétérogénéité et les inégalités existantes en lissant la situation sur l’ensemble du territoire français. Des critères objectifs et transparents devraient conduire les instances collégiales compétentes à prendre une décision éclairée et motivée. Ce processus se substituerait à l’appréciation souveraine et unilatérale du chef d’établissement qui prévaut encore actuellement.

Les bénéfices attendus d’une telle mesure sont multiples, et déjà densément documentés. Il s’agit tout d’abord d’humaniser des établissements soumis à des contraintes économiques externes à leur objet socio-médical. En effet, il est établi que la présence d’animaux en EHPAD est de nature à enrichir l’environnement des résidents et des soignants en leur apportant une dimension affective et d’interaction sociale stimulante. Il est de plus acquis que cette présence améliore nettement la qualité de vie et le bien-être de manière générale de toutes les personnes en contact avec eux. Au prisme des résultats observés dans les établissements qui autorisent déjà l’accueil des animaux, il est avéré que le taux de stress et d’anxiété, les comportements agressifs ou d’exclusion, le sentiment d’isolement et d’enfermement sont significativement atténués par la participation d’animaux à la vie collective de l’établissement. Il s’agit souvent des animaux de compagnie des personnels soignants (dits « animal mascotte »). 

Les animaux ont un impact positif sur les patients souffrant d’une maladie

Il peut être également évoqué les résultats probants obtenus grâce aux nouvelles méthodes de zoothérapie et de médiation animale au sein des établissements hospitaliers ou médico-sociaux. C’est une pratique qui tend à se développer de plus en plus, en particulier au regard de ses externalités positives sur le bien-être des patients, leur état mental et émotionnel, ainsi que leur capacité de résilience face à une maladie.  Au Japon et aux États-Unis, l’on peut rapporter des expériences conclusives réalisées en milieu hospitalier, entre 2009 et 2015, durant lesquelles des animaux robots ont été mis à disposition de patients souffrant de troubles de démence. L’étude a prouvé que leur anxiété était réduite ainsi que leur besoin en médicaments. Cela a également eu un impact favorable sur les problèmes de comportements.

Billet de Louis Schweitzer : « Médiation animale, l’expérience du lien bienfaisant avec un animal familier » (n° 110)

La charge d’un animal favorise le sentiment de responsabilité et contribue à prévenir la perte d’autonomie

Dès lors que le résident est en charge de son animal, il en est responsable et il lui appartient d’en prendre soin, dans la limite de ses capacités. En effet, le fait de s’occuper d’un animal domestique requiert une vigilance accrue, une attention soutenue et régulière, des gestes et une mobilité qui sont autant de sources de stimulation et d’interaction riches. Outre les liens affectifs que cette relation engendre, le fait de prendre soin d’un animal contribue activement à la prévention du sentiment d’isolement et permet de lutter contre la dépendance. Ces interactions stimulent en effet des fonctions psychomotrices et cognitives (dont la mémoire et la sociabilité), en jeu dans le cadre de maladies dégénératives. Il y est d’ailleurs souvent recouru en ce qui concerne des maladies telles que Alzheimer (Poujol, 2009).

Garantir le bien-être des animaux au sein des EHPAD

C’est une des conditions qui fera l’objet de toute l’attention des parties prenantes : la capacité des propriétaires à s’occuper convenablement de leurs animaux, sur les plans physiologiques, comportementaux et médicaux. En effet, les personnes âgées placées en EHPAD rencontrent souvent des problèmes cognitifs ou une motricité réduite. Il conviendra donc de s’assurer soit que le résident lui-même, à défaut un proche ou de la famille, soit un membre de l’équipe de l’EHPAD, puisse être désigné responsable du bien-être de l’animal en question. Cette personne aura notamment la charge d’assurer les sorties ainsi que les soins de l’animal (vermifuge, puçage, etc.)

De même, il conviendra de prévoir par anticipation les modalités de prise en charge de l’animal en cas de décès du propriétaire. À cet égard, des organisations telles que la Fondation Assistance aux Animaux disposent de refuges dédiés à l’accueil des animaux dont les propriétaires ont disparu.

Des conditions pratiques susceptibles de limiter les capacités d’accueil

La loi « Bien vieillir » prévoit que le Conseil de la vie sociale, composé de représentants du personnel et des résidents, sera l’organe compétent pour émettre un avis négatif et s’opposer à l’accueil des animaux au sein de l’établissement considéré. Ce refus pourra être fondé sur des critères objectifs listés dans l’arrêté ministériel qui fixera les conditions d’hygiène et de sécurité requises pour garantir la sécurité et la santé de tous les résidents. En effet, les difficultés liées aux allergies ou aux zoonoses pourront motiver une décision de refus. Pour autant, il est prévisible que d’autres considérations telles que l’incompatibilité des caractères entre animaux, les insuffisances matérielles ou de ressources humaines, ou encore l’absence d’espaces verts extérieurs, pourront a priori également fonder un avis défavorable. À cet égard, bien que la loi a été soutenue par l’association des directeurs d’EHPAD, certaines voix se sont exprimées pour faire part de leur préoccupation quant à la faisabilité matérielle et humaine de ce droit. Le travail de consultation organisé par les pouvoirs publics en est d’autant plus primordial.

En conclusion, si l’accueil des animaux en EHPAD représente une avancée majeure que l’on doit saluer et encourager en faveur d’autres publics, il s’agira de s’assurer que sa mise en œuvre concrète n’en affaiblit pas la portée, y compris pour le respect des animaux.

Fiona Audefroy

ACTUALITÉS