En attendant la fin de la captivité des cétacés, le gouvernement a décidé de mettre à jour les règles de détention de ces animaux, vieilles de plus de 40 ans. Malheureusement, cette révision non plus n’est pas à la hauteur.
Le premier delphinarium français a accueilli des orques en 1970. Il s’agissait de Marineland, établi à Antibes. Son fondateur, le comte Roland de la Poype, voulait, d’après le site du zoo marin, « transmettre sa passion pour le monde marin à un large public afin de lui faire découvrir cet univers fascinant ». Il a donc enfermé des orques dans un bassin en béton… à 300 mètres de la mer. La décennie suivante, le ministère de l’Environnement a établi des règles de fonctionnement et les caractéristiques afférentes aux installations abritant des cétacés vivants avec l’arrêté du 24 août 1981. Plus de 43 ans plus tard, un nouvel arrêté, publié en juin 2024, vient le remplacer, sans toutefois acter l’avancée majeure de ces dernières années : l’interdiction de détenir des cétacés en captivité pour le divertissement.
La nécessaire actualisation des normes
Des dispositions obsolètes
L’arrêté du 24 août 1981 était jugé obsolète, aussi bien par les professionnels du secteur que par les défenseurs des animaux, face aux avancées scientifiques des dernières décennies. Les termes de bien-être animal, de comportement ou encore d’éthologie ne figurent pas dans le texte. En revanche, l’arrêté de 1981 comporte des exigences en matière de qualité de l’eau, mais aussi de taille minimale des bassins – dérisoire –, d’alimentation, d’hygiène… Ces paramètres, basés sur des recherches scientifiques, devaient être mis à jour.
Un texte révolutionnaire qui n’a pas fait long feu
Le 3 mai 2017, après consultation des professionnels des delphinariums et des organisations de protection animale, dont la LFDA, le gouvernement a pris un nouvel arrêté venant remplacer celui de 1981. Ce texte était une petite révolution : en plus de mettre à jour les paramètres contenus dans le texte précédent et de combler ses lacunes, il interdisait la reproduction des animaux détenus et l’acquisition de nouveaux spécimens. Il signifiait donc, à terme, la fin de la captivité des cétacés à des fins de divertissement en France. Cependant, ce texte n’a pas fait long feu. Aussitôt pris, aussitôt attaqué devant le Conseil d’État par les parcs marins. Bien que défendu par cinq ONG, y compris la LFDA, il a finalement été annulé pour vice de procédure. Retour à l’arrêté de 1981.
Lire aussi : Les péripéties de l’arrêté delphinarium de 2017
La (mauvaise) application de la loi contre la maltraitance animale
L’interdiction de la captivité des cétacés en 2026
Depuis l’annulation de l’arrêté de 2017, une autre petite révolution s’est produite. La loi n° 1539 du 30 novembre 2021 a interdit les spectacles de cétacés et les contacts directs entre les cétacés et le public, ainsi que leur détention, sauf au sein de sanctuaires ou de refuges, ou dans le cadre de programmes scientifiques. La reproduction des animaux est également proscrite, sauf si elle fait partie d’un programme scientifique autorisé par le ministère de l’Environnement. L’ensemble de ces interdictions entreront en vigueur le 2 décembre 2026.
Ces dispositions législatives ont été considérées comme une victoire par les défenseurs des animaux. Elles ouvrent la voie vers la fin de la captivité des cétacés dans les delphinariums. C’est ce qui était souhaité par le législateur, comme le confirme le rapport d’application de la loi des députées Danielle Simonnet et Anne-Laurence Petel réalisé en 2022 : « L’esprit de la loi étant de mettre fin à la captivité des cétacés dans les delphinariums, cette dérogation ne doit pas être utilisée pour contourner l’interdiction. » Les rapporteures s’inquiétaient de la dérogation aménagée dans le cadre de programmes scientifiques, que pourraient vouloir invoquer Planète sauvage (Marineland ayant décidé de se séparer de ses cétacés). Les deux parcs avec delphinarium français détiennent 23 grands dauphins et deux orques – deux autres orques ont péri entre octobre 2023 et mars 2024.
Un arrêté loin d’être satisfaisant
Une dérogation inquiétante
L’arrêté du 28 juin 2024 fixant les caractéristiques générales et les règles de fonctionnement des établissements autorisés à héberger des spécimens vivants de cétacés vient-il lever les inquiétudes des députées Simonnet et Petel ? La réponse est négative. En effet, les programmes scientifiques, leur contenu, leur déroulé, leur objectif ou encore les critères permettant de définir ceux qui seront autorisés ou non ne sont pas l’objet de cet arrêté. Cela a été déploré par la LFDA, qui siège à la commission nationale consultative pour la faune sauvage captive, lors de l’examen du projet d’arrêté. Cela a également été regretté par le Conseil national de protection de la nature (CNPN), dans son avis du 20 décembre 2023, qui a jugé incompréhensible de devoir se prononcer sur ce texte sans examiner, en parallèle, les critères visant à autoriser des programmes scientifiques impliquant des cétacés captifs.
Des lacunes importantes
L’arrêté du 28 juin 2024 abroge donc celui de 1981 et établit des nouvelles règles de fonctionnement pour les delphinariums. Parmi elles, on peut noter des dispositions relatives aux personnels responsables des animaux, à la formation des soigneurs, aux soins aux animaux, au transport, à l’enrichissement du milieu. Malheureusement, le texte comporte des lacunes importantes, en plus de celle déjà évoquée sur les programmes scientifiques : les paramètres relatifs aux bassins (dimensions, qualité de l’eau, traitement des eaux, etc.) ne figurent pas dans l’arrêté, alors qu’ils faisaient partie de l’arrêté de 1981 et de celui de 2017. Ces paramètres devront être précisés dans l’autorisation d’ouverture de l’établissement et ne font donc plus l’objet de normes minimales. D’autres dispositions, tel le nombre de soigneurs par animal, souffrent d’une formulation vague et sujette à interprétation, à l’inverse de ce qui était formulé dans la version de 2017. En outre, si les spectacles sont interdits, la présentation des cétacés au public est toujours possible, sous réserve de montrer des comportements naturels ou d’apprentissage médical. D’ailleurs, le dressage, renommé « apprentissage », reste autorisé sous certaines conditions (s’il « concourt au bien-être des animaux » ou permet aux soigneurs et à l’équipe médicale d’établir un contact sécurisé avec les animaux). L’arrêté amalgame les delphinariums, que sont Marineland et Planète Sauvage, avec les refuges ou sanctuaires pour cétacés issus de la captivité, qui n’existent pas encore en France, et les centres de soins pour dauphins échoués, qui n’existent pas non plus. Pourtant, ces trois types d’établissement n’ont rien à voir les uns avec les autres. Enfin, l’arrêté n’interdit pas la reproduction des grands dauphins captifs. Le CNPN a déploré l’absence de cette disposition et l’a demandée expressément au ministère, à l’instar de la LFDA.
Quelques évolutions bienvenues
Bien qu’il soit globalement insatisfaisant, cet arrêté comporte tout de même des avancées pour les cétacés captifs. En premier lieu, la reproduction des orques est interdite. Il faut dire qu’il ne reste, au Marineland d’Antibes, que Wikie, la mère, et Keijo, le fils, et qu’ils ne devraient plus y rester très longtemps[2]. La contraception médicamenteuse est explicitement autorisée sur accord du vétérinaire. L’arrêté comporte aussi des mesures d’enrichissement des bassins et prévoit un plan d’enrichissement mis à jour régulièrement par un comité scientifique composé de spécialistes des cétacés et d’éthologues. L’arrêté dispose que les installations doivent permettre « aux animaux d’exprimer leurs besoins physiologiques et comportementaux ainsi que leurs attentes » (sic). Dans une tentative maladroite de reprendre la définition du bien-être animal établie par l’Anses en 2018, le texte apporte des règles visant à favoriser le bien-être des cétacés en captivité. Certaines mesures, comme des vagues et des courants d’eau seront certainement une nouveauté pour les parcs. Cependant, est-ce qu’elles suffiront à faire de la vie de ces animaux une vie qui vaut la peine d’être vécue ? Ce ne serait probablement pas l’avis de la primatologue de renommée mondiale Jane Goodall, qui s’est exprimée récemment à propos du delphinarium de Bruges en Belgique : « Aucun delphinarium […] ne peut répondre aux besoins de ces magnifiques mammifères. »
Dans son avis sur le projet d’arrêté, le CNPN résume bien l’esprit très complexe du texte réglementaire, qui concrétise « à la fois le projet d’interdire, à partir de 2026, les spectacles de cétacés, l’amélioration des conditions de détention dans les établissements […] et le souhait de permettre éventuellement aux deux établissements détenant des cétacés de conserver leurs animaux et de les présenter au public ».
Conclusion
Les normes encadrant la détention des cétacés en captivité avaient besoin d’être révisées. Toutefois, l’arrêté du 28 juin 2024 semble ne remplir sa mission qu’à moitié et, malgré l’esprit de la loi de 2021, légitimer l’activité des delphinariums. On peut regretter que le texte ne remette absolument pas en cause la captivité des cétacés à des fins scientifiques ou éducatives. Comme le soulignait le rapport d’application de Simonnet et Petel, « la rédaction des textes d’application relatifs à l’interdiction de détenir des cétacés dans les delphinariums doit faire l’objet de la plus grande vigilance ».
Nikita Bachelard