Pouvoir explorer et apprendre: la clé pour améliorer les conditions de vie des animaux captifs?

Les conditions de vie des animaux élevés en captivité sont souvent peu propices à un état de bien-être. Une récente revue de littérature (Veissier et al., 2024) forme l’hypothèse que l’enrichissement environnemental, permettant aux animaux d’explorer et d’acquérir de nouvelles informations, est susceptibles d’améliorer efficacement leur bien-être.

Qu’est-ce qu’un enrichissement ?

Les auteurs de la revue, chercheurs à l’Inrae, distinguent l’enrichissement environnemental de l’amélioration environnementale. L’amélioration pourvoit simplement aux besoins et aux préférences des animaux. Par exemple, on peut améliorer le type de nourriture pour rendre sa consommation plus satisfaisante. L’effet bénéfique est observé rapidement.

L’enrichissement environnemental peut faire partie d’une amélioration environnementale, en cela qu’il peut satisfaire un besoin primaire d’un animal et qu’il peut aussi lui procurer du plaisir. Les auteurs insistent sur l’intérêt pour l’animal d’une troisième dimension reposant sur l’acquisition d’informations à partir de l’environnement.

Une information est ici définie comme un stimulus (élément déclencheur) que l’animal perçoit et qu’il peut traiter. Il s’agit donc de modifier l’environnement de façon à y ajouter des informations pertinentes pour les animaux.

Quelques exemples d’enrichissements :

  • sensoriels (odeurs, sons, images…) ;
  • physiques (agrandissement de l’enclos, ajout de paille…) ;
  • des installations permettant l’exercice physique (supports, courant de l’eau pour les poissons…) ;
  • cognitifs (résolution de tâches, entraînement au « clicker »…) ;
  • alimentaires (diversité, accès à la nourriture entravé…) ;
  • sociaux (contacts avec les congénères ou les humains).

Lire aussi : « Poules et poulets : des animaux bien perchés » (revue n° 114)

L’acquisition d’informations comme source de satisfaction

L’enrichissement permet donc l’acquisition active d’informations, c’est-à-dire la capacité à interagir avec son environnement pour découvrir de nouvelles données (physiques, sociales, sensorielles, alimentaires…). Cela peut se manifester par l’exploration, la manipulation d’objets, la résolution de tâches, ou des interactions sociales.

Pourquoi l’ajout d’informations est-elle bénéfique pour le bien-être des animaux ? Il semble que beaucoup d’animaux, humains compris, prennent plaisir à explorer et à interagir avec leur environnement : ces activités sont intrinsèquement gratifiantes pour l’animal. À tel point que de nombreux animaux préfèrent une récompense conditionnée à la résolution d’un exercice plutôt qu’une récompense obtenue sans aucun effort ! Cela a été observé chez plusieurs espèces (rats, caprins, bovins, singes…). Watson et al. (1999) ont par exemple observé que des macaques, entraînés à résoudre des puzzles en échange d’une récompense alimentaire, finissaient par passer d’un puzzle à l’autre sans nécessairement attendre de récompense. La complétion de la tâche leur apportait en soi assez de satisfaction.

Il est notable que, chez les animaux carnivores et omnivores, le besoin d’enrichissement est encore plus fort que chez les herbivores, ce qui est à prendre en compte en particulier dans le contexte des parcs zoologiques. Il est également intéressant qu’un stimulus potentiellement négatif peut s’avérer enrichissant pour un individu, tant que l’élément provoquant le stress est léger et que l’animal est capable d’y faire face. On peut l’observer chez les humains au travail : un challenge que l’on arrive à dépasser entraîne un ressenti positif, tandis qu’un obstacle insurmontable est mal vécu (Boswell et al., 2004).

De même, la difficulté des tâches ou exercices à accomplir doit respecter un certain équilibre : trop simple, elle peut ennuyer un individu ; trop difficile, elle peut le décourager et le frustrer. Les auteurs évoquent l’état de « flow » (immersion profonde), qui reflète ce bon équilibre, permettant à un individu d’être complètement absorbé dans une tâche gratifiante.

Bénéfices à long terme

Cette appétence naturelle des animaux pour l’exploration et la résolution de problèmes permet de développer des compétences cognitives et comportementales dont les bénéfices peuvent s’observer à long terme. Un environnement enrichi stimule la flexibilité comportementale face à de nouveaux défis, comme s’adapter à des changements soudains ou résoudre des situations complexes. Les individus deviennent plus curieux (ce qui représente une prise de risque) et moins craintifs face à l’inconnu (néophobie). Leur aptitude à résoudre des problèmes, à surmonter des défis et à mémoriser des informations est améliorée.

Il existe tout de même une certaine variabilité dans les effets bénéfiques. Les individus les plus jeunes semblent bénéficier le plus de l’enrichissement environnemental : ils montrent plus de curiosité, et ont le plus besoin d’acquérir une flexibilité cognitive et comportementale pour pouvoir faire face à leur environnement futur.

Lire aussi : « Bien-être animal : les règles du jeu » (revue n° 117)

Conséquences pratiques

La thèse des auteurs, selon laquelle c’est l’acquisition d’informations de l’environnement qui rend l’enrichissement efficace, implique plusieurs constats et postulats.

  1. L’enrichissement peut être efficace même s’il ne dure pas longtemps.
  2. Des stimuli négatifs peuvent aussi être enrichissants.
  3. Un environnement complexe est enrichissant.
  4. Un environnement variable est enrichissant.
  5. L’agentivité de l’animal (sa capacité à initier et contrôler volontairement ses comportements) est essentielle.
  6. Autant les stimuli naturels qu’artificiels peuvent fonctionner.
  7. L’efficacité de l’enrichissement repose sur l’équilibre entre curiosité et néophobie.

Au final, cette revue scientifique devrait être utilisée pour repenser ce qui est aujourd’hui utilisé pour enrichir le milieu de vie des animaux que nous gardons en captivité (élevage, zoo, laboratoires…). Nous avons vu par exemple que ce qui est recommandé pour les cochons est vraiment sous-optimal, voire inutile dans sa version minimaliste. Nous avons également vu qu’un environnement inadapté, pauvre, pouvait mener les animaux à faire l’expérience d’états de mal-être avancés, allant jusqu’à la dépression.

Lire aussi : « Dépression, optimisme… ou comment les conditions de captivité influencent le moral des animaux » (revue n° 110)

L’idée n’est pas d’exiger que les animaux vivent une vie de rêve en captivité (les éleveurs n’en ont pas les moyens aujourd’hui) ni de faire croire aux consommateurs que c’est le cas. C’est d’assumer les connaissances scientifiques actuelles sur la sentience des animaux en respectant véritablement leurs besoins cognitifs et comportementaux.

Sophie Hild

 

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