La chasse est souvent présentée comme le loisir emblématique des populations rurales, à l’opposé des activités des habitants des grandes villes qui seraient incapables d’en saisir les tenants et les aboutissants. Pour en savoir plus, un sondage réalisé en novembre 2023 par Savanta pour dix organisations de protection animale européennes s’est intéressé à la perception de la chasse par les Européens issus de zones rurales.
Dix pays interrogés sur la chasse en zone rurale
Pour étudier cette question, des échantillons de 1 000 personnes ont été sélectionnés dans dix États membres1 sur la base de leur lieu de résidence, qualifié de « rural ». D’autres informations sur les sondés ont été collectées afin d’affiner la lecture des résultats, telles que leur intérêt pour la chasse (les chasseurs professionnels ou amateurs représentent 7 % de l’échantillon) ou pour l’élevage (agriculteurs ou particuliers propriétaires d’animaux de ferme). Les différentes questions qui leur ont été soumises avaient plusieurs objectifs : évaluer la cohérence entre l’attitude des populations rurales et les intérêts portés par les groupes de défense de la chasse, mesurer le niveau de connaissance général des ruraux sur les pratiques de chasse locales, et étudier leur perception de la chasse.
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La chasse à rebours des intérêts des populations rurales
Le sondage tente d’abord d’évaluer si les intérêts des populations rurales, au-delà de la seule pratique de la chasse, sont effectivement défendus par les groupes d‘intérêts cynégétiques. En effet, ces derniers se réclament régulièrement de représenter la ruralité dans sa globalité, et donc de porter la parole de ceux qui y vivent. Pourtant, seuls 12 % des répondants (10 % en France) se sentent correctement représentés par ces groupes. Parmi les chasseurs issus de l’échantillon, moins de la moitié (46 %) ont le même sentiment. Plus surprenant, l’écart se creuse entre les pratiquants d’une chasse de loisir (50 % se sentent représentés par les fédérations de chasse) et les chasseurs professionnels (seulement 38 %). Ce sentiment de décalage entre la population et les lobbies, constaté de manière homogène à travers les résultats des différents pays, que ce soit à la campagne ou dans les petites villes de plus de mille habitants, interpelle. Que penser également du défaut de représentativité des chasseurs par leurs pairs ? En France, la puissante Fédération nationale des chasseurs, véritable corporation, influence la réglementation dans le cadre de la mission de service public qui est confiée par l’État aux fédérations départementales. Des désaccords aussi importants mériteraient donc d’être examinés pour mieux comprendre les enjeux entre la chasse de loisir et celle de régulation.
Un sentiment d’insécurité partagé
Il est intéressant de mettre ces premiers chiffres en regard des 40 % d’Européens issus des zones rurales qui indiquent ne pas se sentir en sécurité lorsqu’ils sortent de chez eux pendant la saison de chasse. Certainement marqués par les accidents tragiques recensés chaque année et par la formation insuffisante des chasseurs sur le territoire, les Français sont les plus inquiets (62 %) et les plus réfractaires à sortir à cette période (52 %). À l’inverse, seuls 10 % de l’échantillon global (7 % des Français) assurent sortir sans crainte. On constate également que 41 % des chasseurs partagent ce sentiment d’insécurité, probablement car ils sont les premières victimes des accidents de chasse.
Enfin, sur cette question, les importantes disparités dans les résultats issus de chaque pays semblent indiquer que la confiance de la population varie selon les différentes cultures et pratiques cynégétiques. Par exemple, 45 % des Néerlandais se sentent en sécurité en période de chasse, un chiffre à l’image de la meilleure perception de la chasse confirmée par leur réponse aux autres questions. Notons qu’aux Pays-Bas, seules cinq espèces de petit gibier sont considérées chassables, que les méthodes de chasse et de piégeage autorisées sont plus limitées qu’en France et que le tourisme cynégétique n’est pas développé. L’échantillon néerlandais est aussi le moins favorable à la protection des animaux sauvages du fait de leur caractère sensible (12 % sont contre). Faut-il y voir une corrélation ?
Un rejet des pratiques de chasses cruelles
Le sondage révèle également une cohérence entre la sensibilité des Européens pour la protection de l’environnement et des animaux et leur rejet des chasses les plus cruelles. Ainsi, ils sont 70 % à répondre que les animaux sauvages sont des êtres doués de sensibilité qui doivent être protégés et 75 % à penser que les modes de chasse à l’origine de souffrances inutiles devraient être interdits. À ce sujet, les Italiens, les Suédois et les Allemands sont les plus convaincus.
Parmi ces pratiques, celle de la chasse en enclos est critiquée par 71 % des répondants, et celle de l’élevage de gibier par 70 % d’entre eux, y compris 60 % des chasseurs. Interrogés sur le fait d’harmoniser les pratiques de chasse à travers l’Europe sur la base d’éléments scientifiques et dans le respect de la réglementation européenne, 65 % de la population rurale soutient cette proposition. On apprend avec surprise que 62 % des chasseurs (et 70 % de tous les sondés) souhaitent que davantage de recherches soient menées sur le développement de pratiques réduisant la souffrance ou non létales et que l’on ait recours à ces dernières pour la régulation des populations.
Enfin, la protection des chiens utilisés pour la chasse fait également l’objet de préoccupations. Pour 77 % des Européens, leur propriétaire doit assurer leur sécurité lors de cette activité qui les met face à de multiples dangers, tels que le risque de noyade ou encore de blessures lors de rencontres avec des animaux sauvages qui tentent de se défendre. Notons que seulement 65 % des chasseurs professionnels possédant un chien sont d’accord avec cette affirmation, contre 81 % des personnes pratiquant la chasse de loisir.
Entre intérêts privés et besoin de réglementation
Les rapports entre la population locale et la pratique de la chasse sont complexes. La défense des intérêts privés des chasseurs a pour effet la mise en œuvre de politiques qui impactent la vie quotidienne de l’ensemble des riverains et leur environnement. Ces intérêts semblent pourtant diverger au sein même des communautés de chasseurs, tandis que le reste de la population rurale n’a pas voix au chapitre en ce qui concerne la réglementation de cette activité, avec laquelle elle n’a d’autre choix que de cohabiter.
Cette enquête, dont nous n’abordons ici qu’une partie des résultats sans pouvoir systématiquement les corréler aux modes de chasse propres à chaque pays, révèle un large consensus en faveur de pratiques mieux encadrées et davantage justifiées. Les réponses positives des chasseurs sondés indiquent également que des évolutions sont possibles. À la lecture de ces chiffres, plusieurs pistes émergent pour opérer une transformation dans notre rapport à la chasse, au niveau national comme européen : interdire la cruauté à l’égard des animaux sauvages afin de mieux les protéger, interdire les chasses les plus cruelles, réserver la chasse à la seule gestion de la faune sauvage ou encore tendre vers des pratiques non létales efficaces et applicables. Toutes ces propositions sont portées ardemment par la LFDA, qui a d’ailleurs consacré un colloque à la protection des animaux sauvages en liberté en 2021.
Léa Le Faucheur
- Allemagne, France, Espagne, Pays-Bas, Italie, Belgique, Pologne, Danemark, Suède et Roumanie. ↩︎