Chats ou pas chats ?

En Australie, les premiers chats ont abordé les côtes début du XVIIe siècle. Depuis, certains sont repartis à l'état sauvage, et n'ont cessé de se reproduire et d'attaquer la faune endémique.

Cet article est classé dans la rubrique « Sciences », parce qu’il doit être lu dans un esprit scientifique en s’efforçant d’aller au-delà des sentiments d’affection pour un animal de compagnie. Si cet obstacle paraît insurmontable au lecteur, mieux vaut alors qu’il passe à un autre article, car le sujet en question pourrait heurter inutilement sa sensibilité.

chat roux

En Australie

Il s’agit de la mise en danger d’espèces de la faune sauvage, dans une partie du monde particulière, l’Australie. En effet, l’Évolution durant des centaines de millions d’années d’isolement, a abouti à des espèces spécifiques à ce continent à l’écart de toute intrusion animale jusqu’à l’arrivée des navires occidentaux. Les premiers ont abordé les côtes au tout début du XVIIe siècle. Ces voyageurs explorateurs sont arrivés avec des rats, des souris, et des chats pour s’en débarrasser. Relâchés, volontairement ou non, les chats revenus à l’état sauvage ont gagné la brousse, se nourrissant de la petite faune notamment de petits mammifères marsupiaux. Sans prédateurs, ces chats harets se sont multipliés et dispersés, au point d’occuper aujourd’hui 99,8 % de la surface du continent, et de totaliser de 2 à 6 millions d’individus, selon l’abondance des proies, elle-même dépendant des pluies, notamment dans les zones intérieures à faible précipitation habituelle et à végétation dispersée.

Une menace pour les espèces de la faune sauvage

Le problème scientifique évoqué ci-dessus est la menace grave que ces chats harets font peser sur des espèces de la faune sauvage, une faune endémique et spécifique au continent Australien, donc particulièrement fragile et précieuse. La revue Biological Conservation du 4 janvier a publié une étude sur la prédation des chats harets en Australie, réalisée par une quarantaine de scientifiques spécialistes de l’environnement sous la direction du Dr Sarah Legge de l'université du Queensland, et fondée sur les preuves collectées lors d’une centaine d’enquêtes de terrain à travers le pays. La conclusion la plus inquiétante des travaux est que les chats harets sont réellement dévastateurs de la petite faune locale, au point de « porter atteinte aux efforts des gestionnaires de la conservation et des équipes de rétablissement des espèces endémiques menacées » : les aires protégées ne suffisent pas pour protéger la faune indigène.

Pourtant, la population des chats harets sur les 8 millions de km2 de l’Australie paraît bien faible, par rapport à ce qu'elle est en Europe. La raison pour laquelle ils sont aussi dévastateurs que l’étude scientifique l’a constaté, est que les animaux de la petite faune australienne ont évolué sans devoir acquérir les comportements leur permettant de se protéger de ce prédateur, auquel en conséquence ils sont très vulnérables.

Mesures nécessaires pour protéger les espèces endémiques

chat haretLa politique de conservation des espèces endémiques conduite en Australie a conclu à la nécessité de réduire les effectifs des chats harets, lesquels ont déjà amené l’extinction d’au moins 20 espèces de petits marsupiaux. Plusieurs méthodes sont envisagées. L’une consisterait à recourir à la restitution d'un habitat végétal buissonnant dense, en sorte que les petits marsupiaux aient des refuges pour échapper aux chats. Une autre préconise la création de zones clôturées sans prédateurs, voire le transfert de populations animales à préserver sur des îlots exempts de tout prédateur. Christopher Dickman, de l'université de Sydney préconise l’augmentation de la population de dingos dans l'arrière-pays, qui réduirait celle des chats ; mais l’augmentation des dingos pourrait alors menacer les troupeaux d’élevage. Selon le Dr Legge, auteur principal de la publication de Biological Conservation, il sera également nécessaire de prendre des mesures spéciales dans les zones urbanisées, où leur densité peut être 30 fois plus élevée que dans les zones naturelles, d’autant plus que ces chats errants des villes sont une source de chats harets de la brousse.

Ces mesures sont nécessaires, mais insuffisantes, car elles protégeront d’infimes territoires, sans influence sur la présence des chats harets dans la quasi-totalité du pays.

Il est donc envisagé de mettre en œuvre des programmes d'appâtage, de piégeage, de tir ou d'autres moyens d'éradication, visant à éliminer progressivement un total de 2 millions de ces chats harets. Mais ces programmes sont d’application difficile, en raison de la densité, réduite par endroits à un chat pour 2 km2…

Encore une fois, le problème de la prédation du chat haret en Australie doit être envisagé dans un esprit scientifique prenant en compte les graves conséquences de cette prédation sur des espèces de la faune sauvage, particulièrement précieuse en Australie puisque spécifique au continent, et non pas sous l’influence de considérations compassionnelles envers l’animal familier que le chat haret n’est plus ; le chat revenu à la vie sauvage y est réellement une espèce invasive, qui comme toutes les espèces invasives bouleverse les équilibres établis depuis des milliers de millénaires entre les espèces de la faune locale.

Dans le monde

Espèces à l'origine des exterminations : Rat noir, chat, chiens et cochonsPartout dans le monde, l'introduction imprudente d’animaux exogènes a causé de très importants dégâts écologiques : au total, depuis un demi-millénaire, près de 100 espèces d'oiseaux, de 50 espèces de mammifères, d’autant de marsupiaux, sans compter les reptiles, ont été ainsi exterminées. Les espèces à l’origine de ces exterminations sont principalement les rongeurs, surtout le rat noir, responsable de la disparition de 75 espèces : 52 oiseaux, 21 mammifères et 2 reptiles. En second rang sont les chats, suivis par les chiens et les cochons. Les régions du monde les plus appauvries sont l’Amérique centrale et les Caraïbes, l’Australie, Madagascar et la Nouvelle-Zélande, les espèces endémiques étant particulièrement touchées : 87 % des espèces décimées sont endémiques. En 2016, la Nouvelle-Zélande a annoncé qu’elle voulait faire disparaître toutes les espèces introduites sur son territoire avant 2050.

En France

Et en France ? Les chats domestiques sont 12 millions et leur nombre ne cesse d’augmenter ; le nombre des chats harets aussi, au point que dans beaucoup d’endroits ils sont les carnivores les plus nombreux dans le milieu naturel chassant passereaux, petits reptiles et amphibiens, outre les mulots, campagnols, et souris. En septembre 2015, Roman Pavisse (Centre d’écologie et des sciences de la conservation du Muséum national d’Histoire naturelle) a lancé une enquête nationale, en collaboration avec la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM) et la LPO, sur les comportements de chasse du chat afin d’affiner les notions de cohabitation entre animaux familiers et faune sauvage. Les résultats de l’enquête sont prévus pour 2018.

Espérons qu’elle se conclura par le constat d’une cohabitation possible, peut-être au prix (réduit) de quelques précautions. Il est assez facile de réduire la chasse aux petits oiseaux, sinon de l’empêcher, en mettant un collier au chat garni de deux petits grelots, qui avertiront les oiseaux et leur sauvera la vie (deux, parce que le chat peut coincer le grelot s’il n’y en a qu’un…). Et il est courant de recommander aux maîtres de chats qui aiment aussi les petits oiseaux, de disposer hors de portée des chats les mangeoires à graines et graisse qui les aident à se nourrir par grand froid.

Jean-Claude Nouët

Article publié dans le numéro 93 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

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