L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) établit « la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ». La Convention assure ainsi à chaque être humain la liberté de pensée, de conscience, et de religion.
Bien que l’on retienne principalement la dimension religieuse de cette disposition, c’est pour le quotidien de chacun d’entre nous qu’elle est d’une importance cruciale. Nos convictions peuvent en effet être exprimées et défendues lors de simples achats. Ainsi, ce texte garantit par exemple à une personne soucieuse du bien-être animal la liberté de choisir des produits (d’origine animale ou non) en fonction de leurs caractéristiques afin qu’ils soient en accord avec ses convictions.Seul l’étiquetage des produits semble être en mesure de concilier liberté de conscience du consommateur et bien-être animal. Mais un consommateur libre est avant tout un consommateur informé. Dans un monde où les échanges se font à l’échelle internationale et où les pays sont souverains, il semble compliqué pour le consommateur de s’y retrouver, malgré la mise en place de politiques communes en matière de commerce et de bien-être animal (1). De ce fait, seul l’étiquetage des produits semble être en mesure de concilier liberté de conscience du consommateur et bien-être animal. C’est notamment valable dans le domaine de l’habillement dont la part du marché mondial est colossale mais auquel on ne pense que bien peu souvent. Les produits d’habillement, qu’ils soient faits de fourrure, plumes, soie ou laine sont pourtant accessibles au consommateur dans de nombreuses enseignes.
La liberté de conscience du consommateur est-elle réellement respectée face à l’étiquetage des produits d’habillement pouvant comprendre des matières d’origine animale ?
Une liberté de conscience fragilisée par la législation en vigueur
La législation encadrant l’étiquetage des produits d’habillement d’origine animale semble être affectée de lourdeur en de nombreux points. Tout d’abord, les règles relatives à l’étiquetage dépendent à la fois de l’animal dont on tire la matière (laine, soie, peau, fourrure…) mais aussi du produit fini qui en découle (chaussures, maroquinerie, vêtements…). Ces matières proviennent pourtant toutes d’un animal, être vivant, quel qu’il soit. De surcroît, cette législation est bien souvent confuse et incomplète. Ainsi, pour ce qui concerne le cuir, on notera que le champ lexical qui l’entoure est très technique et précis, de quoi semer le trouble dans l’esprit du consommateur moyen. À titre d’exemple, la « croûte de cuir » est à distinguer du « cuir » bien qu’elle soit également d’origine animale. De la même façon, l’étiquetage peut porter la mention « tannage végétal » : cela ne signifie pas pour autant que la matière première utilisée soit d’origine végétale. Le plus dérangeant reste sans aucun doute l’existence de certaines dérogations prévues par la loi en ce domaine. Il est en effet intéressant de savoir que la législation exempte les fabricants de mentionner sur l’étiquette la présence de cuir lorsque ce dernier est présent à l’intérieur des articles de maroquinerie, tandis que sa mention est obligatoire à l’extérieur. Certes, la mention du cuir apporte normalement une plus-value au produit, et l’intérieur des produits de maroquinerie est rarement tapissé de cuir. Mais si les modes venaient à changer ? Alors le consommateur pourrait acheter un tel produit à son insu. Aussi, sur les chaussures, l’étiquetage n’est obligatoire que pour les matériaux qui la composent à 80 %, ou à défaut, les deux matériaux principaux. Le cuir n’est pas non plus obligatoirement mentionné lorsqu’il est présent sur des accessoires ou renforts. La législation préfère ainsi s’adapter au monde de l’industrie plutôt qu’à la liberté de conscience du consommateur.
Sur le plan juridique, une autre critique peut-être apportée à l’étiquetage du cuir, bien qu’elle touche peut-être d’avantage le producteur que le consommateur : le texte du décret (2) qui l’encadre est mal agencé. En effet, une lecture novice de ce dernier laisse à penser que sur un produit en cuir ou en croûte de cuir, seul le nom de l’animal dont on imite les motifs doit apparaître sur l’étiquette (dans le cas où les motifs imitent la peau d’un autre animal que celui dont est tire le cuir). Concrètement, on pourrait penser que l’étiquette doit indiquer « grainage sur cuir (ou croûte de cuir) imitation crocodile », alors que la véritable mention doit être « grainage sur cuir (ou croûte de cuir) de bovin imitation crocodile ». Il faudra donc veiller d’une part à ce que le producteur n’applique pas le texte avec mauvaise foi, et d’autre part à ce que le consommateur lise l’étiquette de manière attentive, sans s’arrêter sur le mot « imitation ». Ce même souci est présent au sein des textes régissant les produits en fourrure animale. Ils laissent cette fois penser que le fabricant peut se contenter d’étiqueter la mention « fourrure imitation vison » au lieu d’indiquer « fourrure de renard imitation vison ».
Le cas des produits en soie, laine ou poils est tout aussi complexe. Ces matières sont juridiquement soumises à la catégorie des « fibres textiles ». Par ailleurs, tout comme le cuir, elles font l’objet de nombreuses exceptions, et en particulier la laine. Ainsi, l’étiquette ne pourra mentionner le mot « laine vierge » ou « laine de tonte », ni si cette dernière a été recyclée (même sur un produit qui en est intégralement constitué), ni si son poids représente moins de 25 % du produit fini. Pour ce qui concerne la laine autre que vierge ou de tonte, sa mention sur l’étiquette est conditionnée par un poids total de 30 % par rapport au produit fini, ou moins de 7 % si ces fibres ont un effet purement décoratif. Il n’en reste pas moins qu’en dehors de ces cas, le consommateur est alors susceptible d’acheter des produits contenant de la laine sans le savoir.
En dernier lieu, les textes juridiques relatifs aux plumes et duvets paraissent insuffisants. Du moins, bien que cette insuffisance existe également pour les autres matières d’origine animale, elle mérite d’être d’avantage soulignée et compensée. En effet, jamais l’origine des animaux, leurs conditions de détention ou le mode d’obtention de leur produit ne sont réellement spécifiés. Ces mentions ne sont pas obligatoires sur l’étiquette. Seul le lieu de fabrication du produit fini doit y être inscrit. Il s’avère cependant que près de 80 % des plumes et duvets utilisés dans le domaine de l’habillement proviennent de Chine où les palmipèdes sont plumés à vif. Il est aussi à noter que si les textes condamnent les mauvais traitements, seule une recommandation Européenne « déconseille » le plumage à vif sans le condamner pour autant. Tous ces points semblent alors largement contrevenir à la liberté de conscience de consommateur alors que 80 % des Français jugent la cause animale importante, selon un sondage IFOP de 2017.
Au-delà de l’aspect purement juridique, quelques critiques peuvent également être émises à l’égard des textes sur le plan moral. La première serait de constater qu’ils tendent d’une certaine façon à une sorte de « désanimalisation juridique ». En effet, ces textes ne font référence aux animaux que dans des cas restreints, ou en les relayant au second plan. Les animaux sont pourtant les premiers concernés puisqu’ils fournissent cuir, laine, soie, poils, plumes et duvets. Malgré cela, la législation est quasi muette quant à la définition des termes qualifiant l’animal. Entre autres exemples, l’arrêté encadrant les produits en cuir ne désigne qu’en annexe les « espèces animales » utilisées. Le nom de « l’animal dont est issue la peau » peut quant à lui être mentionné mais seulement « à titre de complément d’information ». Tout ceci participe d’une banalisation discrète de l’exploitation animale, et semble être un frein au fait de penser l’animal à l’échelle individuelle.
Il est également possible de déplorer que la désignation de l’espèce animale ne soit pas obligatoire pour les articles chaussants, sur lesquels les seuls pictogrammes imposés sont ceux désignant le cuir, le cuir enduit, les textiles, et les autres matériaux. La mention de l’animal utilisé pour la fabrication de la laine et de la soie n’est pas non plus présente sur l’étiquette. Bien que cette matière soit connue d’une grande partie de la population, on remarque ainsi qu’il revient au consommateur lui-même de savoir que la laine est une matière d’origine animale prélevée (généralement) sur le mouton pour en être informé. De la même manière, l’étiquetage des produits d’habillement contenant de la soie font une abstraction totale de l’animal en lui-même, à savoir le ver à soie. Il s’avère en effet que l’étiquette mentionne ou bien la formule « soie (de mûrier) » ou simplement le mot « soie », sans aucune autre précision. Cette absence de précision pose d’avantage de soucis moraux qu’elle n’est source de confusion, en plus de n’être justifiée d’aucune façon.
Quoi qu’il en soit, ce manquement volontaire vient confirmer l’hypothèse selon laquelle les textes relatifs aux produits d’habillement d’origine animale sont imprégnés de spécisme c’est-à-dire qu’ils opèrent une hiérarchisation des animaux entre eux. Bien sûr, le spécisme n’est pas seulement négatif puisqu’il permet de protéger certaines espèces. Mais la hiérarchisation des espèces est souvent établie au moyen de critères subjectifs, et injustifiés sur le plan biologique. Plusieurs éléments énoncés plus tôt tendent en ce sens, notamment le fait que la législation applicable diffère en fonction de l’espèce animale visée. Dès lors, la première remarque à opérer concerne l’autorisation de vente de certains produits d’origine animale. Il est effectivement loisible de constater qu’en Europe, la fourrure de renard n’est soumise à aucune restriction, tandis que le règlement européen CE n° 1523/2007 interdit la fourrure de chiens et chats. Renards et chiens font pourtant partie de la même famille des canidés, et les scientifiques s’accordent à affirmer que chaque espèce a la même importance sur le plan écologique. L’interdiction n’étant justifiée que par des critères subjectifs (à savoir que le chien est un animal de compagnie), on comprendra alors rapidement que cette mesure a pour seul objectif de rassurer le consommateur méfiant, afin de l’encourager à l’achat de fourrure animale. La seconde remarque pertinente en matière de spécisme se réfère à l’usage des pièges à mâchoires. En Europe, la fourrure de renard n’est soumise à aucune restriction, tandis que le règlement européen CE n° 1523/2007 interdit la fourrure de chiens et chats.L’Europe interdit la mise en circulation des produits manufacturés issus de certaines espèces animales originaires de pays qui utilisent des pièges à mâchoires ou d’autres méthodes non conformes aux normes internationales de piégeage sans cruauté. Derrière ses bonnes intentions, cette mesure cache un véritable souci éthique. Elle précise en effet que l’interdiction de commercialisation n’est valable que « pour les espèces énumérées », quand bien même les normes de piégeage sans cruauté ne seraient pas respectées. Cette disposition nous laisse alors perplexe, d’une part parce qu’elle n’interdit pas l’usage de méthodes cruelles pour piéger les animaux qui ne sont pas cités dans l’annexe, et d’autre part parce qu’il paraît compliqué de vérifier le mode de mise à mort des animaux. Il convient pour finir de préciser que les animaux utilisés pour leur fourrure et dont la chair n’est pas destinée à la consommation humaine, sont soumis à des règles sanitaires dérisoires : notamment ils peuvent être nourris des restes de leurs congénères. Les poissons, reptiles et amphibiens sont quant à eux totalement exclus des règles d’élevages applicables aux autres espèces. Ce nombre aberrant d’incohérences éthiques, morales, biologiques et écologiques au sein de la législation nous laisse à douter fortement du respect de la liberté de conscience du consommateur lors de ses achats.
Une liberté de conscience individuelle faussée par les professionnels du domaine
La liberté de conscience du consommateur est en réalité d’avantage compromise par les professionnels concernés. Éleveurs, syndicats, fabricants, et commerçants semblent ainsi avoir chacun leur part de responsabilité. Cette responsabilité passe en premier lieu par la manière dont ces derniers, (notamment les fabricants) appliquent la réglementation relative à l’étiquetage. L’enjeu pour la liberté de conscience est énorme à cet égard. Il convient de rappeler que seule la mention du lieu de fabrication du produit fini est imposée par la législation sur l’étiquette des produits d’habillement, indépendamment de l’espèce animale utilisée. Pourtant, l’origine de l’animal utilisé est très importante en matière de respect du bien-être animal, et par ricochet pour la liberté de conscience du consommateur. En effet, plusieurs enquêtes réalisées par PETA ont pu montrer qu’en dehors de l’Union européenne les normes relatives au bien-être animal sont souvent bafouées. L’association a notamment pu vérifier ce fait en Australie pour ce qui concerne la laine : cela donne un véritable souci lorsqu’on sait que ce pays en est le premier exportateur. Il en va de même pour la Chine au sujet des plumes et duvets arrachés à vif aux palmipèdes. Le fabricant des produits peut décider de faire mention sur l’étiquette de l’origine des animaux utilisés mais cela ne lui est pas imposé. La mention n’apparaît donc que sur de rares vêtements intégralement « made in France » afin de donner une plus-value au produit. Cette mention n’est malgré tout pas une réelle preuve de bien-être animal, bien qu’elle diminue certains soupçons. Aussi, quelques fabricants décideront d’apposer le label « origin assured » sur leurs produits, mais ce dernier est attribué aux élevages, non pas en fonction des pratiques qu’ils mettent en œuvre, mais sur la base des textes qui y sont théoriquement appliqués. Tout cela a de quoi semer le trouble dans l’esprit du consommateur. Dans la continuité d’une certaine désanimalisation juridique, il est possible d’ajouter que le discours des professionnels vient lui aussi troubler la liberté de conscience du consommateur en de nombreux points, à commencer par les méthodes de commercialisation et de publicité utilisées. Tout d’abord, il s’avère que la majorité des éleveurs et syndicats s’abstient de faire référence au moment de l’élevage, de la mise à mort, ou à celui de la récolte des produits, et lorsque c’est le cas, beaucoup n’hésitent pas à tenir des propos aberrants pour enjoliver la réalité. Ainsi, la Fédération française des métiers de la fourrure explique que « depuis plus de cent générations qu’ils sont élevés, les visons de ferme sont des animaux domestiques. Ils n’ont pas la notion de ‘liberté’ ». Pour vendre leurs produits, les commerçants ont pour leur part tendance à user de l’argument selon lequel les produits d’origine animale sont naturels et de qualité. Si ces deux adjectifs sont discutables, ils n’en sont pas moins des moyens de banalisation de la vente des produits d’origine animale, dont la simple mise sur le marché fait elle-même partie. Elle contribue à une certaine manipulation de la conscience du consommateur qui pourra penser que si le produit est en vente à la portée de tous, c’est qu’il n’y a aucun souci moral à cela.
Violaine Labarre
1.Au sens de l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
2.Décret n° 2010-29 du 8 janvier 2010 portant application de l’article L. 214-1 du code de la consommation à certains produits en cuir et à certains produits similaires, article 1er.
Ce texte est un résumé de stage effectué au premier semestre 2017 à la LFDA. Télécharger le rapport complet.
Article publié dans le numéro 94 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.