Cowpathy

Ce néologisme barbare anglo-hellénique désigne une nouvelle discipline médicale officialisée en Inde par un comité scientifique mis en place par le gouvernement nationaliste hindou et présidé par un professeur de l’Indian Institute of Technology de Dehli.

La cowpathy doit, selon ses promoteurs, être considérée à l’égal de l’allopathie et de l’homéopathie. Elle est de connaissance ancienne, puisque mentionnée dans les règles de l’ayurveda bimillénaire. Promue officiellement, en novembre 2014, par le ministère du Yoga fondé par le Premier ministre Narendra Modi, elle est mise en pratique générale aujourd’hui, pour des motifs politico-religieux. La cowpathy revendique des résultats probants dans les traitements « de cent huit maladies » dont le sida, le cancer, le diabète. Pourquoi pas ? Mais la cowpathy a pour caractère spécifique pour le moins étonnant, d’être fondée sur les vertus curatives attribuées à l’urine de vache et à la bouse…

La matière première (si l’on ose dire) ne manquera pas, semble-t-il. Depuis que les nationalistes hindous sont arrivés au pouvoir dans plusieurs États de l’Inde lors des élections de 2014, la vache doit y être réellement et totalement sacrée. Dans l’Uttar Pradesh, un État du nord, tuer une vache est absolument interdit, donc les abattoirs ferment, des brigades d’extrémistes hindouistes attaquent les transporteurs de bétail et terrorisent les familles supposées consommer de la viande de bœuf, allant jusqu’au meurtre. De symbole religieux traditionnel respecté, le bovin est devenu le totem politique de l’idéologie nationaliste. Depuis que les éleveurs ne peuvent plus vendre leurs bêtes vieilles ou épuisées, elles sont abandonnées, errantes, efflanquées.

L’Inde n’a pas de pétrole, mais les Indiens ont des idées. L’un d’eux, Anand Kumar, a eu celle d’ouvrir un gaushala, sorte de refuge pour 1100 vaches, à 180 km de New Dehli. Refuge est beaucoup dire, plutôt enclos apparemment sordide, au sol de terre et fermé de murs. Mais en échange de sa vie épargnée, la vache doit être rentable. En dehors de sa viande, évidemment, et de son lait, quand elle en a encore, que peut-elle fournir ? L’urine, dont la médecine traditionnelle ayurveda fait grand cas, surtout depuis que cette thérapie à la fois civile et religieuse est devenue en quelque sorte médecine d’État.

Eureka ! Mister Kumar a fait de son gaushala une usine pharmacologique. Dès que les vaches se réveillent et se dressent sur leur pattes, les employés, musulmans ou intouchables, courent de l’une à l’autre avec des bassines, et parviennent à récolter une centaine de litres par jour, avec les risques qu’imagine aisément celui qui a vu une… vache qui pisse ! Distillée, fermentée, filtrée, l’urine deviendra médicament, mais aussi cosmétique, dentifrice, et se transformera enfin en roupies. La roupie n’a pas d’odeur, aurait dit l’empereur Vespasien s’il avait été indien… La bouse non plus : elle n’est pas moins abondante et rentable. Recueillie à la pelle et au seau, elle servira à fabriquer divers produits, dont des savons. Mais attention, tout ça à condition que les vaches soient indiennes. Les animaux de races étrangères ont mauvaise réputation ; il est dit qu’elles ne devraient pas être élevées, puisque là où a brouté une vache étrangère, l’herbe ne repousse pas ; c’est du moins ce qu’affirme Mister Anand Kumar.

Soutenu officiellement, subventionné à hauteur de 150 000 € pour mécaniser son entreprise et acheter des machines, Kumar va ouvrir un centre d’apprentissage, dans le cadre du programme de la « Politique nationale pour le développement de compétences et l'entrepreneuriat » lancé en 2015. Ce programme a fait l’objet d’un partenariat conclu entre le Royaume-Uni et l'Inde, qui comprend un engagement à obtenir la reconnaissance mutuelle des qualifications dans les deux pays ! En somme, la cowpathy arrive aux portes de l’Europe, mais elle pourrait y rester, grâce au Brexit… Pourtant, les amateurs de bouses de vache de diverses variétés peuvent déjà, semble-t-il, se fournir sur Amazon.

Les ambitions de Mr Kumar sont plus vastes : il envisage de construire un hôpital spécialisé dans la cowpathy, et se démène pour que le gouvernement ouvre dans chaque ville un marché spécialisé dans les innombrables produits issus de la vache. Ses projets ont de fortes chances d’aboutir : ils sont en accord avec la ligne politique au pouvoir. Quant à la matière première, elle ne manquera pas : les 80 millions de vaches présentes en Inde sont en mesure de fournir 2 millions et demi de m3 d’urine tous les jours : à 1 ou 2 € le litre (selon qualité), comme l’essence, quel pactole ! Et avec 2 millions de tonnes journalières de bouse, quel porte-bonheur !

Si elles ne sont pas ragoutantes, ces perspectives économiques alléchantes devraient donner des idées à nos éleveurs industriels de vaches laitières, qui se plaignent de la mauvaise rentabilité de leurs usines. En bricolant deux ou trois accessoires branchés sur leurs manèges à traire, à côté des gobelets à lait, le tour serait joué. Les propriétaires de la « Ferme des mille vaches » héritiers de Michel Ramery pourraient trouver dans les 30 m3 d’urine et les quelque 30 kg de bouse journaliers, de quoi… mettre du beurre dans leurs épinards.

Jean-Claude Nouët

Source : Le Monde, La vache à cash, 4/09/17.

Article publié dans le numéro 95 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

ACTUALITÉS