« À compter du 1er janvier 2018, à l’issue d’une expérimentation permettant d’évaluer l’opportunité et les conditions de leur mise en place, des caméras sont installées dans tous les lieux d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage et de mise à mort des animaux ». Si la proposition de loi relative au respect de l’animal à l’abattoir est votée en l’état, le contrôle vidéo en abattoir devrait, s’imposer comme un outil d’amélioration continue des pratiques et un moyen supplémentaire au service d’une protection animale plus efficace dans les abattoirs.
Selon un sondage IFOP paru en octobre 2016, 85 % des français sont favorables à ce contrôle vidéo. Pour le ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt, Stéphane Le Foll : « Certains semblent vouloir l’expérimentation tout en laissant penser qu’elle ne se fera pas ou qu’elle ne se généralisera pas, alors que ce sera de toute façon le cas : actons-le et préparons tout cela avec sérieux – mon ministère s’y attelle déjà ».
Le contrôle vidéo devrait ainsi se généraliser à partir du 1er janvier 2018 dans tous les abattoirs du pays, ceux de boucherie comme de volailles et de lagomorphes, une première en Europe. Cependant la présence de caméras peut-elle empêcher les actes de maltraitance animale et de cruauté ? Dans quelles conditions le contrôle vidéo doit-il se mettre en place et avec quelles garanties ? Comment faire comprendre aux salariés que ce contrôle vidéo n’est pas un « flicage » mais un outil d’amélioration continue des pratiques ?
Vidéosurveillance : plusieurs approches pour une même idée
La mise en place des caméras afin de dissuader le personnel de commettre des actes de maltraitance animale n’est pas une idée nouvelle. Aux États-Unis, près de la moitié des abattoirs en étaient équipés en 2012. En Angleterre et au Pays de Galles, 278 abattoirs en sont équipés : ainsi, 92 % des bovins, 96 % des porcs, 88 % des ovins et 99 % des volailles sont abattus dans des abattoirs équipés de caméras. Dix des plus importantes chaînes de supermarchés dans ces pays ne travaillent qu’avec des abattoirs qui ont fait le choix du CCTV (Closed circuit télévision - vidéosurveillance en anglais).
Si dans certains États comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, l’installation d’un contrôle vidéo s’est fait dans des abattoirs volontaires, d’autres États ont fait le choix de rendre obligatoire par la loi cet outil permettant d’améliorer les pratiques. Dans l’État de l’Uttar Pradesh, province du nord de l’Inde comptant 200 millions d’habitants, les caméras en abattoirs sont obligatoires. En Israël, premier pays à avoir rendu obligatoire la présence de caméra en abattoir en 2016, les images sont transmises pour supervision aux services vétérinaires dans une salle de contrôle au sein du ministère. En Angleterre, 76% de l’opinion publique, plusieurs députés, l’association des vétérinaires anglais et des associations de protection animale comme Animal Aid demandent que le contrôle vidéo soit rendu obligatoire par la loi.
En France, l’idée de proposer aux abattoirs de s’équiper de caméras de vidéosurveillance couplées à des audits est née en 2011. L’enquête « Quelle est la perception et les enjeux attenants pour la protection animale en abattoir d’après les professionnels de la filière bovine en France ? », réalisée en 2015 auprès d’une trentaine d’acteurs de la filière (1), a permis d’identifier les acteurs et les types d’abattoirs susceptibles d’être intéressés pour s’équiper de caméras à des fins de protection animale. Lors des entretiens, l’interprofession s’était montrée opposée à cette idée, et le ministère ne s’était pas positionné en faveur de ce dispositif ; seuls certains distributeurs et abattoirs de groupes semblaient intéressés dans le cadre des politiques qualités des grands groupes de l’industrie agroalimentaire. En 2016, lors des auditions de la commission d’enquête parlementaire, les pouvoirs publics, l’interprofession et les directeurs d’abattoirs n’y étaient plus opposés. Pour Olivier Falorni « On peut aujourd’hui considérer que le principe de vidéosurveillance à l’intérieur des abattoirs fait quasiment l’unanimité ». Quatre des 65 propositions émanant du rapport de la commission portaient sur la vidéosurveillance et ses conditions de mise en place. Le contrôle vidéo, porté par l’article 4 de la proposition de loi n° 883, a été adopté par 28 voix « pour » et seulement 4 voix « contre » ; il avait pourtant été supprimé en commission des affaires économiques. La mise en place de caméras va donc être expérimentée en 2017, et la généralisation du dispositif est prévue pour le 1er janvier 2018, si la loi est votée définitivement, et selon les résultats de l’expérimentation.
Ainsi, la mise en place de caméras dans les abattoirs au nom de la protection animale et de l’amélioration continue des pratiques s’impose petit à petit, et ce dans plusieurs États. Rendre obligatoire ce contrôle vidéo est plus judicieux que laisser les abattoirs s’équiper volontairement. En effet, dès lors qu’il est obligatoire, l’analyse des images pourra améliorer les pratiques et protéger toutes les catégories d’animaux au lieu de provoquer une segmentation du marché entre abattoirs industriels pouvant s’équiper et abattoirs de proximité pour qui s’équiper aurait été plus difficile. Rendu obligatoire, il permettra, de plus, que les images soient visionnées par des acteurs indépendants de l’abattoir plutôt que par des acteurs partie-prenante, qui auraient des intérêts à protéger ou qui pourraient éventuellement dissimuler les images, comme cela est le cas en Angleterre où 9 abattoirs sur 10, même équipés de caméra, ne respectent pas la réglementation (CE) n° 1099/2009.
Un contrôle vidéo justifié pour la CNIL
Le contrôle vidéo doit être conçu de manière à protéger les données informatiques, accompagner l’innovation et préserver les libertés individuelles. Pour être autorisé, il doit recevoir l’aval de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) qui veille notamment à la mise en œuvre de la loi n° 78-77 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés datant de 1978. Dans le cas de caméras installées dans des lieux non ouverts au public, le dispositif doit être déclaré par l’exploitant à la CNIL. Pour se justifier et recevoir son aval, le dispositif de contrôle vidéo doit respecter quatre principes : ceux de finalité, proportionnalité, information et sécurité des données. Dans le cas de l’abattoir, chaque principe a été présenté et discuté lors de la commission d’enquête parlementaire, puis repris et affiné dans la proposition de loi. En parallèle de la discussion de la proposition de loi, les services du ministère de l’Agriculture travaillent avec la CNIL afin de définir plus précisément chacune des finalités et préparer l’expérimentation du contrôle vidéo en abattoir.
Principe de finalité
« La finalité exclusive de cette installation est la protection animale ». Lors de son audition, Paul Hébert, directeur adjoint à la direction de la conformité de la CNIL estimait que : « Même si juridiquement les animaux ne sont ni des biens ni des personnes, par extension, la préservation de leur sécurité, pour ce qui touche aux mauvais traitements, me paraît être une finalité tout à fait légitime ». Le contrôle vidéo peut également être proposé, après discussion entre la direction, les salariés et les syndicats à des fins de formation : « Toutefois si un accord collectif le prévoit, les images peuvent être utilisées à des fins de formation des salariés ». En conséquence des vidéos tournées en caméra cachée qui ont scandalisé l’opinion publique, et après les auditions et les travaux de la commission, la sécurité des animaux et la protection de l’animal en abattoir est ressentie comme une finalité aussi bien « déterminée, explicite que légitime ». Puisque la formation des opérateurs et des responsables de protection animale est aujourd’hui uniquement théorique, l’utilisation des images dans le cadre d’un volet pratique de cette formation se justifie : les images sensibilisent aux bons gestes et aux mauvais à ne pas commettre, afin de limiter à leur minimum stress, souffrance et angoisse, tout en améliorant la sécurité des animaux et des salariés.
Principe de proportionnalité
« Des caméras sont installées dans tous les lieux d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, de mise à mort et d’abattage des animaux ». Le principe de proportionnalité se décline en termes d’emplacement, d’orientation des caméras, de leur nombre ainsi qu’en termes de durée filmée par jour. De plus, le dispositif doit être proportionné à la finalité. S’agissant de protection animale, les actes de maltraitance et les risques en matière de sécurité tant pour le personnel que pour les animaux peuvent survenir depuis le déchargement de l’animal jusqu’à sa saignée. De ce fait, l’ensemble des lieux où l’animal est vivant doit être filmé dès qu’un animal est présent dans l’établissement, sinon la finalité initiale de la protection animale ne peut être garantie. Le nombre de caméras, et donc le coût de l’installation de ce dispositif, devront être évalués au cas par cas, en tenant compte des infrastructures et des activités des abattoirs.
Principe d’information des salariés
Un établissement, quel qu’il soit, lorsqu’il est équipé de caméras, doit en avertir salariés et visiteurs. Les droits à l’image, l’accès aux données et la finalité du dispositif leur sont explicités. Le ministère de l’Agriculture, chargé de la mise en œuvre de l’expérimentation du contrôle vidéo, s’est engagé à inclure dans les discussions les syndicats de salariés ainsi que l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, en plus de la CNIL pour un appui méthodologique. Afin d’éviter un sentiment de « flicage », un travail pédagogique de justification du dispositif dans un respect des libertés individuelles semble nécessaire, afin que chaque salarié d’abattoir puisse s’approprier l’intérêt du contrôle vidéo, pour l’animal mais aussi pour une meilleure reconnaissance de son travail, souhaitée en conclusion de la commission d’enquête.
Principe de sécurité des données
« Au titre de la protection animale, seuls ont accès aux images les services de contrôle vétérinaire et les responsables protection animale ». Les images prises en caméra cachées ont conduit d’une certaine façon à l’installation prochaine du contrôle vidéo. Mais les images captées par des caméras installées dans le cadre du contrôle vidéo ne doivent en aucun cas pouvoir être piratées et diffusées. La sécurisation et une gestion raisonnée des données sont indispensables. Afin que les images puissent être utilisées en cas de maltraitance animale, sans risque de conflit d’intérêt avec la direction, le personnel garant de la protection animale, c’est-à-dire le vétérinaire et le responsable de la protection animale (RPA), sont les seuls à y avoir accès. Afin que le RPA puisse agir s’il constate des cas de maltraitance ou de cruauté, un statut de lanceur d’alerte le protégeant doit lui être garanti par la loi ; des moyens et du temps doivent lui être attribués afin qu’il puisse effectuer ses missions de RPA. De plus, le contrôle vidéo étant imposé à tous les abattoirs, les RPA doivent être généralisés à l’ensemble des abattoirs : ce n’est pas le cas aujourd’hui. À des fins de formation, l’accès aux images est ouvert aux représentants du personnel ainsi qu’aux personnes nommées et habilitées par l’abattoir. Ainsi les formateurs, souvent choisis par l’abattoir, pourront dans ce cadre utiliser les images des caméras afin de proposer un volet pratique, appliqué, aux formations. Enfin, « [l]es images ne peuvent être conservées plus d’un mois » et « ces enregistrements sont soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés ».
À l’issue de l’expérimentation et après discussion entre les parties, les modalités d’application du contrôle vidéo, l’utilisation des données collectées seront définies par décret en Conseil d’État pris après avis de la CNIL.
Contrôle vidéo : pour quelles améliorations?
- Mieux protéger l’animal et les entreprises. En cas d’acte de maltraitance ou de cruauté, de litige ou de poursuite, les images sont des preuves.
- Améliorer et compléter les formations. Les images issues des caméras doivent servir dans la formation initiale et continue des salariés. Elles doivent aussi être analysées au sein des comités locaux de suivi et dans le comité national d’éthique des abattoirs dans un objectif de mutualisation des expériences. Les abattoirs de groupe, lors de l’enquête en 2015 (1), semblaient déjà intéressés par le contrôle vidéo pour cette raison.
- Améliorer les contrôles et la sécurité. Les caméras sont un outil complémentaire au service des vétérinaires notamment lors des contrôles ante-mortem. Le RPA doit aussi visionner les images, pour repérer des défaillances matérielles ou techniques ; repérer et anticiper des situations qui pourraient s’avérer dangereuses pour l’animal comme pour le salarié et aider à ajuster les pratiques.
- Améliorer de façon continue les pratiques. Les vétérinaires ou chercheurs, habilités par l’établissement, pourraient également utiliser les images dans le cadre de recherches sur la perte des signes de conscience, sur les méthodes d’étourdissement ou sur l’amélioration des infrastructures. Enfin l’analyse des images pourrait être utilisée dans le cadre d’audit interne ou externe des abattoirs.
Craintes liées au contrôle vidéo
Un « flicage » des salariés ?
La caméra ne doit pas être perçue comme un « outil de suspicion » utilisé pour sanctionner les opérateurs. Certes les salariés auront une caméra braquée sur leur poste de travail, c’est incontestable, cependant, comme cela a été le cas aux États-Unis et en Angleterre, les caméras ont un effet dissuasif. La présence de caméras encourage la vigilance des opérateurs. Un salarié bien formé, sensibilisé et consciencieux dans son travail, n’a bien évidemment rien à craindre. Au delà du « flicage » décrit par certains, la mise en place du contrôle vidéo doit à terme revaloriser le travail des salariés tout en « dédiabolisant » les abattoirs.
Un dispositif hors de prix ?
Les coûts d’achat, d’installation et de maintenance des caméras dépendront d’une part des choix qui seront faits à l’issue de l’expérimentation en termes de caractéristiques des caméras et dépendront d’autre part des infrastructures de chaque abattoir notamment en ce qui concerne le nombre de caméras. Certains abattoirs n’ont à ce jour pas les moyens financiers pour mettre en place le contrôle vidéo. Une taxe additionnelle à la taxe sur les surfaces commerciales étaient initialement prévue dans la proposition de loi afin de compenser, à due concurrence, les charges. Cette taxe a été supprimée en 1ère lecture à l’Assemblée nationale sans pour autant proposer un financement du dispositif. Des aides financières pour l’installation des caméras, notamment pour les petits abattoirs, doivent être prévues (proposition n° 65 du rapport de la commission). En France, les coûts d’installation se chiffreraient, pour l’ensemble des abattoirs entre 680 000 € et 1 280 000 €, soit entre 1 600 et 3 000 € par établissement. En Angleterre, le coût annuel du CCTV dans les 262 abattoirs est estimé entre 174 000 € et 428 000 € pour l’installation et l’utilisation des images. Selon Michel Courat, vétérinaire ayant travaillé sur le CCTV et interrogé dans le cadre de l’enquête, « la vidéosurveillance se rentabilise facilement dans les abattoirs anglais ». De plus, ces coûts seront compensés par une confiance accrue des consommateurs soucieux du bien être animal. Le contrôle vidéo, à terme, peut aussi aboutir à des opportunités commerciales en termes de labellisation, ce qui donnerait un avantage compétitif à la production française. Enfin, un montant par carcasse, supporté peut-être par le consommateur, peut être envisagé.
En conclusion
Le contrôle vidéo n’a pour objectif ni de « fliquer » les salariés, ni de mettre en permanence derrière un écran un vétérinaire ou un RPA qui assumerait un rôle de gendarme. Cet outil sert à la fois au contrôle, à la formation, à la protection de l’animal et de l’établissement, à l’amélioration continue des pratiques et à la revalorisation de la filière dans son ensemble. Certains abattoirs, à l’image de celui du Vigan, médiatisé l’année dernière pour les actes de maltraitance qui y avaient été filmés, ont déjà annoncé vouloir s’équiper de caméras. Enfin pour Olivier Falorni : « Le caractère irréversible de ce processus est acté, c’est une avancée majeure pour la protection animale. Je ne m’y attendais pas, tant l’affaire était mal engagée. »
- Florian Sigronde Boubel, Quelle est la perception et les enjeux attenants pour la protection animale en abattoir d’après les professionnels de la filière bovine en France ?, mémoire de fin d’études, 10/2015.
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