Les violences que les hommes infligent aux animaux revêtent deux formes très distinctes, que nous qualifierons l’une d’individuelle, l’autre de collective. La loi les envisage de façons très différentes, pour ainsi dire opposées, sinon incohérentes.
Individuelle
La violence « individuelle » consiste en un acte volontaire et conscient, exercé par un individu humain sur un individu animal (abandon, absence de soins, coups, blessures, mise à mort). Les dispositions législatives et réglementaires prévoient de réprimer ces violences, en punissant d’amendes l’auteur de « mauvais traitements », et plus sévèrement le coupable de « sévices graves », ou de « sévices sexuels » ou d’« actes de cruauté », passibles en outre de peines de prison pouvant atteindre deux années.
Collective
La violence « collective » est tout autre. Elle consiste en l’exercice, par la collectivité des hommes, de toutes les formes d’exploitation, de contrainte, de mise à mort des animaux même de la façon la plus grave ou la plus cruelle, infligées pour des motifs tels que le profit, le divertissement, ou la tradition routinière et barbare.
Loin d’être combattue et punie, cette violence collective est tolérée, et même approuvée par la société, qui la rend légale, parce que l’intérêt des hommes passe avant la rigueur d’une morale exigeante, parfois sous couvert d’une « nécessité ». La chasse et la pêche de loisir, l’élevage intensif, les rites sanglants de la tauromachie, les captivités des zoos, le dressage des cirques, l’expérimentation traumatisante, et même indirectement la destruction des milieux naturels, sont des exemples de violence collective. Au total, la violence collective est à l’origine d’une summa doloris, une masse inimaginables de souffrances et de morts. C’est certainement elle qui contrevient le plus gravement aux droits de l’animal. C’est d’elle dont sont coupables des millions d’entre nous, pour beaucoup sans en prendre vraiment conscience.
La violence collective : deux types de violences individuelles
De la violence collective dépendent deux types particuliers de violence individuelle, qui ne sont ni l’un ni l’autre punis par la loi, puisque la violence collective qui les implique est autorisée.
Dans le premier cas, l’homme commet effectivement un acte violent, dans le cadre d’une violence collectivement légitimée : l’exemple en est le chasseur, qui tue pour sa seule distraction.
Dans le second cas, la violence est indirecte, parfois complice, parfois inconsciente : elle est exercée par celui qui assiste à des violences collectives, sans commettre d’acte violent personnel. C’est le cas du spectateur d’une corrida, du visiteur d’un zoo, du spectateur d’un cirque d’animaux ; c’est aussi le cas de tout acheteur de produits, œufs, lait ou viandes, issus de l’élevage intensif des animaux. Le sens de la responsabilité personnelle est dilué dans l’irresponsabilité du nombre de ceux qui agissent de même, et dans l’anonymat qui en résulte.
Ressentir la part de responsabilité personnelle est affaire de réflexion. Mais prendre conscience de l’existence d’une responsabilité collective est une autre affaire ! Ce serait à nos collectivités de devoir reconnaître nos responsabilités, ce qui nous conduirait à remettre en cause nombre de nos pratiques, de nos usages, de notre économie, de nos croyances… En un mot, il faudrait à se résoudre à une révolution culturelle, politique et morale. Au résultat, il existe bien une incohérence criante entre les réactions punitives aux conduites violentes individuelles, et l’indifférence volontaire, la cécité morale à l’égard des conduites violentes collectives.
Au sujet de cette incohérence entre la conduite individuelle et la conduite collective, rappelons-nous que si le meurtre est interdit, les massacres d’une guerre se font en chantant ! Raccrochons-nous à une récente actualité, la révélation d’actes odieux lors de l’abattage d’animaux de boucherie. Le scandale a soulevé des réactions multiples, dont la constitution d’une commission parlementaire d’enquête. Laquelle a rendu un rapport dense d’analyses et de propositions, visant, en résumé, à empêcher que de tels actes puissent survenir : formation et responsabilisation des personnels, surveillance des comportements, aggravation des peines, etc.
Mais à la racine, n’y a-t-il pas une production destinée à satisfaire une consommation de viande reconnue pourtant comme excessive et même nocive ? Les centaines de milliers d’animaux issus d’un élevage intensif de masse sont absolument tous destinés à être tués dans les abattoirs, dont la surcharge de travail est un facteur de risque… Qui a évoqué la responsabilité de l’élevage de masse ? Personne. Le rapport parlementaire n’a fait aucun lien entre l’abattage et l’élevage.
Notre ami Jean-Paul Richier a construit un tableau assez complet des violences imposées par l’homme aux animaux. Avec son autorisation, nous le reproduisons ici. Chaque pratique violente est analysée sur trois critères :
- la visibilité (est-elle cachée ou publique ?),
- la survenue (est-elle recherchée, assumée ou collatérale ?),
- la justification (est-elle utilitaire, ou irrationnelle ?).
Cette classification remet bien en mémoire le répertoire des violences, et montre bien le caractère spécifique à chacune ; il faudrait lui ajouter une colonne verticale rappelant les nombres d’animaux qui en sont victimes, afin de rendre ce tableau encore plus accusateur, et de réveiller les consciences.
MODÈLE DE CLASSIFICATION DES VIOLENCES IMPOSÉES PAR L’HOMME AUX ANIMAUX
par Jean-Paul Richier, psychiatre
NB:
- L'application de cette grille comporte nécessairement une part d'arbitraire (par exemple une même activité peut comporter à la fois des souffrances publiques, une même activité peut comporter à la fois des souffrances collatérales et des souffrances assumées, la distinction entre l'utilité et le plaisir peut être débattue, des rubriques comme l’expérimentation peuvent recouvrir des pratiques très diverses et des objectifs très variés, etc.
- La souffrance, qu'elle soit physique ou psychique , qu'elle soit provoquée activement ou par privation, fait le plus souvent, de la part de ceux qui y participent directement ou indirectement, l'objet de déni, de minimisation, de méconnaissance, ou de rationalisation.
Article publié dans le numéro 92 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.