En 1990, la commission des communautés européennes décide de minimiser l'affaire de la vache folle en pratiquant la désinformation. Aujourd'hui, ce sont les abeilles les victimes.
« L’histoire est un perpétuel recommencement » disait Thucydide, homme politique et historien athénien. En 1985, une maladie dégénérative du système nerveux fait son apparition dans des élevages de bovins au Royaume-Uni, provenant de l’alimentation, à base de farines animales. Cinq ans plus tard, une note stupéfiante du 12 octobre 1990, émanant du service des consommateurs de la Commission des communautés européennes (ancêtre de la Commission actuelle) a appelé à « minimiser cette affaire en pratiquant la désinformation », et à entretenir l’idée que la presse a tendance à « exagérer ». Manque de chance, cette même presse a mis la main sur ladite note et n’a pas tardé à la rendre publique, mettant ainsi le président de la Commission de l’époque Jacques Delors dans une position plus que délicate…
Mais quel rapport avec la mortalité très inquiétante des abeilles ? Pour le ministère de l’Agriculture, toute hypothèse quant à sa cause doit paraître plus probable (ou plus arrangeante ?) que celle d’une intoxication par les pesticides, notamment les fameux néonicotinoïdes. Pourtant, la dangerosité de trois de ces derniers a été confirmée en février dernier par un rapport de l’EFSA, l’agence européenne en charge de la sécurité sanitaire des aliments. Et si l’on se réfère à l’importance du rôle des insectes pollinisateurs dans notre écosystème (80 % des cultures dans le monde en sont directement dépendantes), on aurait pu croire que devant ces conclusions, le gouvernement s’empresserait d’annoncer des mesures, comme il en a l’habitude, sous la forme d’un « grand plan pour les abeilles », ou de l’organisation d’« Assises des abeilles », ou encore qu’il lancerait des « États généraux des abeilles ».
C’est du moins ce qu’espéraient les apiculteurs et leur représentant principal, l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF). De son côté, l’ANSES (Agence nationale de sécurité de l’alimentation) a publié un rapport critique en septembre 2017, concluant que le suivi épidémiologique des abeilles domestiques mis en place depuis trente ans est insuffisant et que ce suivi a sous-estimé le nombre d’abeilles intoxiquées par les pesticides. L’Agence recommande d’axer la surveillance sur les pesticides, autres biocides et médicaments vétérinaires. Ce rapport avait été initié à la suite de la contestation par les apiculteurs des conclusions du ministère de l’Agriculture sur les principales causes de la mortalité des abeilles, maladies et pratiques des apiculteurs.
Le ministère de l’Agriculture a réagi de façon stupéfiante au rapport ANSES : il a tout simplement décidé de ne pas rechercher systématiquement les pesticides, sauf dans les cas où « l’intoxication ne peut être exclue » ! La réaction du ministère à la mise en accusation des néonicotinoïdes est du même… tabac que la note de 1990. Pas vu, pas pris !
On est évidemment très curieux des causes que le ministère pourrait évoquer : vent mauvais, éclipse, passage de comète, mauvais sort jeté, franchissement du mur du son, contamination par le prion, pourquoi pas ? La vache folle serait-elle responsable ?
La différence entre l’affaire de la vache folle et l’affaire des abeilles, c’est qu’au lieu de « minimiser » et de pratiquer la « désinformation », on bloque l’information à sa source, on se met en Travert de la vérité. L’histoire est un perpétuel recommencement, mais elle devrait permettre aussi de tirer des leçons des erreurs du passé, n’est-ce pas ?
Camille Col et Jean-Claude Nouët
Article publié dans le numéro 97 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.