Le Toro de la Vega n’existe plus

Le Toro de la Vega, une pratique espagnole au cours de laquelle un taureau était poursuivi et supplicié à coups de lances, est enfin abolie. Cette pratique avait lieu chaque année en septembre, depuis paraît-il cinq siècles, à Tordesillas, une commune appartenant à la communauté autonome de Castille et León, dans la province de Valladolid, en Espagne. Un taureau était lâché dans les rues de la ville, puis poursuivi par une foule armée de lances, à pied ou à cheval, jusque dans la plaine (la vega) où il était achevé à la lance, puis à coups de poignard dans la nuque.

Taureau de la Vega

Pourquoi employons-nous l’imparfait ? Parce que cette année, si un taureau a été lâché comme les autres années, il n’a pas fait l’objet de mauvais traitements physiques. En effet, le Conseil exécutif (la Junta) de Castille et León a adopté en mai dernier un décret-loi interdisant la mise à mort de taureaux en public lors des spectacles taurins populaires et traditionnels (inutile de préciser que ces spectacles n’incluent pas les corridas). Ce décret-loi a été validé en juin par le Parlement (las Cortes) de la communauté, et a donc pris statut de loi.

L’exposé des motifs du décret-loi s’appuie explicitement sur « la volonté sociale persistante qui s’accroît de jour en jour, et s’exprime par des demandes et des pétitions répétées envers les instances de notre Communauté autonome, par les divers moyens légaux prévus par le système juridique, ainsi que, de façon publique et manifeste, par des mobilisations publiques. »

L’expression de cette volonté sociale s’est faite notamment, à l’échelon espagnol, grâce au Parti animaliste contre la maltraitance animale (PACMA), la fédération d’associations La torture n’est pas notre culture (LTNEC), et l’organisation vétérinaire AVATMA, soeur espagnole de notre Collectif des Vétérinaires pour l’abolition de la corrida (COVAC).

C’est ainsi que le 13 septembre a eu lieu à Tordesillas le premier lâcher de taureau rebaptisé Toro de la Peña. Bien sûr, le taureau a été stressé et harcelé, comme le sont les taureaux lors des lâchers, en Espagne ou dans les autres pays où ces pratiques ont lieu. Et il a sans doute été tué par la suite hors la vue du public, comme le prévoit encore le règlement des spectacles taurins populaires (1). Mais cette année, il n’a pas été publiquement blessé à coups de lances jusqu’à la mort, ce qui est un progrès déterminant. Quelques milliers de personnes étaient présentes. Parmi elles, d’une part, des gens de la localité et des pro-taurins qui réclamaient le retour aux lances traditionnelles, et, d’autre part, des défenseurs des animaux venus de toute l’Espagne pour vérifier que le taureau n’allait pas être blessé. La police et la garde civile étaient présentes à la fois pour veiller au respect de la nouvelle réglementation, et pour protéger les détracteurs du « Toro de la Vega » de la violence de ses défenseurs.

Le caractère hautement symbolique de ce changement lui a valu d’être commenté par toutes les grandes agences de presse (AFP, Reuters, AP, EFE), par l’ensemble des médias espagnols comme le premier quotidien El Pais ou le groupe audiovisuel public RTVE, par des médias anglophones comme CBS ou The Guardian, et par des médias français comme le site audiovisuel public d’actualités France Télévisions ou le quotidien Le Monde.

Rappelons que le 10 septembre, des milliers de citoyens espagnols avaient manifesté à Madrid pour réclamer l’interdiction de la corrida. Ce rassemblement était notamment dû au PACMA, mouvement organisé en parti politique.

André Viard, président depuis 2008 de l’association française de lobbying tauromachique Observatoire national des cultures taurines (ONCT), était présent ce 13 septembre à Tordesillas, pour défendre le retour aux lances. Interrogé (2) lors de l’émission Miroir public de la chaîne de télévision espagnole Antenne 3, il a entre autres proclamé « Rappelez-vous que les nazis ont commencé par brûler les livres, et ensuite on sait où ils en sont venus. Ici, nous pouvons confirmer que dans le monde entier il y a une idéologie sectaire végane qui tente d’imposer son point de vue, et ce point de vue peut nous faire arriver à une guerre de civilisation, n’en doutez pas ! » Et il a martelé « Les droits des animaux n’existent pas ! Ils n’existent pas ! » L’émission Zapping de la chaîne espagnole La Sixième a rendu cet hommage au porte-parole français de la tauromachie : « Il est impossible de dire plus de stupidités par minute ! »

Outre-Pyrénées, le président de l’ONCT se laisse aller. Il faut dire que ses excès l’ont rendu inaudible en France. À quelques exceptions près, toutefois : début octobre, le président du Sénat Gérard Larcher accueille et inaugure au Palais du Luxembourg un « colloque » de l’ONCT intitulé « L’Homme et les animaux, vers un conflit de civilisations ? » (5) La présentation de ce « colloque » (qui réunit toujours la même poignée d’affidés) fait référence aux « valeurs que notre civilisation a héritées de la pensée judéo-chrétienne » et cite la Genèse 1-28, où, après avoir créé l’homme et la femme, « Dieu leur dit : remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre ». D’où la profession de foi de M. Viard : « Les droits des animaux n’existent pas ! » On ne peut que déplorer qu’une caution officielle soit apportée à ce colloque par M. Gérard Larcher, président du Sénat et… vétérinaire.

Jean-Paul Richier

Article publié dans le numéro 91 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences 

Article original et liens complémentaires publiés sur le site du Covac : http://www.veterinairesanticorrida.fr/2016/09/le-toro-de-la-vega-n-existe-plus.html

  1. https://www.tramitacastillayleon.jcyl.es/web/jcyl/binarios/433/126/Decreto%2014_1999_Reglamento%20espectaculos%20taurinos%20y%20MODIFICACIONES,0.pdf
  2. http://www.elplural.com/2016/09/13/lasbarbaridades-de-un-defensor-de-los-torosindignan-los-tertulianos-de-espejo-publico

ACTUALITÉS