Le 17 mai 2018, lors d’une réunion de la Commission nationale de l’expérimentation animale (CNEA), en notre qualité de membre titulaire de la CNEA au titre de représentant de la protection animale et de la nature, nous avons affirmé notre refus d’examiner les dossiers de formation à l’expérimentation animale soumis à l’examen et à la validation par la CNEA. En séance, nous avons affiché une pancarte autour du cou mentionnant « EN GRÈVE ».
Nous avons ainsi voulu protester contre le retard de publication du décret tant attendu, destiné à rééquilibrer la composition de la CNEA, dans laquelle la protection des animaux est sous-représentée.
En effet, l’article R214-132 du code rural et de la pêche maritime fixe cette composition comme suit : 8 représentants des ministères concernés, 9 représentants de la recherche (3 de la recherche publique, 3 du secteur industriel privé et 3 professionnels de l’expérimentation animale), et seulement 3 représentants de la protection animale et de la nature. Il en résulte que les représentants de la protection animale ont à évaluer trois fois plus de dossiers de formation à l’expérimentation que les autres membres de la commission. La conséquence est qu’ils ne peuvent pas consacrer le temps nécessaire à l’étude approfondie de chaque dossier, où leur rôle est notamment de veiller à la réelle prise en compte de toutes les dispositions réglementaires destinées à assurer le bien-être des animaux utilisés à des fins scientifiques.
En effet, la CNEA a notamment mission d’examiner les demandes de validation des « formations à l’expérimentation » propres aux fonctions des personnes appelées à utiliser l’animal : conception de projet expérimental, exécution de protocole, soin aux animaux. Chaque dossier est examiné et présenté à la Commission par deux rapporteurs. En général, des contacts directs (téléphone ou emails) avec le responsable de la formation, sont nécessaires pour des éclaircissements ponctuels. Puisque la nouvelle directive affiche comme objet la mise en oeuvre de « mesures pour la protection des animaux », chacun des dossiers est légitimement soumis à un représentant de la protection animale et de la nature. Comme ils sont trois fois moins nombreux que les autres, ils ont trois fois plus de travail à fournir.
Le déséquilibre structurel est ainsi aggravé, au point que les rapporteurs ne peuvent matériellement, en raison de leurs occupations extérieures, consacrer le temps nécessaire à l’étude approfondie de chaque dossier. Or, c’est notamment sur leur expertise que la CNEA peut rendre l’avis favorable ou défavorable qui permettra au ministre de prononcer ou non l’approbation de ladite formation.
C’est pourquoi le 3 mars 2016, nous avions adressé un courrier au ministre de l’Agriculture M. Stéphane Le Foll et au secrétaire d’État chargé de la Recherche M. Thierry Mandon, pour exposer la situation et demander que le nombre des membres de la CNEA désignés sur proposition « des organisations reconnues d’utilité publique de protection des animaux et de protection de la faune sauvage », soit augmenté afin d’égaler celui des membres représentant la recherche (soit 9), ou au moins de s’en approcher en passant de 3 à 6. Le 7 juin 2016, nous avons reçu une réponse du directeur général de l’Alimentation, M. Patrick Dehaumont, nous informant que la demande avait été prise en compte, et « qu’un décret en Conseil d’État sera pris dans les prochains mois », doublant le nombre des représentants de la protection animale.
Depuis, en réponse à nos relances, le nouveau texte nous a été annoncé successivement pour l’automne 2016, puis pour la fin de l’année, pour le début de 2017, pour « avant l’été », pour la rentrée 2017, pour le début de 2018. De Pâques en Trinité, des 4 jeudis en dents de poules, et de calendes grecques en saint-glinglin, nous n’avons rien vu venir. À trois reprises, dans les numéros 90, 95 et 96 de cette revue, nous avons dénoncé ce calendrier étirable comme un accordéon.
La raison en serait que le décret CNEA aurait été inclus à un décret « abattage » dont la publication s’est révélée nécessaire après les scandales révélés par la publication de vidéos dénonciatrices de cruautés.
Funeste initiative (prise semble-t-il par les services juridiques ministériels) que ce lien car le décret abattage est une affaire lourde et lente, aux incidences diverses, économiques, politiques, sociales, qui du coup bloque le décret CNEA, lequel, lui, ne soulève aucune autre difficulté que multiplier 3 par 2. Cette raison ne nous convient pas, et ne justifie pas que nous continuions à réclamer et à attendre.
Alors, ainsi que nous l’avions annoncé, et constatant que cela ne pouvait plus durer, nous avons décidé d’afficher notre refus d’examiner les dossiers qui nous seront soumis. Devant notre protestation la Commission nationale de l’expérimentation animale s’est engagée à écrire un courrier aux deux ministères afin de leur rappeler leur engagement, et de les inciter à publier ce décret au plus vite.
Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences