CR : Contre l’exploitation animale

L’envers du décor : un ancien dompteur témoigne

André-Joseph Bouglione, avec la collaboration de Roger Lahana, Tchou éditeur, 2018

Beaucoup de pays ont interdit, dans les cirques, les spectacles d’animaux sauvages, et la question est actuellement, en France, l’objet d’un vif débat. Dans ce cadre, il est particulièrement utile de recevoir le témoignage d’un ancien dompteur, et non des moindres, qui a, lui aussi, opté pour cette suppression. André-Joseph Bouglione est issu d’une des plus prestigieuses familles du cirque français, une famille dont beaucoup de membres ont justement été dompteurs.

Contre l'exploitation animale de André-Joseph Bouglione

« Début mai 2017, un coup de tonnerre ébranle le petit monde très fermé du cirque traditionnel […] nous annonçons, mon épouse et moi, que nous renonçons à utiliser des animaux dans notre cirque » (p. 11). L’épouse, c’est Sandrine, elle-même fille de dresseur et artiste brillante dans de nombreuses disciplines du cirque, « enfant de la balle surdouée » (p. 41). Tout le livre est finalement la justification de cette décision remarquable et l’explication de ses ressorts. Pour ce faire, l’ouvrage expose avec clarté tous les attendus de la décision : l’historique du cirque, bien sûr, mais aussi les parcours individuels des deux protagonistes, André-Joseph et Sandrine. Des parcours de vie difficiles et qui montrent, en filigrane, les obstacles innombrables rencontrés par les grandes familles du cirque, depuis les accidents physiques, les difficultés existentielles jusqu’aux conflits entre clans familiaux. Des familles traditionnelles pour qui « rien ne doit jamais changer, tout doit rester tel que les anciens ont dit qu’il fallait faire » (p. 31).

On mesure bien, au travers de ces parcours atypiques et parfois dramatiques, au travers de ces difficultés personnelles et de ces rigidités sociales, les enjeux de la décision courageuse prise par ce couple exemplaire, une décision qui combine un espoir de sauver le cirque traditionnel – se réinventer ou disparaître (p. 12) – tout en le mettant au diapason des valeurs morales de notre (de son) époque. « Notre ambition est […] faire évoluer le cirque traditionnel en abandonnant les numéros avec animaux pour le sauver de l’abîme dans lequel il est en train de s’enfoncer » (p. 13).

Dans son constat, l’auteur est dur sur l’état des cirques d’aujourd’hui. « Aujourd’hui le cirque est un corps malade et le traitement va prendre plusieurs mois ou années » (p.  32). Comme le cirque d’antan a su abandonner, pour des raisons morales, la présentation de sujets humains porteurs de difformités, le cirque contemporain doit aussi être sensible à « l’évolution des consciences vis-à-vis de la condition animale » (p. 30). Aujourd’hui « on a compris que certains comportements que l’on croyait normaux étaient en fait des signes de stress » (p. 54). Le léger balancement des éléphants « que je croyais être un signe de détente était en fait un trouble lié à l’enfermement » (p. 55). Les succès de l’éthologie joints à une prise de considération écologique par le public doivent aboutir à la suppression pure et simple des spectacles impliquant des animaux sauvages. Aux États-Unis le célèbre cirque Barnum a disparu en 2017 « sous la pression des défenseurs des animaux » (p. 60) qui avaient filmé des cas de maltraitance et envoyé le cirque devant les tribunaux. À long terme le cirque n’a pu faire face à un changement de l’opinion publique.

Et il ne faut pas oublier les petits cirques, où la maltraitance des animaux est quasi permanente : « La vraie maltraitance courante n’est pas due à l’envie de maltraiter, mais à l’ignorance, l’incompétence, la stupidité » (p. 56). On cherche à faire faire aux animaux des gestes qu’ils ne comprennent pas et qui les stressent en permanence. Les pouvoirs publics vérifient les normes de maintenance, jamais les conditions de dressage. Enfin l’auteur dresse le portrait sordide de ce qu’il appelle les « cirques voyous » (p. 63) qui n’ont aucun respect ni pour les animaux ni même pour le public, qui vont parfois jusqu’à « de graves intimidations à l’égard de la population » (p. 67), voire « à menacer les élus de mort » (p. 67). Ces établissements sont les lieux de tous les trafics, notamment d’animaux, légaux ou non. Ils « se comportent en voyous, sont très fiers de l’être » (p. 53). Ils ont largement contribué à la mauvaise réputation de la profession et entretiennent « un rejet général du cirque » (p. 68), comme le font aussi les nombreuses arnaques financières décrites au chapitre VIII du livre.

« Le milieu du cirque est, en règle générale, extrêmement conservateur » (p. 45). Si bien que « lorsque j’ai rendu publique ma décision de renoncer aux animaux, tout le monde du cirque m’est tombé dessus au point de m’envoyer des menaces de mort, anonymes bien sûr » (p.  45). Mais l’évolution sociale est en marche et la décision d’abandonner les spectacles d’animaux sauvages va dans ce sens historique. « Je ne vois plus de beauté dans un numéro de lions, confie l’auteur, je vois de l’esclavage, même si certaines cages sont dorées » (p. 80). Comme le remarque, dans sa préface, Roger Lahana : « Tôt ou tard, les cirques avec animaux seront interdits en France » (p. 9). Le présent ouvrage est donc bien un appel aux cirques existants pour qu’ils prennent le train en marche, qui est celui de leur survie, mais aussi celui de la morale. Dans le dernier chapitre du livre, l’auteur propose des mesures visant à la création d’un nouveau type de cirque, sans animaux, disposant d’un label particulier correspondant à un cahier des charges précis. Le projet prévoit aussi « des refuges ou sanctuaires » (p. 82) pour accueillir les animaux « dont les établissements auront décidé de se séparer » (p. 82).

N’oublions pas enfin les intéressantes annexes de ce beau livre. La première expose « les autres divertissements avec animaux » (p. 93), depuis les delphinariums jusqu’aux combats de coqs et à la corrida, sans oublier les parcs zoologiques. Une autre explique en quoi consiste un «  certificat de capacité  » à détenir des animaux (p. 101), tout en constatant que beaucoup de petits cirques travaillent, au mépris de la loi, sans réel certificat de capacité. Une autre donne (p. 103), pour la France, avec leur couleur politique, la liste des « communes demandant des cirques sans animaux » et l’on y trouvera la confirmation que la protection animale intéresse des membres de tous les partis politiques, depuis l’extrême-gauche jusqu’à l’extrême-droite. On notera que Paris a fait une déclaration d’intention dans le sens de l’interdiction des spectacles avec animaux sauvages, mais sans qu’une date d’application ne soit donnée (p. 106), renvoyant pour cela à l’État. D’autres annexes expliquent les différences entre gens du cirque (« circassiens »), forains, gens du voyage ou roms, ou encore, comment s’effectue, avec difficulté, l’éducation des enfants circassiens, toujours, en déplacement.

Au total il s’agit d’un livre riche d’enseignements, très agréablement écrit et d’une importance sociale et morale considérable. Il s’adresse à tous les publics et il faut souhaiter qu’il obtienne le succès qu’il mérite.

Georges Chapouthier

Article publié dans le numéro 98 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.

ACTUALITÉS