La diffusion de vidéos de mises à mort en abattoir filmées en caméra cachée a fait exploser une émotion et une révolte généralisées, doublées aussitôt de la question : comment cela est-il possible aujourd’hui ?
Après les deux premières diffusions de vidéos, onze ONG associations et fondations (dont la LFDA) ont envoyé des courriers au ministre de l’Agriculture (1). Oui, comment est-ce possible, puisque les abattoirs sont soumis à une réglementation ? Rappelons en les mesures principales. La mise à mort des animaux est visée par un Règlement européen (2) directement applicable par les États. Il a été adopté en 2009 en application du protocole 33 annexé au Traité instituant la Communauté européenne, qui considère que le bien-être animal est une valeur communautaire. Sur ce fondement hautement éthique, développé et commenté au long de 62 « considérants » introductifs, le Règlement de 2009 impose des règles détaillées.
1- Les animaux doivent :
- bénéficier du confort physique, être protégés contre les blessures, ne pas présenter de signes de douleurs ou de peur (art. 3),
- être mis à mort uniquement après leur étourdissement (art. 4),
- être contrôlés quant à la réalité et la qualité de cet étourdissement (art. 5).
2- Pour le déroulement des opérations d’abattage,
- le Règlement impose que seuls des personnels titulaires d’un certificat de compétence puissent effectuer ces opérations,
- c’est-à-dire manipulation et immobilisation des animaux,
- étourdissement,
- évaluation de la qualité de cet étourdissement, accrochage,
- saignée (art. 7).
Les modalités détaillées de délivrance de ce certificat de compétence ont fait l’objet de l’arrêté ministériel du 31 juillet 2012 (3), doublé d’une note de service (4) de la Direction générale de l’Alimentation (22 août 2015) à destination des Préfets.
3- L’obligation de contrôles fait l’objet de l’article 16. L’exploitant d’un abattoir doit concevoir une procédure de contrôles pour chaque chaîne d’abattage, qui mentionne les noms des personnes qui en sont chargées, les indicateurs permettant d’apprécier la qualité de l’inconscience.
4- Dans chaque abattoir, le bien-être des animaux est dévolu à un « responsable » (art. 17) nécessairement titulaire du certificat de compétence : « Les exploitants désignent, pour chaque abattoir, un responsable du bien-être des animaux qui les aide à assurer le respect des dispositions du présent règlement ». Il est placé sous l’autorité directe de l’exploitant et doit être « en mesure d’exiger que le personnel de l’abattoir prenne les mesures correctives nécessaires pour garantir le respect des dispositions du présent règlement ». Ce responsable tient un registre des mesures prises pour améliorer le bien-être des animaux.
En France, lui a été attribué le titre de Responsable protection animale (RPA). Au passage, ouvrons une parenthèse pour déplorer cette dénomination RPA. En effet, le terme de « protection animale » est devenu totalement obsolète depuis que l’on se soucie, y compris dans les textes, de respecter le « bien-être » des animaux (5). Protéger les animaux est bien différent d’assurer leur bien-être !
Les protéger c’est essentiellement leur épargner douleur et souffrance ; leur assurer le bien-être c’est aller bien au-delà, y compris dans le cadre de leur mise à mort ainsi d’ailleurs que le précise l’article 3 du règlement, qui cite comme éléments le confort physique, la propreté, la sécurité, la manipulation, le comportement (interaction entre animaux).
La dénomination Responsable du bien-être des animaux aurait dû être préférée. Il n’est d’ailleurs pas assuré que le choix ait été totalement innocent : l’effacement du « bien-être » au bénéfice de la « protection » arrange beaucoup le discours de la production intensive…
5- Cela dit, revenons aux RPA, qui doivent être présents dans les abattoirs. Dans tous les abattoirs ? Hélas non ! Le Règlement mentionne que la présence du RPA n’est pas imposée aux abattoirs qui traitent « moins de mille unités de gros bétail ou 150 000 oiseaux ou lapins par an ». Qu’est-ce qu’une « unité gros bétail » ou UGB ? C’est une mesure qui permet, par l’application d’un coefficient diviseur, de comparer les divers cheptels :
- 1 UGB pour grands bovins et équidés,
- 0,5 UGB pour les autres bovins,
- 0,15 UGB pour les porcins de plus de 100 kg,
- 0,10 UGB pour ovins et caprins,
- 0,05 UGB pour porcelets, agneaux, chevreaux.
Ainsi, les abattoirs qui n’ont pas obligation de nommer un RPA sont ceux dans lesquels sont abattus moins de 1000 grands bovins, moins de 2000 bovins autres, 6 666 porcins > 100 kg, 10 000 ovins ou caprins, 20 000 agneaux.
Voilà donc un point très intéressant : les « petits abattoirs », c’est-à-dire 36 des 263 abattoirs en fonctionnement en France ne sont pas tenus de désigner un RPA ! Les trois abattoirs dénoncés dans l’actualité récente sont-ils du nombre ? Non : un seul sur les trois (Vigan) en fait partie, les deux autres sont des abattoirs qui ont l’obligation d’avoir un RPA parmi les salariés (Mauléon-Licharre et Alès). La présence ou l’absence d’un poste de RPA ne semblent pas déterminantes.
Répondant à l’émotion révoltée de l’opinion, plusieurs suggestions ont été lancées par des personnalités politiques ou médiatiques sur les suites à donner :
- * imposer un RPA dans tous les abattoirs, quelle que soit leur activité annuelle ;
- * installer des caméras de surveillance ;
- * renforcer la formation des RPA ;
- * multiplier les contrôles vétérinaires ;
- * renforcer les sanctions pénales.
Reprenons chacune d’elle, en donnant l’avis de la LFDA : elle a toujours et dans tous les sujets, marqué sa préférence pour la prévention et la formation.
- La présence d’un RPA dans tous les abattoirs : c’est une nécessité, ne serait-ce qu’en considération des effectifs considérables d’animaux qui peuvent être atteints avec le système des coefficients UGB. En effet, on ne peut pas accepter qu’un abattoir qui met à mort 10 000 ovins par an (0,10 UGB), voire 20 000 agneaux (0,05 UGB) puisse être dispensé de la présence d’un RPA. Cela n’est pas acceptable. Les concepteurs du règlement n’ont pas vu cette incongruité ? Ou l’ontils glissée sous le tapis ? Sur ce point, la LFDA demande une modification de la réglementation.
- L’installation de caméras de surveillance : elle devrait couvrir toutes les étapes-clés de l’abattage (déchargement, immobilisation, étourdissement, saignée, accrochage), et permettre ainsi de voir et savoir si le bien-être de l’animal est constamment vérifié et assuré. La proposition soulève diverses questions de budget, d’exploitation des enregistrements, de liberté individuelle des personnels.
- La formation des personnels : elle est actuellement dispensée de façon très insuffisante. Mise en place en vue de l’obtention du « certificat de compétence » par les personnels effectuant la mise à mort, elle est déléguée à des organismes reconnus par le ministère de l’Agriculture. Elle se déroule sur seulement deux journées et porte sur les bonnes règles de la mise à mort, depuis le déchargement du camion de transport jusqu’à l’abattage. Selon le Dr Kieffer, président de l’OABA (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs), la formation est uniquement théorique, et vérifiée par un examen par QCM (questions à choix multiples). Pour la LFDA, une formation préalable est toujours un point capital : elle est de loin préférable à la sanction qui intervient après coup. La LFDA demande donc que le certificat de compétence soit acquis au terme d’une formation renforcée. Elle considère de plus qu’en aucun cas la note minimale de 10/20 obtenue à l’examen ne peut signifier une compétence suffisante propre à assurer le bien-être des animaux.
- Les personnels comportent aussi les RPA. Ceux-ci doivent bénéficier d’une formation les préparant véritablement à leurs fonctions et à leurs responsabilités. La LFDA souligne qu’un RPA nommé n’est pas nécessairement un RPA efficient, malgré ce que les textes laissent comprendre. Qu’il soit désigné n’implique pas qu’il soit présent en permanence. De plus, si la création d’un « responsable du bien-être animal » parmi les salariés d’un abattoir a pu paraître comme une bonne idée aux rédacteurs du règlement européen, elle se révèle perverse et encline à annuler ses effets en raison du conflit d’intérêts dans lequel elle place le responsable en question. En effet, la fonction du RPA le contraint de remédier immédiatement à toute situation contrevenant au bien-être animal, en intervenant auprès des personnels concernés, ou en informant l’exploitant de l’abattoir, ou en réclamant un arrêt de la chaîne d’abattage. Toutes les interventions de ce type de la part d’un RPA le mettent nécessairement en conflit avec les autres salariés, ou avec son patron, conflit dont il a tout lieu de craindre quelque conséquence pour sa sécurité ou pour son emploi. Quelle décision peut-il prendre, quel choix peut-il faire, en toute liberté de conscience ? Pour rassurante et efficace qu’elle ait pu paraître, la présence d’un RPA n’assure rien, faute d’avoir, soit dès l’adoption du règlement, soit ultérieurement par arrêté, sécurisé ce responsable en créant un statut qui garantisse son emploi, sa sécurité et son indépendance décisionnelle, c’est-à-dire qui rende possible sa fonction. En absence de ces garanties, la nomination d’un « responsable du bien-être animal » se résume à un effet d’annonce.
- Les contrôles vétérinaires : ils sont à l’évidence insuffisants et cela pour deux raisons. La première est que les inspecteurs vétérinaires ne sont plus assez nombreux, depuis que 1 000 postes ont été supprimés entre 2004 et 2014, conformément aux décisions de restriction budgétaire. Une centaine de postes ont été rétablis en 2014 et 2015. Leur effectif doit être et sera augmenté. La deuxième raison est que ces inspecteurs sont prioritairement, voire uniquement, affectés à l’inspection sanitaire des animaux (à leur arrivée) et des viandes (l’animal n’est plus que carcasse), au détriment de la surveillance du bien-être de l’animal (pendant toutes les opérations de la mise à mort). Sans nier le souci de la qualité des viandes à livrer à la consommation, la mission des inspecteurs vétérinaires devrait être réorientée sur le bien-être des animaux. De toutes les mesures visant à mieux veiller au bien-être animal, l’inspection vétérinaire est probablement la plus efficace, car l’inspecteur vétérinaire a toute autorité et toute indépendance nécessaires ; il a de plus la capacité de bloquer la chaîne d’abattage, une décision drastique que craint fortement le responsable d’abattoir.
Mais l’augmentation du nombre des postes rencontre évidemment de fortes hésitations ou résistances de la part du gouvernement, en raison des budgets nécessaires. Des décisions politiques et budgétaires vont devoir être prises. Dans l’attente des textes réglementaires, le ministre Stéphane Le Foll a annoncé diverses mesures. En premier lieu, il a envoyé instruction aux préfets de faire procéder à des inspections dans tous les abattoirs de France portant spécifiquement sur « les conditions d’abattage des animaux de boucherie ».
Le 5 avril, le ministre a annoncé son intention de « créer un délit de maltraitance » aux animaux avec « sanctions pénales ». L’annonce est ambiguë, et elle a été interprétée comme remédiant au fait que les actes de maltraitance envers les animaux ne seraient pas réprimés. Or ils sont déjà spécifiquement visés par l’article R 654-1 du code pénal, et sont punis d’une amende de 750 €. Ils sont déjà mentionnés dans le code rural, art. L 214-3 : « il est interdit d’exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu’envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité », et l’article L 215-12 indique que « la procédure de l’amende forfaitaire […] est applicable en cas de contravention aux dispositions [de l’article] L 214-3 », c’est-à-dire celle qui est prescrite par l’article R 654-1 du code pénal !
Les actes de maltraitance sont visés par les deux codes. Dans leur majorité, les articles de presse ont hélas tout mélangé ! En réalité, le ministre envisage de qualifier de délits les actes de maltraitance, c’est-à-dire passibles d’amende et de peine de prison, alors qu’ils sont qualifiés actuellement d’infractions, passibles d’une amende. Cela peut être envisageable, à la condition qu’il ne soit pas oublié d’inscrire cette nouvelle qualification dans le code pénal, au niveau de son article R 654-1 ! Mais cela ne réglera en rien l’indifférence générale du Parquet et des procureurs, qui ont une forte tendance à ne pas prendre en considération les plaintes qui sont déposées au sujet de mauvais traitements.
Une action forte du ministre de l’Agriculture devrait être conduite auprès de son collègue Garde des sceaux, aux fins d’une sensibilisation du Parquet à la cause animale. C’est une action que réclame la LFDA depuis longtemps, notamment dans les rapport qu’elle a remis au Premier ministre en 2003 et 2004.
Par ailleurs, le ministre a insisté sur le fait que si l’État a une responsabilité pour le suivi de ce qui se passe dans les abattoirs, la responsabilité au sein des abattoirs doit être aussi engagée ; il a annoncé envisager d’introduire une nouvelle qualification pénale responsabilisant les exploitants d’abattoir en cas d’irrespect des règles de protection animale. Les intentions officielles sont louables.
Espérons que les nouvelles dispositions seront fermes et claires, et surtout qu’elles seront fermement appliquées. A l’occasion des modifications qu’il est envisagé d’apporter à la réglementation, La Fondation LFDA renouvelle avec insistance sa demande d’aggravation des peines prévues à l’article 521 du code pénal.
Il n’est pas justifiable que ces peines, infligées pour avoir notamment exercé des sévices graves ou commis un acte de cruauté (deux ans de prison et 30 000 € d’amende), soient inférieures aux peines prévues pour le vol (6) d’un animal à l’article 311-3 du code (trois ans de prison et 45 000 € d’amende).
En effet, du point de vue de l’éthique à l’égard de l’animal et de son caractère d’être sensible, il est infiniment plus grave de lui infliger volontairement des douleurs et des souffrances que de le voler. La cruauté doit être punie au moins à l’égal du vol. Nous ne pouvons conclure ces réflexions sans déplorer que la sensibilité du public à l’égard des mauvais traitements et des actes de cruauté constatés dans quelques abattoirs ne se soit pas manifestée avec autant de dégoût et de révolte à l’égard des actes de cruauté et des sévices graves exercés en public dans les arènes, lors des infâmes corridas d’Arles, de Nîmes, Alès et autres villes de sang, devant un public qui paie pour s’en distraire ou s’en délecter.
Nous ne pouvons que déplorer la faiblesse des pouvoirs publics, qui n’ont pas le courage et l’honnêteté de mettre fin à des pratiques archaïques pour des raisons de calcul politique et électoraliste, et qui se satisfont d’une attitude éthique à l’égard de l’animal ainsi frappée d’une incohérence totale.
Jean-Claude Nouët
- Courriers téléchargeables sur notre site internet : voir l’article : https://www.fondation-droit-animal.org/rubriques/actualites/actualites_presse.htm#a37
- Règlement (CE) N° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009
- Arrêté du 31 juillet 2012 relatif aux conditions de délivrance du certificat de compétence concernant la protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort. NOR AGRG 1231268A
- Note de service DGAL/SDSSA/SDSPA/N20128182 du 22 août 2012
- Le caractère obsolète de l’appellation « protection animale » est tel que, lors d’une réunion du comité des experts bien-être du Cnopsav (Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale), nous avons suggéré que le BPA, Bureau de la protection animale soit rebaptisé Bureau du bien-être animal. L’idée a paru ne pas pouvoir être acceptée, parce que les nouveaux papiers à en-tête venaient d’être imprimés !
- Le vol est défini à l’article 311-1 du code pénal : « Le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ». À première lecture, on pourrait penser que l’animal n’est pas concerné, en référence au fait que l’animal n’est pas une « chose » ; cette situation semblait particulièrement critiquable après la modification du code civil apportée par la loi du 6 janvier 1999, qui modifiait les articles 524 et 528 du code, en distinguant dans l’un « les animaux et les corps » parmi les biens meubles, et dans l’autre « les animaux et les objets » parmi les biens immeubles. L’animal, reconnu ainsi ne pas être une « chose » était-il cependant concerné ? Fallait-il préciser que l’article 311-1 concernait « l’animal et la chose d’autrui » ? Les juristes ont pris position en considérant qu’il s’agissait ici de la « chose juridique » et non de la chose objet, et donc que l’animal était inclus dans le terme « la chose d’autrui ». L’amendement Glavany a abrogé les articles 524 et 528 : décision qu’a vivement regretté la LFDA, parce qu’elle avait mis quinze ans à obtenir cette distinction entre animal et chose, et parce que sur le fond, cette distinction mettait clairement les animaux à part des objets inanimés.
Article publié dans le numéro 89 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.