Le bien-être animal en abattoir: entre principes et réalités

Le 28 janvier 2015, le code civil a redéfini les animaux comme des « être vivants doués de sensibilité » (1). La sensibilité n’est pas définie dans le code civil. Dans le projet de Déclaration Universelle sur le Bien-être animal (World Animal Protection), la sensibilité est définie comme étant la « capacité à éprouver des émotions y compris la douleur et le plaisir, et suppose un niveau de conscience » (2).

Reconnaître une sensibilité aux animaux reviendrait-il à leur octroyer des droits particuliers, notamment celui de ne pas souffrir ? Rappelons tout de même que l’animal est qualifié d’être sensible dans le code rural depuis 1976. Ainsi, cette modification du code civil peut sembler minime ; elle est néanmoins révélatrice de l’évolution des mentalités de la société. Cette avancée témoigne aussi d’une modernisation des réglementations relatives aux animaux, avec une préoccupation toute particulière attachée au bien-être animal, ce qui devrait être pris en considération notamment au sein des élevages et des abattoirs.

Accorder la sensibilité aux animaux et reconnaître explicitement que ce ne sont pas seulement des biens, cela peut-il modifier notre regard sur la manière dont ils sont traités dans l’industrie agro-alimentaire et permettre d’améliorer significativement leur bien-être ? Ici il s’agira de se focaliser sur l’étape ultime du processus, qui, a priori, ne paraît pas compatible avec un respect optimal du bien-être animal : l’abattage. Il est vrai qu’à première vue, l’idée paraît aberrante, voire risible, surtout après les scandales récents (Alès, Vigan…).

Un endroit où seule la mort attend l’animal peut-il être source de bien-être ? Pour tenter de répondre à cette question, penchons-nous sur le cas de la France et étudions les réglementations auxquelles sont soumis les abattoirs. Pour accéder au panorama complet de la condition de l’animal en abattoir français, il nous faut étudier les processus de production de viande au cours des abattages conventionnels et rituels. La réalité des abattoirs correspond-t-elle aux normes établies visant à maximiser le bien-être ? Quels sont les problèmes posés par le non-respect de la réglementation ? Comment y remédier ?

I) Le quotidien dans les abattoirs français et les lois qui régissent l’abattage

1) De l’arrivée de l’animal à sa mise à mort : déroulement des instants ultimes des bêtes d’élevage dans les abattoirs conventionnels

En premier lieu, examinons rapidement les différentes étapes du processus d’abattage des animaux. Selon le code rural, la mise à mort désigne tout procédé qui cause la mort d’un animal. L’abattage correspond au fait de mettre à mort un animal par saignée (4).

Le terme « abattage » concerne donc uniquement les animaux destinés à la consommation. Après le déchargement des animaux et leur réception au niveau de l’abattoir, ils sont conduits vers les aménagements de structures d’accueil par l’opérateur. Ils subissent une inspection ante-mortem puis sont identifiés avant d’être placés dans des logettes en stabulation. Les animaux sont ensuite acheminés vers les postes d’abattage puis immobilisés avant d’être étourdis.

L’étourdissement désigne tout procédé appliqué intentionnellement qui provoque une perte de conscience et de sensibilité sans douleur, y compris tout procédé entraînant une mort immédiate (4). L’immobilisation par contention est obligatoire car elle a pour but de faciliter l’étourdissement. Elle doit permettre de mettre en place correctement le matériel d’étourdissement et d’assurer le bien-être des animaux tout en protégeant les employés d’éventuelles blessures.

Plusieurs méthodes de contention existent dans les abattoirs français : la contention manuelle dans un enclos ouvert (qui présente des problèmes de sécurité, surtout quand il s’agit de bovins), la contention dans une cage d’immobilisation (peu utilisée), le box d’étourdissement des bovins, le convoyeur en V (suspension des animaux dans un appareillage en forme d’entonnoir), le convoyeur à bande ventrale (maintien des animaux à califourchon sur un rail, moins stressant que le convoyeur en V) (5).

Les procédés autorisés pour l’étourdissement des animaux sont divers. Le but des méthodes d’étourdissement mécanique est de provoquer une inconscience immédiate par l’administration d’un coup violent sur la tête de l’animal. L’inconscience doit persister jusqu’à la mort. Cet étourdissement par percussion est obtenu soit par une technique perforante (technique irréversible la plus utilisée et provoquant des lésions anatomiques) ou non perforante (la secousse du cerveau dans le crâne est réversible).

L’étourdissement électrique se fait par électronarcose : des électrodes sont placées sur la tête de l’animal. Les électrodes doivent être placées de manière à entourer le cerveau et une tension suffisante (> 200 volts) doit être appliquée pendant plus de 3 secondes pour provoquer un état d’inconscience immédiat. Une autre méthode est l’étourdissement par gaz (dioxyde de carbone) pour les porcs et les volailles principalement.

L’animal étant étourdi, l’affalage et la suspension permettent de le placer dans une position optimale pour la saignée. La saignée se fait le plus rapidement possible après l’étourdissement par section des vaisseaux sanguins majeurs au niveau du cou (6). Ces étapes peuvent, on l’imagine aisément, occasionner de multiples douleurs si elles ne sont pas réalisées correctement. Elles sont par conséquent clairement définies et encadrées par des réglementations précises.

2) Réglementation concernant le bien-être des animaux en abattoir

L’évolution des mentalités a précédé l’évolution de la législation concernant le bien-être animal en abattoir. En effet, l’arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs ne mentionne pas le terme « bien-être ».

Les formulations « éviter la souffrance » et « épargner toute douleur » sont utilisées durant toutes les étapes mais il n’est nulle part question de l’évaluation de la douleur et de la souffrance (7). De même, le code rural évoque les termes douleur et souffrance en les qualifiant d’évitables ou d’« inévitables » mais pas le terme bien-être. En outre, on ne sait pas à quoi correspondent réellement les douleurs et souffrance inévitables ou évitables.

L’abrogation de la directive de 1993 relative à la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort par le règlement (CE) du 24 Septembre 2009 apporte des nouveautés. Ce règlement vise à atténuer (si ce n’est supprimer) la souffrance animale lors de l’étape finale de la chaîne d’élevage et tend à homogénéiser les règles de protection animale lors de l’abattage au sein de l’Union européenne. Il met en place des dispositions apparaissant innovantes mises en application au 1er janvier 2013.

L’une d’elles est la présence obligatoire dans tous les abattoirs qui abattent plus de mille unités de gros bétail par an (8) d’un responsable de la protection animale (RPA) (9). Il est désigné par l’exploitant et titulaire d’un certificat de compétence. Il veille à l’application de la réglementation en matière de protection animale et tient un registre des améliorations possibles dans l’abattoir.

Un autre point important du règlement est la mise en place de modes opératoires normalisés qui correspondent à des instructions documentées pour chaque opération ainsi que des procédures de contrôle de l’efficacité de la protection animale (comme les signes de pertes de conscience). Ces modes opératoires servent à guider les opérateurs lors des différentes étapes de la mise à mort (10).

En outre, le règlement exige que la mise à mort et les opérations annexes soient effectuées uniquement par des personnes possédant le niveau de compétence approprié. Le personnel doit posséder un certificat de compétence selon le type d’animaux, les opérations et le type de matériel (11). Enfin, des notices d’utilisation du matériel d’étourdissement et de mise à mort sont mises à disposition des opérateurs ainsi que les procédures de contrôle de l’efficacité du matériel et les recommandations d’entretien. Le matériel de rechange doit être immédiatement disponible dans le cas où le matériel est défaillant (12). Ces dispositions traduisent une réelle volonté de renforcer le bien-être animal en abattoir (13).

L’étourdissement des animaux avant leur abattage a été rendu obligatoire en France par décret en 1964 (14). Le non-étourdissement des animaux avant abattage est autorisé dans les cas suivants : abattage d’extrême urgence, abattage pour des raisons de police, abattage du gibier, abattage rituel (15). Dans le règlement de 2009, la dérogation concernant l’abattage rituel est maintenue en invoquant le respect de la liberté de religion et le droit de manifester sa religion ou ses convictions par le culte, l’enseignement et l’accomplissement des rites, tel que le prévoit l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (16).

II) La réalité de l’abattage : le bien-être animal souvent relégué au second rang

1) Les sources de douleurs avérées et potentielles associées à l’abattage

Selon un rapport de l’INRA, toutes les étapes du départ de l’établissement d’élevage jusqu’à la saignée sont potentiellement sources de douleur (17). La période pré-abattage est généralement source de stress et de douleurs (souvent produites par les interactions agressives entre animaux).

L’étourdissement doit durer suffisamment longtemps pour que l’animal ne reprenne pas conscience pendant la saignée. Il est évident que l’étourdissement ne doit pas provoquer de douleur puisqu’il a justement pour but d’éviter à l’animal les douleurs de la mort par égorgement.

L’INRA soutient que quelle que soit la méthode d’étourdissement choisie, cette étape est presque toujours associée à un inconfort physique et psychologique de l’animal. Selon le rapport, les défaillances lors de la phase d’étourdissement sont nombreuses. Le taux d’échec estimé pour l’électronarcose est de 2 à 51 % pour les ovins et pour la méthode d’étourdissement mécanique de 6 à 16 % pour les bovins.

L’étourdissement par gaz est supposé (par analogie avec l’homme) désagréable voire douloureux ; le temps d’induction de la perte de conscience se situe autour de 17 secondes pour le porc et entre 32 et 34 secondes pour les volailles. En outre, lors de la saignée, il existe une forte variabilité de l’efficacité de la saignée chez les bovins, c’est-à-dire du temps de drainage. Dans le cas d’un étourdissement réversible, une saignée mal effectuée peut causer le réveil de l’animal.

En général, la saignée thoracique est plus efficace que la saignée au niveau du cou. La bien triste conclusion est que toutes les étapes sont susceptibles d’être douloureuses pour l’animal. Il y a plusieurs raisons à cela : un personnel insuffisamment formé, un matériel défectueux, une cadence trop élevée. On remarque tout de même que l’étourdissement est souvent mal réalisé alors qu’il a précisément pour but de réduire la douleur ! Une attention toute particulière devrait être accordée à cette étape. Qu’en est-il de l’abattage rituel ?

2) L’abattage rituel sans étourdissement pointé du doigt : au cœur de la polémique

L’abattage rituel sans étourdissement soulève encore plus de questions au sujet de la douleur. Plusieurs rapports scientifiques démontrent que l’abattage sans étourdissement provoque des souffrances supérieures à celles d’un abattage avec étourdissement préalable (lorsque ce dernier est correctement réalisé).

La Fédération des vétérinaires d’Europe déclare quant à elle : « L’abattage des animaux sans étourdissement préalable est inacceptable en toutes circonstances » (18). L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) affirme  : «  En raison des graves problèmes de bien-être animal liés à l’abattage sans étourdissement, un étourdissement devrait toujours être réalisé avant l’égorgement » (19).

Selon le Farm Animal Welfare Council, organisme consultatif britannique indépendant constitué de vétérinaires, de zoologues, de chercheurs et de spécialistes de la protection des animaux déclare : « nous sommes persuadés qu’une blessure aussi considérable entraîne une douleur et un stress très importants pendant le laps de temps qui précède l’insensibilité » (20). Judy MacArthur Clark, alors présidente du FAWC, fut catégorique : « Il s’agit d’une incision importante dans le corps de l’animal et dire qu’il ne souffre pas est tout à fait ridicule ».

III) Vers une amélioration du bien-être en abattoir

1) « L’étourdissement pour tous »

Rappelons que l’abattage rituel sans étourdissement a été autorisé par dérogation. Par définition, une dérogation constitue une exception dans l’application d’une règle d’origine contractuelle, légale, ou administrative. Pourtant, en réalité, ce type d’abattage semble être très fréquent, voire il semble se généraliser.

Une proposition de loi de novembre 2010, rejetée, indique qu’en France, « entre 1/3 et 2/3 de la viande consommée, est issue de la filière certifiée d’abattage rituel, tandis que le nombre des consommateurs potentiels représente tout au plus 1/10e de la population française » (environ 7 millions de personnes) (21) Selon un rapport remis en 2011 au ministre de l’Agriculture : « Alors que la demande de viande halal ou cacher devrait correspondre à environ 10 % des abattages totaux, on estime que le volume d’abattage rituel atteint 40 % des abattages totaux des bovins et près de 60 % pour les ovins. Ce qui devait être qu’une dérogation s’est généralisé. » (22)

Comment peut-on expliquer une telle généralisation de l’abattage rituel sans étourdissement en France ? Les abattoirs possèdent fréquemment deux chaînes d’abattage, l’une avec étourdissement obligatoire et l’autre non. Ainsi pour des raisons d’efficacité et de coût, il arrive souvent que les deux chaînes opèrent sous le mode sans étourdissement mais n’écoule qu’une partie de la viande dans le circuit de distribution religieux (23)

Cela s’explique aussi par le fait que toutes les parties des animaux abattus de manière rituelle sans étourdissement ne peuvent être consommées car elles sont considérées impropres à la consommation  : par exemple, même lorsque l’animal est abattu selon le rituel casher, les parties arrières de l’animal sont considérées impropres à la consommation. La viande restant est donc tout naturellement redirigée vers les circuits classiques. Il s’agit de la « complémentarité des circuits » (24).

Les consommateurs n’ont donc aucun moyen de savoir de quel mode d’abattage provient la viande qu’ils achètent. En 2012, cette découverte fut l’objet d’une polémique en France, notamment après la diffusion d’un reportage d’Envoyé Spécial sur France 2, dont une partie était consacrée à l’abattage rituel. De nombreuses associations de protection animale réclament « l’étourdissement pour tous » (25).

En effet, de nombreux pays ont déjà adopté l’étourdissement dans le cadre de l’abattage rituel. L’Indonésie, le pays du monde où les musulmans sont les plus nombreux (200 millions) autorise l’étourdissement des animaux avant l’abattage (26). La Malaisie, les Émirats arabes unis et la Jordanie permettent l’importation et la consommation de viande provenant d’animaux abattus avec étourdissement.

Dans certains pays, l’étourdissement est même une obligation : en Suède, en Norvège, en Suisse, au Danemark, en Slovénie ou encore en Islande (27). Ainsi, l’abattage rituel avec étourdissement est pratique courante dans de nombreux pays. En outre, l’Académie Vétérinaire de France a conclu en 2006 à la réversibilité des techniques d’étourdissement électrique des animaux : ainsi les animaux soumis à l’étourdissement électrique sont toujours vivants mais deviennent insensibles à la douleur (28).

Deux thèses réalisées en 2009 sur l’étourdissement électrique parviennent à la même conclusion (29). Le projet DIALREL est un projet financé par l’Union européenne lancé en 2006 et achevé en 2010 Il avait pour but d’améliorer la connaissance et l’expertise par le dialogue et les débats sur le bien-être animal, les enjeux législatifs et socio-économiques de l’abattage rituel.

« DIALREL tentera de faciliter l’adoption de bonnes pratiques en matière d’abattage religieux permettant de satisfaire les standards de l’Union européenne en matière d’abattage, aussi bien que les demandes des marchés et des consommateurs. » (30). Ce groupe, auxquels ont contribué l’Australie, la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, la France, Israël, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Turquie, témoigne de la volonté d’avancer sur le terrain de l’abattage rituel avec étourdissement.

2) Vers un étiquetage systématique de la viande

Nous l’avons vu, la viande issue d’animaux tués selon un rituel sans étourdissement peut être vendue dans le circuit standard sans que cela soit mentionné sur les emballages. Un étiquetage permettrait à tous les consommateurs de prendre conscience entre les différents modes d’abattages d’une part (qui ne sont pas forcément bien connus de tous) et d’autre part, d’avoir la possibilité de refuser d’acheter une viande provenant d’un abattage sans étourdissement (31).

Un étiquetage informant les consommateurs du mode d’abattage des animaux freinerait les pratiques d’écoulement de la viande issue de l’abattage sans étourdissement dans les circuits commerciaux non religieux, et donc limiterait l’extension de ce mode d’abattage lorsqu’il n’est pas justifié. En effet, un tel étiquetage induirait un refus d’achat par des consommateurs attachés à l’insensibilisation des animaux, alors qu’actuellement ils achètent à leur insu la chair d’animaux égorgés en pleine conscience.

En 2009, le gouvernement français s’est fermement opposé à cette mesure en affirmant qu’un étiquetage serait « discriminant pour l’abattage rituel ». En France, des députés ont déposé en février 2012 une proposition de loi dont l’adoption rendrait obligatoire la mention « abattage après étourdissement » ou « abattage sans étourdissement » sur la viande (32). L’organisation CIWF (Compassion In World Farming) lance une campagne «  Question d’étiquette  » (soutenue par la LFDA) pour exiger un «  étiquetage selon le mode d’élevage sur tous les produits et ingrédients d’origine animale vendus dans l’UE » qui ne permet pas l’ambigüité sur le système de production.

3) Le respect des réglementations en vigueur

Nous l’avons vu au cours des deux modes d’abattage, les douleurs potentielles sont nombreuses et sont souvent dues à la négligence des opérateurs de l’abattoir. Pour renforcer le caractère indispensable de ces règles de bien-être, plusieurs associations mettent à la disposition des abattoirs des dossiers récapitulant les bonnes démarches à suivre de l’arrivée de l’animal jusqu’à sa mise à mort (33).

Une sensibilisation à la souffrance animale et une formation rigoureuse en comportement animal pourrait être dispensées aux opérateurs afin de les rendre capables de repérer les douleurs chez les animaux et d’y mettre un terme. Le renforcement des contrôles est une mesure qui pourrait inciter les abattoirs à respecter les règles mises en place, notamment dans le cas de l’abattage sans étourdissement.

Jean-Luc Daub, inspecteur pour l’OABA pendant quinze ans, et Frédéric Freund, directeur actuel de l’OABA, déclarent que les inspecteurs gouvernementaux ne sont jamais présents tôt le matin. Or, c’est précisément entre 4 h 30 et 8 heures du matin que les abattages rituels ont lieu (34). En ce qui concerne l’absence d’information des consommateurs au sujet du type d’abattage dont provient la viande qu’ils achètent, l’OABA a publié sur internet la liste des abattoirs français pratiquant systématiquement l’abattage avec étourdissement. Ainsi, en attendant que l’abattage avec étourdissement devienne une norme pour l’abattage conventionnel comme rituel, il est possible de faire un choix raisonné lors de l’achat de viande.

Conclusion

Après avoir passé en revue les défauts du système actuel d’abattage en France ainsi que les solutions pouvant être mises en place pour y remédier, la question qui se pose est celle du bien-être animal pendant tout le processus de « fabrication de la viande ». Que signifie le souci de limiter la souffrance d’un animal au moment de l’abattage si elle est omniprésente tout au long de sa vie ?

Dans les élevages industriels, les conditions de vie sont souvent déplorables et ne respectent pas l’article L.214-1 du code rural : elles sont souvent incompatibles avec les impératifs biologiques de l’espèce. À quoi bon soigner la mise à mort si tout le reste n’est que souffrances à répétition pour l’animal ?

L’idéal serait de revoir tout le processus de production de la viande et de le baser sur le respect de l’animal en prenant réellement en compte l’avis des consommateurs. Évidemment, rien n’est plus compliqué que de bouleverser un système bien ancré et accepté comme celui-là. Il semblerait que l’obstacle au bien-être de l’animal d’élevage réside dans la course à la productivité et la concurrence entre pays. Mais d’où vient cette course effrénée ?

D’après Olivier de Schutter, juriste et professeur de droit international ayant intervenu dans le film Demain (35), le budget moyen destiné à l’alimentation d’un français se situe bien en deçà du coût réel de l’alimentation produite. Le coût a diminué considérablement afin d’assurer la compétitivité mais ne correspond plus au coût réel de l’exploitation agricole et de l’élevage. Ainsi le processus de production de viande (et par conséquent toutes les douleurs occasionnées aux animaux) en France obéit à une logique imparable : la baisse du coût de la viande.

La viande produite de cette manière est donc accessible à tous, certes, mais elle est issue d’un système insupportable pour les animaux mais bien évidemment également pour les éleveurs. Selon l’Observatoire national du suicide du ministère de la Santé, les éleveurs et agriculteurs constituaient la catégorie socioprofessionnelle la plus touchée par le suicide en 2014 (36). Selon François-Régis Lenoir, docteur en psychologie sociale et responsable d’une exploitation agricole en polyculture-élevage, ce chiffre accablant aurait plusieurs causes : « surcharge de travail, horaires décalés, crises successives, prix du lait instable » (37).

Pour remettre en adéquation le prix de la viande avec son réel coût, il s’agirait de considérer l’élevage comme un réel service. En effet, élever et tuer des animaux représente un service coûteux en termes d’énergie et de temps, et ce service est primordial. Ces tâches ont aussi un coût psychologique non négligeable.

Serions-nous capables d’assommer, égorger, puis dépecer un animal pour nous nourrir ? Il en va de même pour les métiers de l’agriculture. Tout bien réfléchi, le service qu’on nous rend est inestimable. Il conviendrait alors de rendre sa valeur légitime au service rendu par ces professions qui assurent un de nos besoins fondamentaux : l’alimentation.

Bien sûr, cela implique de prêter attention à l’origine de ce que nous consommons et de réduire sa consommation de viande. Mais les avantages sont certains et partagés par tous : les agriculteurs et éleveurs auraient un meilleur rythme de vie, la diminution de consommation de viande aurait certainement des effets bénéfiques sur la santé, les animaux vivraient dans des conditions plus acceptables.

Avouons que le jeu en vaut la chandelle et qu’il mériterait qu’on s’y intéresse sérieusement. Il ne paraît finalement pas si insurmontable d’enrayer ce processus insensé : s’il continue de prospérer, c’est uniquement car nous ne cessons de l’encourager en consommant. Et si aujourd’hui en France la marge de manœuvres en termes de liberté semble assez réduite, la liberté de consommer est totale, et constitue un véritable pouvoir. Ainsi, pour refuser ce système abject, il ne tient qu’à nous, consommateurs, de faire les bons choix…

Marie-Laure Poiret

Cet article est extrait d’un rapport d’étudiant ayant participé à l’unité d’enseignement « Droit de l’animal » dispensée à l’université de Strasbourg dans le cadre du Master « Éthique et Société », co-dirigée par Cédric Sueur, maître de conférences en éthologie, et Jean-Marc Neumann, juriste (respectivement membre du comité scientifique de la LFDA et ancien administrateur).

(1) Code Civil, art. 515-14
(2) Universal Declaration on Animal Welfare, https://www.globalanimallaw.org/database/ universal.html
(4) Code rural article R214-64
(5) FAO, Bonnes pratiques pour l’industrie de la viande, Section 7 : Manipulations avant l’abattage, méthodes d’étourdissement et d’abattage, 2006, p.4
(6) Guide de recommandations relatives à la protection animale des ruminants à l’abattoir, OABA
(7) Arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs. Annexe I, Chapitre 2. 3.b) et 5.b). ; Annexe II, 1.a) ; Annexe III, 1.a) : Annexe IV, 1.a) 
(8) L’unité de gros bétail (UGB) est une variable créée à partir de coefficients permettant de comparer entre eux les différents animaux et de les additionner. Cf. Recensement agricole 2010
(9) Règlement (CE) n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, article 17
(10) Ibid., article 6
(11) Ibid., article 7
(12) Ibid., article 8
(13) voir l’article « L’organisation des contrôles en protection animale » de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences n ° 85
(14) Décret n ° 64-334 du 16 avril 1964
(15) Décret n ° 70-791 du 1er octobre 1980
(16) Règlement (CE) n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort
(17) Synthèse du rapport d’expertise sur les douleurs animales réalisée par l’INRA en 2009
(18) L’Ordre national des vétérinaires a également fait cette annonce le 24 novembre 2015, voir l’article « Vétérinaire, le professionnel garant du bienêtre animal » de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences n° 88
(19) Pfeiffer D et al. (2005). Opinion of the Scientific Panel on Animal Health and Welfare (AHAW) on a request from the Commission related to “The risk of a Rift Valley Fever incursion and its persistence within the community”. Parma (ITALY). Efsa, 1-130. http://www.efsa.europa.eu/fr/efsajournal/pub/45
(20) Report on the Welfare of Farmed Animals at Slaughter or Killing ; Part 1 : Red Meat Animals ,2003.
(21) Site http://www.notreplanete.info/actualites/ actu_2508_abattage_Halal_Casher_souffrance_ animale.php
(22) Rapport CGAAER, n ° 11167, commandé par le ministre Bruno Lemaire au Conseil général de l’Alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, 2011
(23) Site https://fr.wikipedia.org/wiki/Pol%C3% A9mique_sur_l’abattage_rituel
(24) Frédéric Freund, directeur de l’OABA dans la revue L’Écologiste, octobre 2013
(25) Expression empruntée à l’organisation Abattage Rituel, Site : http://www.abattagerituel.com/
(26) Site http://www.l214.com/abattage-rituel
(27) Site http://www.gaia.be/fr/actualite/gaia- refute-10-mythes-sur-labattage-sans- etourdissement
(28) Rapport au ministre de l’Agriculture et de la pêche sur le degré de réversibilité de l’étourdissement des animaux d’abattoir tel qu’il est pratiqué en France, 2006
(29) « Étourdissement électrique des animaux de boucherie : acceptabilité par les communautés religieuses », Esther Thieri-Pigé, 2009 ; « De l’étourdissement des ruminants de boucherie par électronarcose. Conséquences pour l’animal et sa carcasse », Sandy Espallargas, 2009
(30) Projet DIALREL http://dialrel.eu/introduction/ version-francaise.html
(31) voir l’article « Un eurobaromètre au beau fixe pour les animaux » dans ce numéro
(32) http://www.l214.com/abattage-rituel
(33) Guide de recommandations relatives à la protection animale des ruminants à l’abattoir
(34) Plaidoyer pour les animaux, Matthieu Ricard, 2014, p. 46
(35) Demain, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, 2015
(36) http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/10/10/500-suicides-recenses-chez-lesles-agriculteurs-en-3-ans_3493464_3224.html#Ciaysio6exkCukJ5.99
(37) http://www.ouest-france.fr/economie/ agriculture/suicide-les-eleveurs-sont-en-premiereligne-342241

Article publié dans le numéro 89 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.

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