La France est le premier exportateur européen d’animaux d’élevage vivants vers la Turquie. En 2015, nous y avons exporté plus de 80 000 bovins. Pourtant, une enquête menée sur cinq ans révèle les terribles conditions de transport de ces animaux, en violation de la réglementation française et européenne.
Le calvaire des animaux issus de nos élevages
Chaque année, des millions d’animaux sont exportés hors de l’UE, la Turquie étant la destination finale d’un demi-million d’entre eux. Bloqués à la frontière turque pendant plusieurs jours d’affilée, ces animaux restent entassés dans les camions ayant servi à leur périple, sans aucun espace leur permettant de se coucher ou même de se mouvoir. Aucune disposition n’étant mise en œuvre pour garantir une certaine salubrité, ces animaux passent des journées entières à piétiner leurs excréments.
En l’absence de nourriture, les plus affamés d’entre eux finissent d’ailleurs par s’en nourrir. L’été, la chaleur et l’absence de zones ombragées à la frontière font de leurs conditions de détention un enfer. Ne disposant pas de système d’abreuvement approprié, la déshydratation est inéluctable, entraînant pour beaucoup d’entre eux une mort lente et douloureuse. Les animaux malades ne reçoivent pas de traitement. Succombant à leurs souffrances, ils sont laissés tels quels au milieu de leurs congénères.
Des infractions répétées à la réglementation européenne
Le Règlement (CE) 1/2005 encadre la protection des animaux durant leur transport. Adopté en 2004, il est entré en vigueur au 1er janvier 2007. Cette réglementation minimale prévoit notamment des durées de transport encadrées par des périodes de repos à intervalles réguliers (après 29 heures de transport). Elle exige un contrôle des densités, de la température (pas plus de 35 ° C), un équipement des véhicules adapté, avec accès à l’eau et à l’alimentation.
Ce sont des conditions minimales, et pourtant, les infractions sont quasi systématiques lors des transports hors de l’UE. Un récent rapport accompagné d’une vidéo d’enquête* des associations Animal Welfare Foundation | Tierschutzbund Zürich et Eyes on Animals en collaboration avec CIWF (Compassion in World Farming) montre que malgré les plaintes régulières et dûment étayées adressées aux autorités françaises et européennes ces 5 dernières années, les conditions de traitement des animaux européens à la frontière turque restent à ce jour totalement inchangées.
Sur plus de 350 inspections menées à la frontière turque sur des camions transportant des animaux européens, des infractions au Règlement (CE) n° 1/2005 ont été constatées dans 70 % des camions inspectés. Les contrevenants les plus condamnables transportaient des animaux provenant de Hongrie, de Bulgarie et de France. Sur les 38 camions transportant des animaux français inspectés, 34 étaient en infraction, soit 89 %.
Un arrêt de justice important… qui reste lettre morte
De plus, le 23 avril 2015, la Cour de justice de l’UE dans l’arrêt Zuchtvieh (C-424/13), a jugé que le Règlement 1/2005 est applicable jusqu’à la fin du transport, même hors de l’UE. Les autorités compétentes qui approuvent un transport doivent donc s’assurer qu’il respectera la réglementation même une fois passées les frontières de l’UE.
Pourtant, aucune mesure n’a été prise en France pour faire cesser les infractions, et des transports sont autorisés vers la Turquie, même durant les périodes de fortes chaleurs, comme c’était le cas en août 2015, où la canicule a fait monter les températures bien au-delà des 35° C. Les autorités françaises ferment les yeux sur la maltraitance infligée aux animaux vivants exportés en Turquie, parce qu’elles ne sont pas capables d’assurer l’application de la législation européenne.
Les infractions constatées sont pour une grande partie d’entre elles, inhérentes à ce commerce, en raison des longues distances et de l’absence de contrôles à la frontière, et encore plus après cette frontière. En continuant d’autoriser ces exportations vers la Turquie, alors qu’elle a pleinement connaissance de ces manquements, la France enfreint elle-même la loi.
Lire aussi : Transport: une protection insuffisante des animaux selon la Commission européenne
Appel à l’interdiction des exportations hors UE
Dans le cadre de sa campagne contre les exportations d’animaux hors UE, l’ONG CIWF avec les associations partenaires demandent l’interdiction des exportations d’animaux vivants vers la Turquie. Certains commerces ont été interdits en France et en Europe, pour des raisons d’éthique et de bien-être animal, comme la mise sur le marché, l’importation ou l’exportation de fourrure de chiens et de chats, ou encore celle des produits dérivés du phoque.
Il pourrait en être de même pour les exportations d’animaux vivants en dehors de l’Union européenne. Tant que ce commerce n’est pas interdit, la France doit aider les pays de destination à améliorer leurs pratiques d’abattage. À tout le moins, la France devrait faire comme l’Australie qui oblige que les animaux qu’elle exporte soient traités en conformité avec les recommandations de l’OIE sur le bien-être durant le transport et l’abattage dans les pays tiers.
Est-ce normal de refuser certains traitements dans nos pays, tout en profitant de ce commerce cruel sans le conditionner au respect des mêmes normes que les nôtres dans les pays de destination ? La vidéo française de l’enquête est disponible ici : www.ciwf.fr/turquie et le rapport complet sur demande.
Agathe Gignoux
* http://action.ciwf.fr/ea-action/action?ea.client. id=1758&ea.campaign.id=47974
Article publié dans le numéro 89 de la revue Droit Animal, Éthique et Sciences.