Compte rendu de visite du Salon de l’agriculture 2016
Comme chaque année, pendant dix jours, la Porte de Versailles a vécu au rythme du Salon International de l’Agriculture. Dans sa version 2016, le Salon, décrit comme « la plus grande ferme d’Europe » par certains (1), a réuni dans un contexte de crise de l’élevage 611 015 visiteurs, qu’ils soient simples visiteurs en découverte, professionnels pour qui les enjeux économiques sont importants, ou politiques venus mesurer l’état d’urgence des filières agricoles (2). Éleveurs et producteurs sont surtout venus présenter leurs animaux et produits d’exception dans le cadre du Concours Général Agricole étiqueté politiquement cette année par le slogan « Je suis éleveur, je meurs » affiché aux quatre coins du Salon. À ce contexte difficile s’ajoute le fait que « le Salon International de l’Agriculture, ce sont plus de 3850 animaux réunis en un seul et même lieu » (3), tous soumis à des conditions de stress et pour qui ces dix jours d’exposition au public n’ont pas rimé avec bien-être animal.
La visite du Salon présente différents microcosmes en parallèle les uns aux autres et d’un pavillon à l’autre. Cette organisation est parfaitement conçue pour les novices de l’agriculture comme pour les professionnels, le tout afin de vendre produits du terroir et savoir-faire d’excellence à la française. Plusieurs circuits de visite sont proposés par les organisateurs (4). Quatre univers ont été créés pour l’occasion : « Élevage et ses filières » ; « Produits & Gastronomie » ; « Cultures & Filières végétales » et « Services & Métiers de l’Agriculture ». La visite d’un tel événement est possible sur place mais également au moyen des nombreuses publications qui s’y rapportent : articles et reportages plus ou moins sensationnels, plus ou moins politiques et plus ou moins éthiques quant aux conditions d’exposition des animaux. Petit retour sur ce qu’il ne fallait pas manquer du 27 février au 6 mars 2016, Porte de Versailles.
D’un pavillon à l’autre : un sentiment partagé entre bien-être animal et fierté des éleveurs
À l’entrée du pavillon 1 destiné à l’exposition des bovins, ovins, caprins et porcins, vous attendent le « Grand Ring » mais surtout Cerise, la « vache égérie » de ce 53e salon. Elle est seule à représenter la race bazadaise (5), une des races à petits effectifs alignées et toutes représentées par une seule vache. A côté se trouvent de longs alignements de dizaines de vaches prim’holsteins et charolaises, brossées pour l’occasion et emmenées pour être jugées selon les nombreux critères de sélection génétique de leurs races respectives.
Le Concours Général Agricole regorge de spectacles parfois surprenants comme le « concours » du taureau le plus lourd. Ainsi il est possible de croiser Fêtard, taureau Rouge des prés de 1 950 kg, consacré taureau le plus lourd du monde (6). Son jeune propriétaire, fier de présenter le résultat de mois de travail, reconnaît que le stress du transport jusqu’à Paris aurait fait perdre jusqu’à 50 kg à l’animal… Et que dire du stress durant les dix jours du Salon ! Une fois distingués, les animaux arborent le drapeau tricolore, signe de reconnaissance ultime du travail et de l’engagement de leurs éleveurs, et source pour ce dernier de pérennisation de son exploitation grâce à l’ouverture de nouveaux marchés économiques.
Au détour des différents rings dans lesquels les animaux doivent parader, les produits du terroir comme les « nouveautés » industrielles sont dégustés. Quelques mètres plus loin, il est possible pour petits et grands de caresser de jeunes poussins à peine nés et dont l’éclosion s’est faite en direct sous les yeux de milliers de visiteurs.
Le pavillon 4 propose de découvrir la partie « Services & Métiers de l’Agriculture » qui contient également la partie « Mer & eau douce », « Multifilières », ainsi que la partie « Aviculture & basse-cour » où poules et canards n’ont pas la possibilité de bouger, de se percher ou de nager. Cette partie du Salon regroupe surtout de nombreux professionnels du monde de la recherche, interprofessions, instituts techniques, banques agricoles et institutionnel, le tout à quelques mètres d’exposants de panneaux photovoltaïques et d’entreprises de divertissement. Le stand avec étage et terrasse de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FNSEA) offre une vue sur le stand du Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt (MAAF) détruit le jour de l’ouverture (7) et donnant le ton aux politiques de l’état d’esprit dans lequel les éleveurs se trouvent. Ce pavillon se termine sur la partie « Ferme pédagogique », vendue comme une animation à part entière et où il est possible, pour tous ces acteurs, de voir en terme de diversité animale presque tout ce qui est exposé dans les autres pavillons.
Aux pavillons 5.1 et 5.3, non loin de là, les animaux changent de forme et prennent des couleurs plus exotiques. Perroquets et canaris de concours côtoient autruches et alpagas exposés dans la partie « Élevage du monde ». Cette ménagerie est à deux pas de marchands venus écoulés leurs produits, pas tous issus de l’agriculture française… Le Salon International de l’Agriculture est avant tout pour certains un lieu de commerce où les places coûtent chers : 10 000 € les 9 m² pour 10 jours soit 1 000 € la journée (8), un prix à payer pour une reconnaissance du travail ou tout simplement pour un coup de projecteur.
Alors que les sièges des rings d’expositions des animaux de rente sont en plastiques, le visiteur peut profiter au ring canin de sièges molletonnés. Cependant, l’animal de compagnie n’est pas mieux traité que l’animal de ferme ; qu’il soit muré entre 4 grilles pour les chiens de race ou exhibé pour les chats de pedigree le tout à deux pas de stand de distribution de croquettes ou d’une animalerie discount. On y entend même l’animatrice du stand félin dire que le Salon « c’est la meilleure publicité que l’on peut faire au chat de race » et dans la même minute avec un ton ironique cette fois « on peut avoir de la chance même avec un chat de gouttière ». Espérons que l’on ne retrouvera pas à l’été prochain ces chats, abandonnés dans la nature…
Le pavillon 6, pour finir, est consacré à la filière équine et asine. L’entrée donne sur le stand PMU à deux pas d’un vendeur de ballon en forme d’animaux. Le tout débouche sur l’ »allée de prestige des chevaux de trait » où les animaux sont attachés et ne peuvent en aucun cas se retourner et encore moins trotter. La carrière des chevaux au fond du pavillon est l’occasion de mesurer l’amour des passionnés de tous types, pour qui il est possible de retrouver le cheval sous tous ses « statuts » : animal de course, de trait, d’attelage, de loisirs… mais pas sous forme de viande. Une partie des chevaux de prestige est cependant isolée durant les dix jours du Salon dans des boxes où il est quasi impossible de les observer.
L’envers du décor ?
Toutes les animations proposées, toutes les mises en scène de l’animal en font presque oublier ce qu’il se passe en coulisse : le Concours Général Agricole qui depuis 1870 se veut être « la vitrine de l’exceptionnelle biodiversité de la génétique et de la gastronomie française » (9). Ce concours se divise, selon les catégories de professionnels, en trois concours.
Le Concours Général des Animaux où les représentants des 372 races ont été jugés sur leur morphologie et leur conformation au standard de la race par leurs organismes de sélection.
Le Concours des produits, divisé entre les « vins » d’un coté et les « autres produits du terroir » de l’autre. Vins, bières et autres boissons alcoolisées sont représentés au Salon par les nombreux exposants référencés sous diverses catégories : brasseries (22), domaines (14), bars (10), champagnes (4), châteaux (3), distilleries (3) (10). Au total, 16 000 échantillons de produits gastronomiques, répartis en 23 catégories, ont été dégustés dans le plus grand secret par les professionnels de leur filière, producteurs, représentants des métiers de bouches, négociants, distributeurs et panels de consommateurs avertis. Tandis que les animaux reproducteurs gagnants deviendront des reproducteurs agrées par le MAAF, les produits primés décrochent quant à eux un passeport pour l’international. Par ailleurs, tous les produits sont vendus sur la boutique internet du Salon, moyen supplémentaire pour le producteur de se faire connaître.
Le Concours Général des jeunes professionnels est un concours d’avenir et de promotion de l’enseignement agricole centré sur les éleveurs, sélectionneurs et professionnels de l’agriculture de demain. L’un des volets de ce concours : le Concours de Jugement des Animaux par les Jeunes (CJAJ) (11) est le moyen de juger les jeunes candidats sur la science du « pointage » des animaux grâce aux grilles de sélection des races. Depuis quinze ans, le nombre des races a fortement diminué du fait d’une standardisation de l’agriculture : 300 des 6 000 races d’animaux domestiques ont disparu, 1 350 races sont en voie de disparition ; et 1 à 2 races s’éteignent chaque semaine (12).
Produits du terroir et races locales sont représentés par quelques animaux (citons le cas des chèvres lorraines, seule race locale à petits effectif du stand caprin), et sont valorisés par les régions, les chambres d’agriculture et parfois par les éleveurs et associations qui peuvent financer leur présence au Salon. Dans cette volonté d’impliquer le citoyen dans ses choix de consommateur, une démarche essentielle pour faire avancer les processus législatifs, le Salon International de l’Agriculture mettait cette année à l’honneur la thématique « Agriculture & Alimentation citoyenne » (13) représentée aussi bien par la maison régionale des éleveurs, le mouvement citoyen Terre de Liens, Marchanddes4saisons.fr, Monpotager.com, que par les gîtes de France, le Parc Naturel Régional du Vercors ou encore par des entreprises de cosmétiques « naturels ».
Ce dernier Salon International de l’Agriculture aurait dû être marqué par l’annonce de la « stratégie nationale bien-être animal 2015-2020 », stratégie à laquelle la LFDA et plusieurs autres associations de protection animale ont participé et qui a été annoncée dans ses grandes lignes par Patrick Dehaumont (Directeur général de l’Alimentation au MAAF) lors de son intervention au colloque « Le bien-être animal, de la science au droit » (14). Mais l’annonce de cette stratégie a malheureusement été différée : les conditions d’exposition des 3 850 animaux, les vidéos de l’abattoir du Vigan révélées quelques jours avant l’ouverture du Salon, y ont peut-être été pour quelque chose, dans le contexte de crise de l’élevage devenue crise de l’abattage à coups de révélations médiatiques.
En parcourant le Salon International de l’Agriculture, vitrine du savoir-faire et de la gastronomie française, le sentiment se partage entre voir d’un côté des éleveurs fiers de leur travail et de l’autre leurs bêtes devenues animaux de foire pour quelques jours.
Ce sentiment se partage également à la lecture de la presse et des médias, entre d’un côté des articles mettant en avant la détresse des éleveurs français, et de l’autre des reportages divertissants présentant une France agricole encore folklorique.
Le mot de la fin revient à Jean-Luc Poulain, président du CENECA (Centre National des Exposition et Concours Agricoles) et président de ce 53e Salon International de l’Agriculture, qui a rappelé que malgré les contextes de crise l’affluence au Salon « permet de confirmer, une nouvelle fois, que tout en étant une tribune ouverte à tous, le salon reste un rendez-vous d’amour entre les citadins et les ruraux avec pour unique fil rouge l’avenir de notre agriculture » (15).
Florian Sigronde Boubel
(1) M6, (06/03/2016), Zone Interdite. Bêtes de concours et produits d’exception : les champions du Salon de l’Agriculture
(2) Sénat, (22/03/2016). L’avenir de l’élevage : enjeu territorial, enjeu économique : http://www.senat.fr/ rap/r02-057/r02-0576.html
(3) Site du Salon International de l’Agriculture, Elevage & ses filières : https://www.salon-agriculture. com/Tout-sur-le-salon/Les-4-univers/Elevage-etses-Filieres
(4) Site du Salon International de l’Agriculture : https://www.salon-agriculture.com/
(5) Site du Salon International de l’Agriculture, Découvrez #Cerise : https://www.salon-agriculture.com/Vivez-l-experience-SIA/Decouvrez-Cerise/ Qui-est-Cerise
(6) Ouest France, (09/03/2016). Fêtard, né à La Jubaudière est le plus lourd taureau du monde. http://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/ cholet-49300/fetard-ne-la-jubaudiere-est-le-pluslourd-taureau-du-monde-4081544
(7) Le Monde, (27/02/2016). Salon de l’agriculture, le stand di ministère démonté par des manifestants. http://www.lemonde.fr/planete/ article/2016/02/27/salon-de-l-agriculture-lestand-du-ministere-demonte-par-des-manifestants_4872892_3244.html
(8) Street Press, La question qu’on avait oublié de se poser, Au fait combien ça coûte un stand au salon de l’agriculture, (05/03/2016), Julie Desbois. http://www.streetpress.com/sujet/77958-au-faitcombien-ca-coute-un-stand-au-salon-de-l-agriculture#
(9) Site du Salon International de l’Agriculture, Le Concours Général Agricole. https:// www.salon-agriculture.com/Tout-sur-le-salon/ Le-Concours-General-Agricole
(10) Salon International de l’Agriculture, Grand Plan de visite – liste des exposants. https://www.salon-agriculture.com/Infos-pratiques/Plan-du-salon
(11) Concours Général Agricole, Concours de Jugement des Animaux par les Jeunes. http://www. concours-agricole.com/concours/cjaj/
(12) Centre d’Agriculture biologique du Canada, F. Chambers. Les races animales rares au service de l’agriculture biologique. http://www.organicagcenter.ca/ResearchDatabase/res_rare_breeds_f.asp
(13) Site du Salon International de l’Agriculture, Agriculture et Alimentation citoyennes. https:// www.salon-agriculture.com/Vivez-l-experience-SIA/Agriculture-et-Alimentation-citoyennes
(14) Discours de Patrick Dehaumont, sous format écrit ou vidéo, au colloque LFDA « Le bien-être animal, de la science au droit », (11/12/2015).
(15) Site du Salon International de l’Agriculture, Communiqué de presse, (06/03/2016). #2016, entre colère et promesses, l’amour des Français pour leur agriculture. https://www.salon-agriculture.com/Media/SIA-Medias/Fichiers/CP/CP-BILAN-2016