Remise du Prix de biologie Alfred Kastler 2015 de la Fondation Droit animal, Éthique et Sciences (LFDA)

Le 2 décembre 2015, La Fondation LFDA a remis le douzième Prix de biologie Alfred Kastler, à une date presque anniversaire puisque le premier avait été décerné le 9 décembre 1985. Ces trente années témoignent de la renommée que le prix a acquise, et elles apportent la preuve que sa création était justifiée.

Pourquoi avoir créé ce prix, destiné à récompenser un scientifique ayant consacré ses travaux à la recherche et à l’application d’une méthode expérimentale évitant d’utiliser l’animal? Il nous faut remonter le temps jusqu’aux années 19701980: à l’époque sévissait une polémique entre les anti-vivisectionnistes et les milieux de la recherche qui s’affrontaient par des publications et des déclarations outrancières et manichéennes, venant hélas des deux parties.

Aucune discussion sensée n’était possible. Notre groupe présidé par le Pr Kastler s’est refusé à intervenir, préférant réfléchir à la meilleure façon d’épargner les animaux: ne pas utiliser l’animal, et user de modèles expérimentaux pouvant lui être substitué, c’est évidemment le meilleur moyen de respecter à la perfection le bien-être de l’animal et de lui épargner totalement douleur, souffrance, angoisse, et dommage durable (1).

Mais aucun texte réglementaire ne faisait mention de telles méthodes de remplacement: l’expérimentation animale n’était alors régie que par un décret de février 1968, un texte d’une application si négligente qu’il était ignoré de la moitié des chercheurs. Dès 1981, nous avons publiquement pris position en faveur de la recherche de méthodes expérimentales permettant de ne pas utiliser l’animal (2), et en 1983 la LFDA a finalement opté pour la création d’un prix qui a posteriori récompenserait un chercheur ayant consacré ses travaux à la mise au point d’une telle méthode « substitutive », les citant ainsi en exemple et espérant encourager d’autres recherches en ce domaine. Puis le décès du Pr Kastler est survenu brusquement en janvier 1984.

Sous la nouvelle présidence du Pr Étienne Wolff, de l’Académie française, nous avons officiellement créé le prix le 16 octobre 1984, en lui attribuant le nom de M. Kastler pour honorer sa mémoire et rappeler sa part très active dans cette initiative. Les appels à candidature ont été lancés, et la première séance de remise du prix s’est déroulée solennellement à l’Institut de France, séance à laquelle M. Hubert Curien, alors ministre de la recherche et de la technologie, s’était fait représenter.

L’année suivante, la directive européenne de 1986 et à sa suite le décret de 1987 et les arrêtés de 1988 ont imposé l’absence de méthode permettant d’éviter le recours à l’animal comme condition fondamentale à son utilisation expérimentale. Notre choix prémonitoire de 1983 se trouvait justifié.Les attributions du prix se sont succédé à partir de 1985, mais de 1993 à 2010 et sans que nous en ayons compris la cause, nous n’avons reçu aucune candidature, sauf en 1996.

Le remplacement de l’animal expérimental semblait ne plus intéresser personne. Pourquoi donc, alors que la réglementation de 1987 et 1988 insistait sur l’obligation d’utiliser les méthodes alternatives? Était-ce parce que les crédits de recherche étaient attribués à des domaines de santé publique jugés prioritaires, telles celles concernant le virus HIV? Puis en 2011, plusieurs dossiers nous sont parvenus. Nous n’avons pas discerné à quoi attribuer ce renouveau d’intérêt : À des possibilités techniques nouvelles?

À la maturation de la conduite éthique à l’égard de l’animal? À la prise en compte des dispositions de la nouvelle directive européenne de 2010, qui inscrit clairement le remplacement de l’animal dans ses objectifs à court et à long terme? Ce regain d’intérêt, ainsi peut-être que la notoriété accrue du prix, a fait que 5 candidatures ont été reçues en 2011, et 6 en 2013.

Au total, de 1985 à 2013, la LFDA a distingué 9 auteurs de travaux portant sur des méthodes expérimentales évitant l’utilisation traumatisante de l’animal, c’est-à-dire évitant de lui faire ressentir douleur, souffrance, angoisse et dommage durable 

  • Cultures in vitro de nodules cancéreux humains et perspectives de traitement (1985 – René Beaupain, chargé de recherche au CNRS) ;
  • Hépatocytes isolés en suspension : modèle original d’expertise toxicologique et d’évaluation de l’hépatotoxicité (1987 – Fabienne Goethals, université de Louvain-la-Neuve);
  • Mise au point d’une méthode de culture primaire à long terme d’hépatocytes différenciés humains et animaux (1988 – André et Christiane Guillouzo, directeurs de recherche à l’INSERM) ;
  • Mise au point d’une méthode d’enregistrement automatique et d’interprétation par calcul à l’ordinateur des gels d’électrophorèse bidimensionnelle de protéines (1990 – Philippe Tarroux, maître de conférences à l’École normale supérieure) ;
  • Traceurs immuno-enzymatiques conçus par ingénierie génétique et produits par des micro-organismes (1992 – Frédéric Ducancel, ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique) ;
  • Méthodes d’études employées pour éviter de traumatiser les chauves-souris nectarivores (1996 prix partagé – Sophie Petit, éthologue Ph.D. de l’université de Miami, prix partagé) ;
  • Étude de la physiologie de la locomotion sur un système nerveux in vitro (1996 prix partagé – Jean-René Cazaletz, chargé de recherche au CNRS) ;
  • Culture in vitro de cellules cancéreuses colorectales humaines en alternative aux xénogreffes de tumeur humaine sur l’animal (2011 – Virginie Dangles Marie, vétérinaire conseil à la Plateforme d’expérimentation in vivo du Centre de recherche de l’Institut Curie) ;
  • Formation en technique chirurgicale appliquée à l’expérimentation sans utilisation d’animal vivant (2013 – Catherine Vogt, vétérinaire, Ingénieur de recherche, université Claude Bernard (Lyon), sous directrice de l’École de chirurgie de Lyon).

À la suite de l’appel à candidatures lancé au début de 2015, la LFDA a reçu neuf dossiers ; deux ne correspondaient pas à l’objet du prix, en sorte que le jury a eu à désigner le lauréat parmi sept candidats. Réuni le 23 septembre sous la présidence de M. André Nieoullon, professeur de neurosciences, Conseiller scientifique de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle, le jury (3) a choisi le travail présenté par Mme Sarah Bonnet, directrice de recherche à l’INRA, consistant en une méthode alternative au modèle animal pour le gorgement des tiques par l’utilisation d’un système de gorgement sur membrane.

L’étude de ces parasites qui se nourrissent de sang ne pouvait se faire qu’en les élevant sur des animaux, lapins ou rongeurs, qui devaient subir démangeaisons, infections cutanées, et pathologies dues aux agents infectieux injectés par la tique. La méthode de gorgement artificiel utilisée par Mme Bonnet et son équipe permet d’éviter d’infliger ces souffrances aux animaux infestés.

De plus cet élevage in vitrodes tiques permet d’affiner l’étude et la connaissance des pathologies humaines et animales transmises par les tiques, pathologies dont l’avenir laisse prévoir qu’elles vont devenir d’une actualité croissante, notamment en raison des perturbations climatiques.

Le Prix de biologie Alfred Kastler 2015, d’un montant de 4000 euros, a été remis le 2 décembre par M. Louis Schweitzer, président de la LFDA à Mme Sarah Bonnet lors d’une cérémonie organisée à la Mairie du Ve arrondissement de Paris, en présence de Mme la Maire Florence Berthout, de plusieurs personnalités des milieux scientifiques et médicaux, de représentants des Instituts de recherche, des services et des instances ministérielles, de représentants de la protection animale.

Le prochain concours pour l’attribution du Prix de biologie Alfred Kastler sera ouvert en 2017 : la LFDA va ainsi continuer de récompenser le remplacement de l’animal, et de mettre à l’honneur les chercheurs qui s’y consacrent. La Fondation LFDA adresse ses remerciements à ses donateurs dont la générosité et elle seule, de leur vivant comme au-delà, lui permet de mettre à l’honneur un chercheur dont les travaux visent à ne pas utiliser l’animal en proposant des modèles expérimentaux pouvant lui être substitué.

Bien sûr, nous approuvons pleinement l’exigence de se plier aux règles de la réduction du nombre des animaux et du perfectionnement des pratiques expérimentales, qui sont prescrites par la directive européenne du 21 octobre 2010. Mais pour respecter à la perfection le bien-être de l’animal, et pour lui épargner totalement douleur, souffrance et angoisse, n’est-ce pas plus simple de ne pas l’utiliser?

Jean-Claude Nouët

  1. L’expérimentation sur l’animal : l’expérimentation dans l’enseignement secondaire, l’expérimentation dans l’industrie des cosmétiques, Table ronde à la faculté de médecine, université René Descartes, 18 décembre 1979.
  2. Miser sur l’expérimentation substitutive, Jean-Claude Nouët, Le Quotidien du médecin, 6 avril 1981.
  3. Le jury 2015 était composé des personnalités scientifiques suivantes : André Niellou, président, professeur de neurosciences, université de Marseille ; Monique Eloit, directrice adjointe de l’OIE – Organisation mondiale de la santé animale ; Elisabeth Estrangin, microbiologiste, ex-praticien hospitalier ; VirginieVallet-Erdtmann, maître de conférences en biologie cellulaire, université de Rennes 1 ; Catherine Vogt, spécialiste de la médecine des animaux de laboratoire, lauréate du Prix Kastler 2013 : Henri-Michel Baudet, directeur de recherche en bien-être animal, Sanofi ; Alain Collenot, professeur honoraire de biologie du développement, université Paris VI ; Frédéric Ducancel, directeur de recherche au CEA et lauréat du Prix Kastler 1992.

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