Le 9 juin dernier, à la suite de la publication d’un article choc sur le site Reporterre, une inspection préfectorale a constaté la présence de 796 vaches dans l’établissement, alors que la préfecture avait (par arrêté du 1er février 2013) fixé une limite de 500 animaux, au motif de l’absence des installations devant assurer la méthanisation des lisiers et le recyclage des résidus organiques de cette méthanisation.
Un rapport et un projet d’arrêté préfectoral de mise en demeure ont été aussitôt envoyés aux exploitants, qui avaient sept jours pour présenter leurs observations. Ils auraient dû le faire le 17 juin. Or ce même jour comparaissaient devant la cour d’appel d’Amiens les neuf militants de la confédération paysanne, condamnés en première instance à des amendes ou à des peines de prison avec sursis pour leur action sur les installations de l’exploitation.
Ni le propriétaire Michel Ramery (un géant des travaux publics, 361è fortune de France), ni Michel Welter, directeur de la « ferme », ne se sont manifestés, peu soucieux d’attirer l’attention sur leur établissement en situation illégale au moment même où le tribunal entendait les militants ; en comptant probablement aussi sur le temps qui passe, sur les lenteurs administratives et sur la relative bienveillance que les pouvoirs publics avaient manifestée depuis le dépôt du projet de construction.
Calcul imprudent car, au début de janvier, le ministre de l’Agriculture avait manifesté une certaine fermeté, en déclarant que tout dépassement de l’effectif des animaux serait soumis à enquête publique préalable ; il répondait alors à une démarche de M. Ramery demandant une extension à 880 vaches.
Devant le résultat de l’inspection préfectorale du 9 juin, et l’absence de réponse des responsables de la « ferme » au projet d’arrêté qui leur avait été soumis, le ministre a fermement qualifié d’infraction l’augmentation du cheptel, et a réclamé l’application de sanctions dans les plus brefs délais.
Le message a été compris par la préfecture, qui le 20 juillet a fait procéder à un contrôle de l’établissement, effectué par des inspecteurs des installations classées agricoles, et des inspecteurs de la Direction Départementale de la Protection des Populations (DDPP). Le contrôle a relevé la persistance du dépassement autorisé du nombre de vaches laitières (par l’arrêté du 1er février 2013), soit 763 vaches au lieu de 500.
En conséquence, deux arrêtés préfectoraux ont été transmis aux exploitants pour information et réponse; leurs observations n’ayant pas été retenues, la préfète de la Somme, Mme Nicole Klein, a publié le 28 août deux arrêtés condamnant les exploitants à une amende de 7800 € (immédiatement exécutoire) et à une astreinte journalière de 780 € courant jusqu’au jour où seront respectés les termes de l’autorisation d’exploiter, c’est-à-dire jusqu’au retour aux 500 vaches autorisées.
De plus, ainsi que le mentionne le communiqué de la préfecture du 28 août, « la préfète a décidé de confier à un vétérinaire indépendant une mission d’audit sur la question du respect du bien-être animal au sein de l’exploitation ». Cette phrase, qui termine le communiqué de la préfecture, est plus importante que les sanctions prononcées. Elle touche au fond de l’affaire, le principe de l’élevage confiné des vaches laitières en général, et la condition des animaux dans cet établissement.
L’un comme l’autre sont dénoncés depuis des mois, en opposition aux déclarations de ceux qui pratiquent cet « élevage », le promeuvent et le soutiennent. L’élevage à l’auge nécessite des aliments concentrés à base de soja et de maïs, et du fourrage stocké, qui sont d’un coût trois fois supérieur à l’élevage en pâture. Les usiniers à vaches ont fait en gros ce calcul financier : le bénéfice par litre de lait peut n’être que de 5 centimes, mais avec 1000 vaches et 8 millions de litres il totalise 400000 € annuels.
Mais c’est là un pari risqué en raison de l’instabilité possible des cours, nécessairement tirés à la baisse par l’augmentation de la production, baisse qui condamne à mort les petits producteurs qui font vivre le tissu rural. Il est à souhaiter que le vétérinaire missionné prenne l’exacte mesure des conditions nécessaires pour que soit assuré le bien-être de la vache laitière, y compris la libre expression des comportements…
Quant aux neuf syndicalistes militants de la Confédération paysanne qui avaient comparu devant la cour d’appel d’Amiens le 17 juin, ils viennent d’obtenir une relative clémence de la part du tribunal qui a rendu son jugement le 16 septembre. Leur avocate avait demandé la relaxe; le syndicat avait demandé à ses militants de se rendre dans les commissariats et les gendarmeries pour déclarer qu’ils ont aussi participé aux actions, et qu’il s’agissait donc d’une responsabilité collective et syndicale, et non pas individuelle.
Les neuf syndicalistes avaient été condamnés en première instance du 28 octobre 2014 à des amendes et des peines allant de 2 à 5 mois de prison avec sursis. Le tribunal a commué les peines de prison en amendes avec sursis de 300 à 5000 €, et les trois qui s’étaient opposés au prélèvement d’ADN sont dispensés de peine. L’affaire pénale est conclue.
Jean-Claude Nouët
Article publié dans le numéro 87 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.