Quelques points intéressants de la réglementation allemande sur l’utilisation des animaux en expérimentation

L’Allemagne a décidé d’aller plus loin que la législation européenne sur l’expérimentation animale pour protéger davantage d’animaux. Une démarche dont devrait s’inspirer la France.

Depuis un an, le ministre fédéral de l’Alimentation et de l’Agriculture d’Allemagne Christian Schmidt poursuit ses initiatives en faveur des animaux et de leur bien-être : sa décision du 17 septembre 2014 présentant dix grandes lignes d’action (1), puis l’adhésion à ce plan des deux ministres danois et néerlandais le 14 décembre 2014, et sa volonté de mettre fin à l’élimination brutale des poussins mâles annoncée le 30 avril (2).

Constatant ces progrès, l’idée nous est venue de rechercher si des dispositions particulières en ce qui concerne la protection des « animaux utilisés à des fins scientifiques » avaient été prises par l’Allemagne. Pour ce faire, nous nous sommes procuré le texte réglementaire allemand issu de la transposition de la directive n° 2010/63/UE, et nous l’avons fait traduire.

Le texte allemand est un arrêté du 1er août 2013. Il se présente comme une sorte de manuel pratique, un « livre de recettes», sous la forme de 48 articles subdivisés en alinéas, regroupés en chapitres, chacun concernant un point particulier et édictant les règles à suivre.

  • Exigences en matière de détention, d’organisations et d’exploitations (art. 1 à 10)
  • Autorisation (art. 11 à 13) 
  • Validité pour les animaux à un stade précoce de développement (art. 14) 
  • Mise en œuvre de l’expérimentation animale (art. 15 à 30)
  • Acceptation et notification du projet de recherche (art. 31 à 43)
  • Infractions, dispositions transitoires et finales (art. 44 à 48)

Les articles 14 à 25 sont spécialement explicites. Ils concernent le soulagement de la douleur et l’anesthésie (art. 17), la réutilisation d’animaux vertébrés et de céphalopodes (art. 18), l’utilisation d’animaux vertébrés et de céphalopodes d’élevage (art. 19), l’utilisation d’animaux sauvages (art. 20), l’utilisation d’animaux sans maître ou redevenus sauvages (art. 21), l’utilisation d’espèces animales protégées (art. 22), l’utilisation de primates (art. 23), l’origine des primates (art. 24).

Nous avons recherché et étudié deux sujets particuliers : la liste des animaux concernés (issue de l’article 1, alinéa 3 de la directive), et les programmes des formations à la compétence des personnels (issus du programme type en 11 points figurant en Annexe V de la directive). Les animaux auxquels s’appliquent les dispositions protectrices comprennent, conformément à la directive, les vertébrés et les céphalopodes, ainsi que « les formes larvaires d’animaux vertébrés, pour autant qu’elles soient en mesure de s’alimenter seules » et « les fœtus de mammifères à partir du dernier tiers de leur développement normal avant la naissance » (art. 14-1).

Mais sont ajoutés des « animaux vertébrés à un stade de développement avant la naissance ou l’éclosion autres que ceux mentionnés  au  point 1 […] dans le cas où ces animaux doivent vivre au-delà de ce stade de développement et de façon prévisible ressentir des douleurs ou souffrances ou subir des dommages  après la naissance ou l’éclosion ».

Sauf erreur, la mention d’une « éclosion » ajoute, de fait, les embryons des vertébrés ovipares, dont notamment les embryons d’oiseau au-delà du dernier tiers de leur incubation. Cette disposition, scientifiquement et éthiquement légitime, ne figure ni dans la directive, ni dans la réglementation française malgré les demandes formulées lors des travaux de transposition. Autre ajout, apporté par l’article 39 intitulé « Notification de projet de recherche sur les décapodes ».

Le titre suffit pour comprendre que le règlement allemand inclut les crustacés décapodes (crabe, langouste, homard, écrevisse…) en considérant que ces animaux invertébrés sont capables, au minimum, de ressentir la douleur, et à ce titre doivent bénéficier des conditions accordées aux vertébrés et aux céphalopodes.

On ne peut qu’être satisfait que la réglementation allemande, ici également, soit allée au-delà de la directive, et regretter que la France n’ait pas voulu (ou pas osé, ce qui est pire…) s’appuyer sur les travaux scientifiques, qui lui avaient été communiqués, démontrant la légitimité de la protection des décapodes.

Nous avions demandé qu’au moins la France ne s’oppose pas à leur inclusion dans le décret ; nous n’avons eu connaissance ni de la position qu’elle a prise, ni des pressions contraires qui ont pu être exercées, la reconnaissance de l’existence de la douleur pouvant gêner les pratiques culinaires usuelles, reconnues, du coup, comme étant des actes de cruauté. Sur ce sujet de la protection des animaux, l’Allemagne marque donc deux points qui l’honorent en ayant pris en compte les embryons d’animaux ovipares (oiseaux et reptiles), et les crustacés décapodes.

Il est un autre sujet que nous voulions éclaircir, celui du programme type des formations figurant à l’annexe V de la directive n° 2010/63/UE et de la disparition dans la réglementation française du point 2 de la liste. Dans l’arrêté fédéral du 1er août 2013, le programme type est redistribué selon trois activités et adapté à chacune :

  • Soin des animaux
  • Abattage des animaux

Planification et mise en œuvre d’expérimentations animales

Le point 2 du programme type « Principes éthiques concernant les relations entre l’homme et l’animal, valeur intrinsèque de la vie et arguments pour ou contre l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques » figure au programme « Abattage des animaux », sous la forme écourtée : « Éthique concernant les relations entre les hommes et les animaux, valeur intrinsèque de la vie ».

Il est repris intégralement dans le programme « Planification et mise en œuvre d’expérimentations animales ». Dans l’arrêté français c’est sous forme d’un tableau que figurent le partage et la redistribution des 11 points de la directive. Tout s’y retrouve, sauf que la phrase « valeur intrinsèque de la vie et arguments pour ou contre l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques » est partout absente, effaçant ainsi à la fois ce qui est au centre de l’éthique à l’égard de l’animal, la valeur intrinsèque de sa vie, et ce qui reflète la sensibilité éthique de la société.

Nous renvoyons le lecteur à l’article du numéro de juillet, mais en rappelant ici que cette lacune, que nous avons qualifiée d’« omission », met l’arrêté français en discordance avec la directive, alors que les États ont le devoir de transposer la totalité et l’intégrité des dispositions européennes. Le fait que la phrase ait été ajoutée in extremis dans le formulaire cerfa 15012.01 qui est le document que doivent compléter les personnes qui désirent ouvrir une formation à l’expérimentation, ne change rien à son absence dans l’arrêté réglementaire, qui est le document juridique de référence, et qui pour cela doit être corrigé.

Cette « omission » est d’autant plus fâcheuse que la phrase en question reprend le considérant 12 de la directive : « Les animaux ont une valeur intrinsèque qui doit être respectée. Leur utilisation dans les procédures suscite aussi des préoccupations éthiques dans l’opinion publique en général. » Elle rappelle également le considérant 41 : « Afin de veiller à l’information du public, il est important que des données objectives sur les projets utilisant des animaux vivants soient rendues publiques. »

La curiosité nous avait fait consulter l’arrêté allemand de transposition de la directive de 2010. Nous y avons constaté que ce texte non seulement respecte le texte européen, mais qu’il va au-delà de ses prescriptions, au bénéfice d’animaux que la directive n’avait pas pris en compte. Et nous regrettons que la France n’ait pas fait aussi bien.

Jean-Claude Nouët

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