De manière cyclique, les agriculteurs et les éleveurs descendent dans la rue pour manifester leur mécontentement face aux gouvernements successifs et dénoncer la baisse de leur pouvoir d’achat. Hier, c’étaient les chauffeurs de taxi qui violentaient des touristes, aujourd’hui ce sont les éleveurs qui instrumentalisent leurs animaux.
En effet, les éleveurs font partie des rares corps de métier à avoir la possibilité d’emmener avec eux dans leurs manifestations leur cheptel (ovins, bovins, caprins, lapins), voire à brûler quelques carcasses ou produits animaux. En ce mois de juillet, ce sont les éleveurs de porcs qui protestent. Au lieu de déverser du purin devant les portes de la préfecture la plus proche et de brûler quelques palettes, pneus et ballots de paille comme ils n’hésitent pas à le faire, ils sont descendus dans les rues avec des animaux qu’ils ont mis dans des situations d’angoisse extrême en les sortant de leur milieu habituel.
Des cochons se sont ainsi retrouvés au milieu des allées d’un supermarché d’Agen sur un sol glissant, affalés dans leurs excréments, sur des carrelages inadaptés à leurs pattes, risquant de se briser un membre. De même, la FNSEA a malmené une vache en l’emmenant dans un supermarché, un adolescent sur son dos.
Si les éleveurs pensent que c’est en instrumentalisant de la sorte les animaux qu’ils trouveront le soutien et la compréhension de la majorité de la population, ils font erreur. En agissant ainsi, ils montrent une absence d’éthique et de respect envers les animaux qu’ils « élèvent » ; ignorant tout de la détresse dans laquelle ils placent leurs porcs.
Rappelons que le porc est reconnu pour sa grande intelligence et sa sensibilité; son intelligence est régulièrement comparée à celle du chien en matière d’apprentissage, de fidélité, d’utilisation de la mémoire et de capacités olfactive ou auditive. Par ailleurs, en déversant 15000 tonnes de lait dans le Durgeon, rivière de Franche-Comté, les éleveurs ont non seulement pollué le cours d’eau mais également tué les poissons qui l’habitaient. « Le lait, après s’être déposé au fond de la rivière, coagule, remonte en surface et forme des plaques qui ne peuvent pas s’écouler. »
Non contents de traumatiser leurs porcs, de polluer l’environnement en brûlant des pneus, ils détruisent également l’écosystème d’une rivière. Si les éleveurs en ont ras-le-bol de leurs conditions de travail et de rémunération, nous pouvons également en avoir ras-le-bol d’en voir certains saccager des camions entiers de palettes de viande roumaine ou allemande, des tonnes de fruits et légumes, des milliers de litres de lait.
Ce ne sont pourtant pas les outils de nuisance qui leur manquent: entre le purin, le lisier, la paille et le fumier, les tracteurs et autres engins agricoles, les opérations escargots, ils ont les moyens de paralyser le pays bien autrement qu’en utilisant les animaux et leurs produits et en déversant des milliers de litres de lait produits par des vaches séparées de leurs veaux dès la naissance, générant de surcroît des catastrophes écologiques.
Cette absence d’éthique envers le vivant et la planète en dit long sur la manière dont certains éleveurs et agriculteurs aiment leurs animaux, leur sol et leur métier. Si ces éleveurs veulent que la population s’intéresse à leurs problèmes, qu’ils commencent par respecter leurs cheptels et troupeaux. En l’absence, ils ne suscitent que l’indignation.
On peut vouloir faire passer un message syndical sans gaspiller la nourriture et le lait, sans tuer des poissons, sans tourmenter psychologiquement et physiquement l’animal, qui rappelons-le, dans le cas des éleveurs, représente tout de même leur « gagne-pain », un gagnepain vivant, sensible, intelligent qui mérite un autre traitement que d’être placé dans des contextes de violence hautement anxiogènes.
On ne peut pas agir avec l’animal et ses produits comme on agit avec un objet, un outil de travail inanimé que l’on souhaiterait détruire en public pour marquer les esprits. Le bien-être de l’animal ne peut plus être négligé. Des lois existent qui punissent ce type de comportements: un animal ne peut légalement se retrouver au milieu d’une manifestation paysanne ou être parachuté dans les allées d’un supermarché, c’est contraire à sa condition d’être sensible, comme stipulé dans l’article L 214-1 du code rural et de la pêche maritime, l’éleveur doit apporter les conditions nécessaires au bien-être de l’animal qu’il possède : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions ompatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »
De même, polluer une rivière et tuer ainsi sa faune est un acte interdit par la loi. Par ailleurs, dilapider les produits issus de l’animal est le summum du manque d’éthique, geste qui ne peut que nuire à la réputation de cette profession déjà bien entachée par l’industrialisation du métier, où la rentabilité prime trop souvent sur le bien-être animal.
Astrid Guillaume
Article publié dans le numéro 87 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.