Fièvre agricole estivale

Après une crise agricole de plusieurs mois, un reportage dans un élevage industriel de porc a été diffusé à la télévision pour montrer l’intérieur de ce type d’élevage. Malheureusement, le reportage habilement truqué ne rend pas compte de la réalité et de l’ignominie que vivent les animaux élevés pour être engraissés, puis tués.

L’été a été marqué par une crise agricole retentissante : durant près de trois mois, à chaque jour et à chaque heure, auditeurs et téléspectateurs ont assisté par médias interposés au déroulement d’une crise frappant les éleveurs, impliquant les entreprises d’abattage et celles de la grande distribution, chacun de ces trois partenaires rejetant aux autres la responsabilité de la situation, mobilisant les syndicats, les groupements professionnels (dont l’Inaporc, cf. Note ciaprès), certains usant de pressions, de menaces, de surenchères, voire de chantage et de troubles à l’ordre public comme le blocage de Paris décidé par la FNSEA et son président Xavier Beulin, pour finalement recourir à l’État, contraint de payer pour apaiser le climat social.

Le citoyen, lecteur, auditeur ou téléspectateur, a été débordé, accablé de chiffres et d’interviews, souvent occasions de déclarations péremptoires de responsables à l’ego dilaté. Au final, il aura retenu que les revenus de l’élevage sont insuffisants, que seule compte la compétitivité (en un mot français la concurrence…), qu’un animal élevé pour être tué et mangé n’est que de la viande au kilo, que sa vie ne mérite pas qu’on en parle, et que sa viande est l’objet d’une cote de marché, comme le pétrole, la ferraille ou le minerai de cuivre.

Pour finir le citoyen aura compris que les impôts que lui, citoyen, va payer, vont couvrir à hauteur de 350 millions € (au travers de l’État, des régions et de l’Europe) les déboires d’un élevage dont lui, citoyen, désapprouve les méthodes, et qui déjà en 1984 avait suscité ce constat navré de la part de M. Edgar Pisani : «L’artificiel ne satisfait que ceux qui le produisent » (courrier personnel du 13 avril 1984). Car de quel élevage s’agissait-il dans cette affaire?

De l’élevage industriel, évidemment, dont la production au coût le plus faible possible et la rentabilité comme seul objectif ont nécessairement tiré la qualité vers le bas. Et de quels animaux?

Essentiellement du porc, et principalement du porc breton. Au sujet de cet élevage du cochon, la télévision, dont les reporters avaient été pris en main et habilement pilotés, a diffusé des images soigneusement choisies. Jamais n’a été montré un atelier d’engraissement, où les porcs sont détenus par centaines, enserrés côte à côte, condamnés à vie à manger leur pâtée à un bout et à déféquer par l’autre, et à faire de la viande entre les deux.

Non, jamais cela n’a été montré ; d’ailleurs, l’entrée de ces « élevages » est interdite, pour des raisons dites sanitaires. Les vidéos diffusées ont toujours montré des groupes de porcelets, bien roses, bien proprets, encore dégouttants de la douche qu’ils venaient de recevoir, étonnés de voir tant de monde autour d’eux, explorant du groin un box inhabituel, préparé pour la séquence, au sol de caillebotis tout juste lavé à grande eau…

Mise en scène évidente, et désinformation perverse, afin que l’image trompe le spectateur non attentif ou non averti quant à la condition animale; peut-être celui-ci n’aura-t-il pas même remarqué que les porcelets n’avaient pas de queue, la caudectomie (à vif) continuant d’être systématiquement pratiquée en élevage industriel du porc. Tout devait concourir à cacher l’ignominie de l’élevage industriel, notamment porcin.

Les opinions des partisans d’une autre agriculture n’ont pas été sollicitées, pas plus celles des membres de la FNSEA qui estiment que leur président actuel Xavier Beulin (président du groupe industriel-financier-alimentaire Avril-Sofiprotéol) ne les représente pas et que « l’agriculture productiviste et libérale qu’il défend est celle qui a conduit à l’hécatombe du nombre d’exploitants et à l’impasse financière dans laquelle d’autres se trouvent aujourd’hui » (Le Monde, 4 septembre).

La parole n’a pas été donnée non plus aux responsables d’autres syndicats que la FNSEA, tel Laurent Pinatel, président de la Confédération paysanne. Et surtout absolument rien n’a été ni dit ni montré sur la situation des éleveurs reconvertis au « naturel ». Pourtant les initiatives et les informations sont nombreuses, et la mise en parallèle aurait été instructive.

Ici, les agriculteurs adeptes de l’agro-écologie s’affirment « bien vivre » de leur production livrée en circuit court, là les producteurs bio se regroupent et se diversifient, ailleurs le mouton bio n’arrive pas à satisfaire la demande, comme le porc bio, partout l’œuf bio progresse (alors que la production d’œufs poules en cage a baissé de plus de 3%) et l’agriculture bio gagne les grandes cultures.

Le bon sens et le bien ne sont jamais écoutés. Le bio et le respect de l’environnement continuent d’être vus comme des ennemis de l’industriel, et craints comme tels. Rappelons-nous le saccage emblématique des bureaux de Dominique Voynet, ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, en juin 2001.

Et considérons comme très significative la satisfaction de la direction de la FNSEA exprimée le 5 septembre d’avoir obtenu l’engagement du gouvernement d’une part à ne prendre aucune nouvelle mesure en matière de normes environnementales jusqu’en février 2016, et d’autre part à simplifier l’installation et l’agrandissement des élevages, ce qui laisse augurer de belles récoltes d’algues vertes sur les rivages marins.

Enfin, considérons comme particulièrement scandaleuse l’ultime exigence de la FNSEA de voir les associations environnementales exclues des commissions de travail qui auront à préparer les textes réglementaires.

Jean-Claude Nouët

NOTE : Le groupement Interprofession nationale porcine (INAPORC), rassemble tous les métiers de la filière porcine française: fabricants d’aliments pour les porcs, éleveurs, coopératives, abatteurs-découpeurs, industriels de la charcuterie-salaison, grande distribution, artisans bouchers et charcutiers-traiteurs, restauration collective.

Son site www.leporc. com/decouvrir/inaporc.htmlest consacré à la justification de l’élevage industriel du porc et de ses produits.

Son directeur, Guillaume Roué, est une personnalité de la profession, président de l’Organisation internationale des viandes (OIV). Ses rapports avec la Ligue française des droits de l’animal ont été tendus, notamment à la suite de la parution de l’ouvrage Le Grand Massacre (A. Kastler, M. Damien, J.-C. Nouët) ; il a longtemps diffamé la LFDA, nous accusant de réclamer l’abolition de l’élevage. Lors d’une réunion tenue au ministère de l’Agriculture, il a revendiqué, comme éleveur de porcs informé, son souci de leur bien-être, en se vantant de consacrer des sommes importantes à la recherche de la couleur dont peindre les ateliers d’engraissement pour apaiser les animaux.

Après qu’il fut un peu poussé à insister sur le coût de ces essais, il se fit alors contrer par un certain professeur d’histologie, qui lui conseilla benoitement d’arrêter ces dépenses inutiles, puisque les porcs n’ont pas la même perception des couleurs que nous.

Jean-Claude Nouët

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