CR: L’Animal enjeu de la recherche, Histoire de la recherche contemporaine

Ce compte rendu de lecture propose une explication sur la place de l’animal dans divers milieux de la recherche, des progrès qui ont pu être réalisé. Mais également, il est retracé l’histoire des études menées sur différentes espèces animales qui ont montré des similitudes avec le comportement humain.

Tome IV, n° 1, CNRS Éditions, 2015

Comme le précise Georges Chapouthier dans l’introduction de ce dossier, ce sont seulement quelques facettes de la recherche scientifique moderne qui sont abordées ici ; elles concernent plus particulièrement les recherches portant sur le système nerveux (la neurobiologie) et les comportements (l’éthologie), secteurs de la biologie où les frontières entre animalité et humanité sont l’objet de vifs débats récurrents. Ainsi sont évoqués : l’utilisation des animaux en médecine (Jean-Gaël Barbara), les modèles animaux et leurs limites (François Clarac), de même que les modèles animaux et leur contribution aux progrès des connaissances en pharmacologie cérébrale (Jean–Claude Dupont). Le panorama des neurosciences qui est dressé ici démontre combien, tout comme dans d’autres secteurs de la biologie, les progrès d’une discipline sont tributaires des progrès réalisés dans les techniques mises en œuvre, notamment dans les domaines de l’électrophysiologie ou de la pharmacologie, ouvrant le vaste champ des neuromédiateurs. Parmi les animaux utilisés figurent quelques invertébrés dont un insecte la drosophile, un mollusque l’aplysie, et un crustacé l’écrevisse. Ce sont les rongeurs, le rat et la souris, qui sont le plus souvent utilisés, notamment cette dernière en raison des nombreuses expériences que permet la connaissance de sa génétique. Le chat a contribué à de nombreuses recherches en électroencéphalographie. Le singe rhésus (Macaca mulata) est un modèle impliqué dans les recherches sur la maladie de Parkinson, dans la connaissance des activités cérébrales et dans la découverte des «neurones-miroirs» qui ont été identifiés aussi chez l’homme.

Certes, le modèle animal permet d’effectuer une expérimentation irréalisable chez l’homme ou préalablement à une expérimentation humaine, mais il reste que le résultat de telles expérimentations n’est pas nécessairement obtenu chez l’homme. François Clarac souligne que « les neurosciences s’intéressent aujourd’hui au cerveau de l’homme lui-même avec l’apparition des techniques d’imagerie cérébrale. »

Dans le chapitre « Ce demi-siècle d’éthologie », Michel Kreutzer, retrace d’une façon claire et très détaillée l’histoire de cette discipline et la succession des concepts qui ont contribué à son évolution. Il expose les débats qu’ont suscités le behaviorisme d’une part et l’objectivisme d’autre part, et comment sont mises en cause, ou en question, les expériences vécues par l’animal, dès les tout-débuts de son développement, et dans quelle mesure elles déterminent ultérieurement ses comportements. Spécialiste des oiseaux chanteurs, l’auteur construit son exposé de façon détaillée sur les enseignements que l’on peut tirer de l’acoustique aviaire et plus particulièrement de l’apprentissage du chant et de la construction du discours sonore de l’oiseau. Selon lui « les théories behavioriste et objectiviste, loin de s’opposer, se complètent bien souvent », si bien que « ces conceptions marquent un tournant dans la manière de concevoir l’éthologie et jettent un pont vers les études menées en sciences humaines et sociales, que ces dernières portent sur la communication non verbale ou sur les propriétés de la sociabilité humaine ; l’humain est de nouveau capté par les conceptions naturalistes et l’existence de continuités entre l’animal et l’humain se voit une fois encore validée ».

Michel Kreutzer aborde ensuite les questions et les débats soulevés par la sociobiologie et notamment les comportements d’entraide et d’altruisme entre individus génétiquement proches et apparentés et la théorie qui en découle lorsqu’elle est étendue à l’humain. Les comportements des partenaires mâle et femelle au cours de la parade nuptiale sont discutés ainsi que les théories concernant le choix des partenaires. Le propos est ensuite étendu aux travaux relatifs à « la famille, la tradition et la sociabilité chez les primates » ainsi qu’à la cognition animale. Un thème intéressant est exposé dans le paragraphe intitulé « l’animal hédonique ». « On a mis en évidence à de nombreuses reprises chez l’animal comme chez l’humain qu’un ensemble de circuits nerveux et de neuromédiateurs similaires sont impliqués dans le contrôle des affects ». Ceci conduit à évoquer les situations dans lesquelles l’animal est amené à éprouver, voire à rechercher, des sensations de bien-être. La bibliographie abondante de Michel Kreutzer est complétée par deux encadrés ; l’un est intitulé : Implantation et diffusion de l’éthologie, l’autre pose la question : Une pensée sans langage ?

Dans le prolongement du contenu des articles précédents, deux articles abordent le thème important de l’éthique animale. Dans : « L’éthique animale au croisement des perspectives de recherche entre éthologie et philosophie » Mathilde Lalot, Vanessa Nurock et Dalila Bovet abordent le sujet de façon originale ; « Nous proposons de nous interroger non-seulement sur nos obligations morales à l’égard des animaux mais surtout sur leurs capacités morales: peuvent-ils porter des évaluations morales et agir moralement ? Il s’agit donc non tant de s’intéresser à la morale pour les animaux qu’à la morale par les animaux. » Dans ce cadre se succèdent les paragraphes suivants : Evolution des représentations : l’animal agent moral ; Focalisation du champ des recherches : pro-socialité et injustice chez les primates ; La morale animale : une morale naïve ; enfin, Quelles perspectives ? Les auteures insistent sur le fait que les données dont on dispose aujourd’hui sur les animaux sont ciblées sur des primates. Est-il pertinent de transposer à d’autres espèces les capacités évaluées chez les primates ? « Élargir le champ des recherches à d’autres espèces que les mammifères permettrait d’aller plus loin en affinant notre compréhension des modèles de développement de ces capacités ainsi que des variations éventuelles selon les espèces (plutôt que de parler « des animaux » de manière vague) que ce soit dans l’espace naturel ou dans les conditions expérimentales. »

Dans le chapitre : « Les trois âges de l’éthique animale », Patrick Llored décrit comment se sont construites, au gré des publications qui ont d’ailleurs parfois tardé à être traduites en français, certaines approches de l’éthique animales dont les prises de position diverses et parfois contradictoires ne sont pas sans surprendre. Cette diversité repose, semble-t-il, sur la diversité des points initiaux de la réflexion éthique. L’éthique animale doit-elle être seulement normative ? L’auteur aborde successivement : l’éthique animale de langue anglaise : une reconnaissance française encore à venir ; l’éthique animale de Donna Haraway : une éthique animale ouverte sur la culture et l’éthique animale de Derrida : une éthique animale ouverte sur la politique.

L’éthique doit-elle se satisfaire de ses seuls discours, de sa seule rhétorique ? Ne doit-elle pas se concrétiser dans l’action en la pilotant ? Les deux derniers chapitres du dossier abordent cette question. D’abord dans les chapitre « Les progrès de la protection animale en droit français et européen » Sonia Canselier montre combien ces progrès sont lents mais réels, quoique subsistent encore des dérogations déplorables dont sont victimes certains animaux. On peut espérer qu’une meilleure connaissance biologique des différentes espèces, de leurs besoins et de leurs comportements singuliers aideront à faire progresser leur protection juridique. Encore faut-il que cette protection juridique se concrétise efficacement « sur le terrain », aidée éventuellement par la jurisprudence.

Comment concrétiser les choix éthiques. Georges Chapouthier, Thierry Auffret Van der Kemp et Jean-Claude Nouët présentent les étapes d’une action, réalisée depuis 1977, dans le chapitre : « La LFDA et l’éthique en faveur de l’animal en France ». Tous les trois ont été et sont des acteurs de cette démarche. Que ce soit dans sa contribution à la « Déclaration Universelle des droits de l’Animal », dans son activité éditoriale, dans sa participation à des commissions nationales qui concernent l’expérimentation animale, dans l’organisation de colloques nationaux et internationaux ou dans l’attribution du prix Kastler, La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences couvre le parcours tracé par l’ensemble de ce dossier très instructif des Éditions du CNRS.

Le dossier est clos par Eric Baratay. Dans « Point de vue, construire une histoire animale », il souligne que « l’histoire des animaux écrite depuis trente ans est en fait une histoire humaine des animaux. » Il demande que l’on sorte de cette approche qui est, selon lui, réductrice. Mais s’il est nécessaire de s’intéresser au versant animal afin de bâtir une histoire animale, Eric Baratay ne masque pas les difficultés de la démarche pour établir des faits et des documents fiables indispensables à l’élaboration de cette histoire. Il indique que ses recherches visent d’ailleurs à développer trois histoires animales. La première concerne « l’enrôlement des animaux dans les grands phénomènes historiques », la deuxième aborde la question des individus par le biais de biographies animales ponctuelles et la troisième, une histoire éthologique reposant sur « l’hypothèse d’une incessante adaptation des espèces, des groupes, des individus aux conditions écologiques et humaines. »

Au total, ce dossier : « l’animal enjeu de la recherche » sera une source de nombreux sujets de réflexion pour qui s’intéresse à « l’animal ».

Alain Collenot

Article publié dans le numéro 87 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.

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