Une bonne nouvelle :
La loutre (Lutra lutra) semble sauvée de la disparition totale qui la menaçait en France : il n’en restait qu’un millier sur le territoire il y a un demi-siècle, principalement dans le Limousin et le Marais poitevin. Interdite de chasse en 1972, inscrite à l’Annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages (CITES) de 1973, inscrite aux annexes II et IV de la directive 92/43/CEE Habitats-Faune-Flore de 1992, la loutre a bénéficié d’une protection juridique stricte : elle est passée d’un animal « nuisible » à une espèce quasi patrimoniale, considérée comme « parapluie », c’est-à-dire dont la conservation entraîne nécessairement la protection du milieu aquatique dans lequel elle vit.
Mais si la loutre est préservée des actes volontaires directs (tirs, pièges, capture, poison), l’espèce a continué d’être indirectement menacée par la raréfaction des poissons, la pollution de la plupart des cours d’eau notamment par les pesticides agricoles, l’aménagement bétonnier des berges, la dégradation des zones humide, sans oublier la circulation routière responsable de nombreux écrasements de loutres.
D’où la mise en œuvre d’un ensemble de mesures: restauration des écosystèmes aquatiques creusement de mares, aménagements de frayères, de passes à poissons, et de passages sous les chaussées et les voies ferrées. La conservation de la loutre a été fortement aidée par diverses associations et par l’engagement de particuliers passionnés, agissant tant sur le terrain qu’auprès du grand public, des élus, des pisciculteurs, des fédérations de pêche.
Un essai de réintroduction avec des animaux issus du centre d’élevage des loutres crée en 1991 au sein du Centre de réintroduction de Hunawihr dans le Haut-Rhin a permis à une petite population de loutres de repeupler une partie des rivières du centre Alsace, mais les opérations de réintroduction ne sont pas encouragées actuellement en France. La recolonisation naturelle est encouragée ces dernières années, et permet d’être optimiste quant à l’avenir de la loutre à l’échelle nationale : on estime en effet que les effectifs totaux se situent entre 2000 et 3000 individus, et la loutre a commencé à reconstituer spontanément sa population notamment en recolonisant des cours d’eau où elle avait été exterminée.
C’est le cas dans le Massif central et en centre Bretagne, où plusieurs rivières ont été reconquises jusqu’à la mer, le Scorff, le Blavet, l’Ellé et le Léguer. La renaissance de la loutre apporte la démonstration que des actions de terrain réfléchies et des campagnes d’information et de sensibilisation du public, s’appuyant sur une vraie volonté politique et juridique, parviennent à restaurer la nature et ses équilibres.
Une moins bonne :
La mer se réchauffe, de nouveaux poissons arrivent et sont trouvés dans les filets de pêche. Leur présence est corrélée à la présence de masses d’eau à la température qui leur convient. En sorte qu’ils sont pris en compte dans les études des effets du dérèglement climatique. Sur nos côtes, certains poissons des eaux fraîches remontent plus vers le nord, tel le maquereau.
D’autres, vivant habituellement dans des eaux plus tempérées, sont de plus fréquemment observés jusque dans la Manche, tel le baliste capri (Balistes capriscus) des zones récifales subtropicales. L’inventaire réalisé par la Station de biologie marine de Roscoff en 1956 le déclare « très rare » et n’en mentionne que deux exemples.
C’est à partir de 1980 que les observations se sont multipliées, et actuellement le baliste est devenu une espèce régulièrement recensée dans les criées d’Aquitaine. Il est même pêché en fin d’été jusque sur le littoral du Pas-de-Calais. C’est un poisson que l’on repère aisément dans les caisses.
Il mesure jusqu’à 50 cm à l’âge adulte, le corps ovoïde est aplati, sa couleur brun jaune est striée de blanc bleuté. Sa bouche est garnie d’une denture puissante avec deux dents perforantes à l’avant qui lui permettent de briser les carapaces des crustacés et les coquilles des palourdes, des huîtres et des balanes dont il débarrasse les rochers. Il y a de fortes chances que les balistes deviennent de plus en plus nombreux, surtout là où le réchauffement des eaux leur permettront de se reproduire.
Le baliste n’est pas le seul exemple de l’arrivée de poissons tropicaux. Ainsi, la bonite, un petit thon de 3 ou 4 kg et de 70 cm, a été plusieurs fois pêchée en Manche sur la Côte de Granit rose. L’an dernier, des poulpes y ont été trouvés dans des casiers par un pêcheur caseyeur, qui n’avait jamais observé cette espèce auparavant.
Et au large, des observations directes ou au sondeur ont montré la présence d’importants bancs de sardines (ce qui fera l’affaire des oiseaux marins!) Petite et peu profonde, la Manche s’est réchauffée de 0,7 °C en 20 ans, deux fois plus que la moyenne mondiale. Dans l’ensemble des océans, les poissons auraient effectué un déplacement vers les pôles d’environ 280 km par décennie, le phytoplancton progressant lui de 470 km : ces deux chiffres semblent montrer que le déplacement des poissons, s’il dépend probablement d’une température de l’eau conforme aux besoins, dépend aussi de l’arrivée sur place à l’avance du phytoplancton, premier anneau de la chaîne alimentaire.
Sources : Le Télégramme, 7 oct.2014, 22 juillet et [Lien]
Et deux très mauvaises :
L’une, côté mers : La Grande Barrière de corail s’étend sur 2600 km au large du Queensland, au NE de l’Australie et comporte 2900 récifs et 900 îles. Elle est un milieu naturel exceptionnel où vivent 400 espèces de coraux, 1500 espèces de poissons, 4000 espèces de mollusques, et nombre d’animaux marins emblématiques (raie manta, dauphins), et très menacés (dugong, tortues marines, dont les effectifs y sont déjà réduits de 80 %).
Sa vie est pourtant mise en danger par l’échauffement climatique, responsable de la mort de près de la moitié des coraux, par l’activité agricole (banane, canne à sucre, élevage bovin) qui déverse ses polluants en mer, et le développement industriel, dû à la richesse minière du sous-sol du Queensland, notamment en charbon.
L’exportation du charbon vers l’Asie, principalement vers l’Inde, a entraîné la construction de ports comme celui de Gladstone, étalé sur 30 km, d’où partent 2000 immenses tankers par an; des usines de liquéfaction de gaz ont totalement envahi l’île Curtis, et leur construction a nécessité le creusement d’un canal d’accès par dragage de 22 millions de m3 de roches et de sédiments.
Le trafic des navires devrait doubler dans dix ans, si le port d’Abbot Point, à 600 km au nord de Gladsgtone, se développe comme le prévoit le projet indo-australien, financé par le groupe indien Adani. De réelles menaces ont donc été jugées peser sur la Grande Barrière, au point que l’Unesco a menacé le gouvernement australien de l’inscrire sur la liste du Patrimoine mondial en péril.
De leur côté, plusieurs grands établissements bancaires se sont désengagés des opérations industrielles prévues, dont Deutsche Bank en mai 2014, HSBC et Royal Bank of Scotlang en juin, et en avril Société Générale, BNP Paribas et Crédit Agricole. À l’éventualité d’un classement de la Grande Barrière, l’Australie a d’abord répondu par des justifications économiques et des déclarations tapageuses de ses dirigeants politiques, notamment Greg Hunt, ministre de l’Environnement, qui a déclaré que (la Grande Barrière) « ne mérite pas d’être placée sur la liste du patrimoine en péril », et Tony Abbott, le Premier ministre, qui a qualifié le changement climatique de « foutaise absolue » et a tenté de l’exclure des discussions du G20 de novembre 2014 à Brisbane, en affirmant que le charbon est « bon pour l’humanité ».
Le président Obama ayant exprimé ses préoccupations pour l’avenir de la plus grande formation vivante au monde lors du sommet du G20 à Brisbane le week-end dernier, Julie Bishop a adressé à la Maison Blanche un mémorandum sur les efforts fournis par Canberra dans le but de l’assurer que « le gouvernement australien prend [cette question] très au sérieux », ajoutant que le président américain n’était probablement pas informé…
Puis l’Australie a présenté à l’Unesco un plan mêlant nécessités du développement socio-économique, promesses et engagements écologiques, en fixant des objectifs environnementaux jusqu’en 2050. Cousu des fils blancs de l’obséquiosité, le dossier a cependant convaincu l’unanimité du Comité du patrimoine mondial, lequel réuni à Bonn le 1er juillet dernier, a pris acte du plan du gouvernement australien, et a finalement décidé de ne pas inscrire la Grande Barrière de corail sur la liste du patrimoine en péril.
Le « plan de protection » du gouvernement met en avant l’argument selon lequel « l’administration, les communautés aborigènes, l’industrie, la société civile et la communauté scientifique ont développé ensemble une approche équilibrée, visant à protéger durablement l’environnement tout en permettant le développement économique. Telle est notre vision du développement durable. La Grande Barrière de corail est une merveille de la nature, et l’Australie veillera à ce qu’elle le reste ».
Rantanplan ! La disposition principale du plan est de réduire de 80 % d’ici à 2025 la pollution de l’eau en provenance des terres agricoles, et d’interdire le déversement des déchets de dragage près de la Grande Barrière de corail. L’investissement total pour la Grande Barrière dans la décennie à venir devrait s’élever à 2 milliards de dollars.
Si la décision de l’Unesco a été saluée par le gouvernement australien, grandement soulagé des restrictions qu’aurait imposées la reconnaissance d’un péril à ses projets industriels, elle ne satisfait aucunement les ONG dont l’Australian Marine Conservation Society, bien placée pour n’y voir qu’une liste de bonnes intentions, en particulier en ce qui concerne le changement climatique, qui ne peut qu’être aggravé par le développement de l’extraction du charbon, un point pourtant capital sur lequel le plan australien est resté étrangement muet.
Greenpeace a renouvelé sa demande à Canberra d’abandon de ses projets de développement de mines de charbon et d’expansion portuaire, en vain. À peine connue la décision de l’Unesco, Greg Hunt, ministre de l’Environnement, s’est félicité de « l’excellente nouvelle » et du « formidable résultat pour l’Australie », soulignant que la Grande Barrière est « l’un des emblèmes de l’Australie », un des principaux sites touristiques du pays qui attire 2 millions de touristes chaque année et rapporte 6 milliards de dollars australiens (4,1 milliards d’euros), et qui est également un site exceptionnel pour les chercheurs.
Certes! Mais les touristes affluent pour admirer ce site riche de vie, dont le « plan australien » n’apporte aucune garantie absolue de survie; plus un touriste ne viendra pour voir des coraux blanchis, des récifs morts et déserts, sauf pour pleurer sur leur disparition et en accuser l’Australie. Le fait que Canberra reste sous la surveillance de l’Unesco et doive rendre un premier rapport le 1er décembre 2016 puis présenter un bilan des actions réalisées en 2020, n’est pas spécialement rassurant.
L’autre côté terres : selon les données de l’université du Maryland et de Google, 180000 km2 de forêt ont été détruits durant l’année 2014, la plus mauvaise année avec 2012 depuis le début de ce siècle (source : Le Monde, 5 septembre). À chaque seconde, ce sont 40 arbres qui sont abattus, 2400 à chaque minute, 144000/heure, pour la moitié dans les pays tropicaux, avec une augmentation de 15 % dans les pays autres que le Brésil et l’Indonésie, les plus anciennement victimes de la déforestation, qui gangrène désormais le Cambodge, le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée, Madagascar, l’Uruguay et le Paraguay.
« L’accélération de la déforestation est due aux productions de plus en plus importantes de caoutchouc, de soja et de bœuf », a déclaré le directeur du programme des forêts au World Resources Institute, avec des particularités : caoutchouc dans le bassin du Mékong, soja et bovins au Paraguay, bois précieux et exploitations minières à Madagascar, huile de palme en Afrique de l’Ouest et dans le Bassin du Congo.
Quand donc seront rendues publiques les conclusions et décisions du 14è Congrès forestier mondial tenu à Durban du 4 au 11 septembre? Elles pèseront lourd lors de la Conférence des Nations unies qui va s’ouvrir à Paris à la fin de novembre (CoP 21). Le maintien du couvert forestier des terres émergées est un facteur indispensable de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) rappelle que plus de 1,6 milliard d’humains dépend des forêts pour vivre. Dans ces études, ces déclarations ou publications, on ne peut que remarquer l’absence de la moindre référence aux milliers d’espèces animales, des plus emblématiques comme l’orang-outang, aux plus discrètes comme les insectes, dont la survie sur Terre est strictement et entièrement dépendante de la présence de la forêt, où que ce soit.
Enfin, on ne peut aussi que remarquer que rien ne semble pouvoir arrêter la course universelle au profit quelles que soient les prédictions fondées sur les arguments les plus sérieux, et les solutions les plus raisonnables. En somme :
L’HOMME PROPOSE,
ET LE FRIC DISPOSE.
Jean-Claude Nouët
« La Grande barrière de corail évite le classement de « patrimoine en péril » », Le Monde
« La Grande Barrière », Unesco
Article publié dans le numéro 87 de la revue Droit Animal, Ethique et Sciences.