Du 1er au 10 septembre dernier s’est tenu à Hawai’i le Congrès mondial de la Nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Créée en 1948, l’UICN est le plus vaste réseau mondial de protection de l’environnement comptant parmi ses membres des gouvernements et des organisations de la société civile. Elle a pour mission d’informer et de valoriser les efforts de conservation dans le monde et offre pour cela les outils et les connaissances nécessaires grâce notamment au travail de plus de 16 000 experts.
La Liste rouge de l’UICN dresse un inventaire mondial de l’état de conservation global des espèces végétales et animales. Elle identifie notamment dans quelle mesure une espèce est menacée d’extinction ainsi que les causes principales de son mauvais état de conservation. Selon plusieurs critères bien précis, les espèces ou sous-espèces sont ainsi classées en 9 catégories :
- éteinte
- éteinte à l’état sauvage
- en danger critique
- en danger
- vulnérable
- quasi-menacé
- préoccupation mineure
- données insuffisantes
- non évaluée
À l’occasion de ce congrès qui a lieu tous les quatre ans et qui réunit des milliers de décisionnaires, la récente mise à jour de cette liste a été rendue publique.
I. Un constat alarmant pour la biodiversité…
Le bilan est plus que préoccupant : sur 82 954 espèces évaluées, 23 928 sont menacées d’extinction. De nombreuses espèces voient leur état de conservation gravement détérioré, régressant parfois de deux paliers sur la liste.
Parmi elles :
Quatre grands singes sur six sont désormais en danger critique d’extinction
Le gorille de l’Est, vivant dans les forêts montagneuses à l’est de la République démocratique du Congo, dans le nord du Rwanda et dans le sud de l’Ouganda, a vu sa population réduite de 70 % en vingt ans. Le plus grand gorille du monde est victime d’un braconnage sans précédent depuis la prolifération d’armes à feu due à l’insécurité de la région. La déforestation est également est l’une des principales causes de son déclin. Si, parmi ses deux sous-espèces, le gorille des montagnes a vu ses effectifs augmenter, la population de gorilles des plaines orientales est passée de 16 900 individus à 3 800 en dix ans.
Le gorille de l’Ouest avait déjà perdu la moitié de sa population entre 1983 et 2000. Le braconnage, la déforestation mais aussi l’éruption de certaines maladies, telle celle due au virus Ebola, ont entraîné un nouveau déclin de plus de 18 % entre 2005 et 2013. D’importants efforts ont pourtant été déployés afin de lutter contre le braconnage mais ils n’ont malheureusement pas porté leurs fruits.
L’orang-outan de Bornéo a perdu plus de 60 % de sa population entre 1950 et 2010 et une nouvelle diminution est prévue entre 2010 et 2025. Parmi les raisons principales de ce déclin : la destruction, la dégradation et la fragmentation de leur habitat (39 % des forêts de Bornéo ont disparu en moins de 40 ans) et le braconnage. L’orang-outan de Sumatra connaît malheureusement un sort similaire.
Les bonobos et les chimpanzés restent quant à eux « en danger » d’extinction et cela depuis 1996.
Le zèbre des plaines et trois espèces d’antilopes d’Afrique désormais « quasi menacés » d’extinction
Classé dans la catégorie « préoccupation mineure » depuis 2002, le zèbre des plaines, chassé pour sa viande et pour sa peau, a vu sa population diminuer de 24 %. Il est désormais « quasi menacé » d’extinction. Alors que l’on comptait 660 000 individus en 2002, la population est aujourd’hui estimée à 500 000 individus. Dans beaucoup de pays désormais, le zèbre des plaines n’est plus que présent que dans les aires protégées.
Le céphalophe à bande dorsale, le céphalophe à ventre blanc et le céphalophe à dos jaunes appartiennent désormais à la catégorie « quasi menacé » alors qu’ils étaient classés « préoccupation mineure » depuis 2008. Les principales causes de leur déclin sont la chasse et la disparition progressive de leur habitat. Selon les experts scientifiques, leur conservation sera étroitement liée à une protection effective des zones clés de la forêt équatoriale et des régions boisées de la savane d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest, par la création de nouveaux parcs nationaux, de réserves mais aussi par l’instauration de zones de chasse efficacement gérées.
La tortue étoilée d’Inde passe de « préoccupation mineure » à « vulnérable »
Bien que l’on observe encore de nombreuses populations présentes dans les zones protégées mais également dans les secteurs agricoles de l’Inde et du Sri Lanka ainsi qu’au Pakistan, le commerce international menace gravement la conservation de la tortue étoilée d’Inde. On observe en effet une demande croissante de cette espèce comme animal de compagnie. Preuve de l’ampleur de ce commerce : en Inde, plus de 55 000 tortues étoilées ont été capturées en un seul endroit en 2014. La perte de leur habitat (par la création de vergers notamment) sera probablement un autre facteur de leur déclin dans l’avenir.
Le koala saute deux paliers en seulement 8 ans
Malgré des efforts de conservation, la population de koalas a diminué d’environ 28 % sur une vingtaine d’années. C’est à l’intérieur des terres que le déclin est le plus important à cause de la sécheresse. Menacé essentiellement par la destruction de son habitat, les maladies et les feux de forêt, un taux accru de réduction du nombre d’individus en raison du changement climatique est attendu dans les vingt à trente prochaines années.
Le pangolin est l’une des plus grandes victimes du braconnage
Le sort des pangolins asiatiques est plus qu’inquiétant. Tandis que le pangolin des Philippines et le pangolin indien sautent deux paliers et passent de la catégorie « quasi menacée » à « en danger », le pangolin javanais et le pangolin de Chine, en danger d’extinction depuis 2008 sont désormais au bord de l’extinction, classés « en danger critique ». Quant aux pangolins africains (pangolin à longue queue, pangolin terrestre du Cap, pangolin à petites écailles et pangolin géant), tous sont désormais classés dans la catégorie « vulnérable ».
Les mesures de protection de l’espèce mises en place aux niveaux local et mondial sont encore bien insuffisantes pour lutter contre son déclin. S’il souffrait dans le passé d’une exploitation essentiellement locale pour sa viande et ses écailles, une grande partie du braconnage est désormais destinée au commerce international, pourtant interdit depuis 2000. Les pays asiatiques dont la Chine sont les plus gros demandeurs de ce petit fourmilier à écailles auquel on prête des vertus médicinales. Le marché est si juteux que le pangolin est devenu l’une des espèces les plus recherchées par les trafiquants. La dégradation de son habitat est également un autre facteur de sa disparition.
En France, le sort des oiseaux nicheurs inquiète
Alors que l’état de conservation des espèces d’oiseaux nicheurs était déjà préoccupant, la situation continue de se détériorer. Un tiers des espèces est désormais menacé contre un quart en 2008. En 8 ans, la situation s’est aggravée pour 48 d’entre elles, portant à 92 le nombre d’espèces d’oiseaux nicheurs menacées d’extinction sur les 284 existantes en France. En cause, la dégradation de leur habitat : intensification des pratiques agricoles, régression des praires ou encore artificialisation des berges.
La pollution de l’eau est également l’une des menaces qui pèsent sur les populations de martins-pêcheurs d’Europe. Pourtant, selon le communiqué de presse publié sur le site de l’UICN France le 28 septembre dernier, « différents exemples montrent que les actions de conservation menées sur le terrain et les avancées de la réglementation peuvent porter leurs fruits ». Il est notamment fait référence à l’interdiction progressive de la destruction de certaines espèces ainsi que le développement d’espaces protégés, permis par la loi sur la protection de la nature de 1976. Le Comité français de l’UICN et le Muséum national d’Histoire naturelle insistent sur la nécessité d’un renforcement de l’action publique et de la mobilisation des réseaux associatifs, déclarant que « ces constats doivent constituer des signaux d’alarme pour déclencher une amplification des actions et un renforcement des stratégies de conservation ».
II. Malgré quelques bonnes nouvelles
Ce bilan bien sombre pour la biodiversité laisse toutefois entrevoir quelques éclaircies.
Une avancée dans la conservation du panda géant
Classé en danger d’extinction depuis 1990, le panda géant descend d’un palier et devient « vulnérable ». Leur déclin a cessé et l’on observe désormais une augmentation de la population : on compte aujourd’hui environ 2 060 individus (dont 1 864 adultes). Cette amélioration est le fruit d’une importante politique de conservation de l’espèce mise en œuvre par la Chine : préservation et reboisement des forêts de bambous, développement des réserves naturelles mais aussi sensibilisation de la population locale et lutte contre le braconnage. S’il faut donc saluer cette belle avancée, les pronostics ne permettent malheureusement pas de crier victoire. Les scientifiques prévoient en effet une disparition de plus 35 % des forêts de bambous dans les 80 années qui suivent en raison du réchauffement climatique. Les efforts de conservation doivent donc impérativement perdurer si l’on ne veut pas voir le panda disparaître.
L’antilope du Tibet n’est plus « en danger » d’extinction
Chassée pendant très longtemps pour son duvet utilisé pour le tissage de châles de luxe, l’antilope du Tibet était classée dans la catégorie « en danger » depuis 2000. Grâce à une réelle politique de protection de l’espèce, la taille de sa population a considérablement augmenté voire doublé en une vingtaine d’années. Mais l’antilope que l’on nomme également « Chiru » ou « Tchirou » n’est pas sauvée pour autant : elle reste encore « quasi menacée » d’extinction. Un haut niveau de protection devra donc être maintenu, à la fois dans son milieu naturel mais aussi par un contrôle effectif sur la fabrication et le commerce de châles. Le moindre relâchement dans ce travail de préservation entraînerait en effet un déclin rapide de sa population.
Parmi ces avancées, notons également celle du rat architecte qui passe de la catégorie « vulnérable » à celle de « quasi menacée ». Malgré ces belles victoires en matière de conservation, la liste des espèces menacées ne cesse de se rallonger, et beaucoup ne font pas encore l’objet d’une évaluation. Un nouvel engagement a ainsi été pris le 3 septembre dernier : l’UICN, sa Commission de la sauvegarde des espèces et neuf institutions partenaires de la Liste rouge « vont engager conjointement plus de 10 millions de dollars au cours de cinq années à venir afin de mettre en œuvre un ambitieux plan stratégique visant à doubler le nombre d’espèces évaluées par la Liste rouge de l’UICN » (1).
Article publié dans le numéro 91 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.
(1) Voir le communiqué de presse de l’UICN international sur la Liste rouge mondiale de septembre 2016