sous la direction de Yolaine de la Bigne, Larousse, Paris, 2018
Cet ouvrage est le résultat écrit d’une « Université d’été de l’animal », créée à l’initiative de Yolaine de la Bigne au Château de la Bourbansais en Normandie, et qui a rassemblé plusieurs des grands spécialistes de l’intelligence animale. Car, comme le remarque, avec humour, dans sa préface, Pascal Picq, « les animaux ne sont pas ancrés dans leurs instincts, sinon, ils ne pourraient pas s’adapter » (p. 7), alors que les êtres humains, eux « restent bloqués dans leurs ontologies dualistes et leurs phobies » (pp 7-8).
On ne sera pas surpris de trouver, comme premier article, un exposé de Sabrina et Jean-Michel Krief sur les grands singes. Ces auteurs se sont fait une spécialité et une réputation internationale des « singes médecins » et des techniques ou des plantes qu’ils utilisent pour se soigner. Le présent article lance un cri d’alarme, car les grands singes sont grandement menacés « par la perte de leur habitat, donc la déforestation, bien sûr, mais aussi une simple fragmentation de cet habitat qui empêche les flux et les déplacements des individus » (p. 18). Bourré d’exemples précis et vécus, le propos nous fait assister à une rencontre avec des chimpanzés orphelins et nous fait entrer « dans l’intimité des chimpanzés sauvages » (p. 26), avant d’aborder la manière dont ils se soignent, y compris par l’utilisation de plantes qui agissent contre le paludisme. L’exposé se termine sur l’adaptation des chimpanzés aux nouvelles structures sociales humaines. La déforestation pousse les animaux vers les zones d’habitation humaines où ils tentent de survivre en pillant les cultures, comme les plantations de maïs. Comme celles-ci sont bourrées de pesticides, il s’ensuit des pathologies nouvelles, notamment liées à la gestation, chez les grands singes : « Une des femelles, Kyara, […] est affligée d’un bec-de-lièvre, […] le premier cas référencé chez les chimpanzés » (p. 48). De telles alertes montrent le lien qui unit, notamment face aux pollutions, la survie des chimpanzés au respect de la nature et à la survie même de notre propre espèce.
Pierre Jouventin nous relate l’une de ses spécialités : les différences et les ressemblances entre le chien et le loup, « deux cousins » (p. 55) : « On comprend que [la] convergence d’intérêt pour la chasse ait rapproché l’homme et le loup bien longtemps avant l’agriculture et l’élevage » (p. 74). Pour le loup, l’auteur s’appuie notamment sur son livre devenu célèbre Kamala, une louve dans ma famille (Flammarion, 2012) : « Un loup est beaucoup plus vif, beaucoup plus agressif, beaucoup plus dangereux, beaucoup plus déterminé, mais aussi beaucoup plus affectueux » (p. 82). Christine Rollard décrit les aptitudes extraordinaires du comportement des araignées, dans leur extrême diversité (plusieurs milliers d’espèces). Elle parvient à réhabiliter, à juste titre, ce groupe mal jugé, mal aimé et pourtant particulièrement utile à la biosphère. Anne-Claire Gagnon, vétérinaire comportementaliste spécialisée dans le comportement félin, reconnaît d’abord, sur un plan métaphorique, qu’« il faut de la poésie, le meilleur moyen d’ouvrir les cœurs pour accéder au rêve de tout propriétaire de chats, les entendre parler notre langage » (p. 137). Mais au-delà de la poésie, il faut aussi beaucoup de connaissances et d’observation pour découvrir, chez les chats, la palette très étendue des sens, l’intelligence déductive (« des tests ont permis de […] classer [les chats] au stade 5B sur l’échelle de Piaget, comme un enfant de 8 ans. Ce qui n’est pas rien », pp 140-141), ou la compassion que les chats peuvent manifester entre eux. Quant aux travaux de laboratoire, ils nous apprennent que les bruits familiers et rassurants sont plutôt traités par l’hémisphère cérébral gauche de nos félins favoris, alors que « les stimuli négatifs […] activent les circuits de la peur, de l’agression dans le cerveau droit » (p. 155).
Chris Herzfeld, philosophe et historienne des sciences, est une spécialiste mondialement reconnue des grands singes, auxquels elle a consacré de nombreux travaux et ouvrages (voir par exemple : Petite histoire des grands singes, Seuil, 2012). Elle nous présente ici la vie de « cinq chimpanzés en famille », pris dans leur vécu existentiel de personnes à part entière, « cinq femelles chimpanzés élevées par des parents d’adoption humains entre 1930 et 1977. Quatre vécurent aux États-Unis, une seule résida en France » (p. 168). Les « différentes scènes montrent combien le chimpanzé a de talent pour imiter ceux qui l’entourent […] [pour] s’approprier divers comportements humains » (p. 171), bref pour s’adapter, ce qui est le signe d’une intelligence supérieure, indépendamment même de tests scientifiques plus pointus, comme la reconnaissance dans un miroir (que les chimpanzés maîtrisent parfaitement) ou l’apprentissage de la langue des signes par certains chimpanzés (comme l’une des protagonistes du chapitre). Les femelles chimpanzés se sont bien adaptées à la « vie » humaine, au point qu’un essai malheureux de réadaptation d’une d’entre elle à la vie sauvage se traduira, de manière dramatique, par une dépression et finalement la mort dans la jungle, dans des conditions restées obscures. « Elle ne cessait de réclamer, par signes, tout ce qui [avait] composé son quotidien depuis sa plus tendre enfance : lit douillet, salle de bains, repas à table, sodas, magazines, télévision et gâteaux d’anniversaire » (p. 189). Enfin, pour clore l’ouvrage, l’océanographe biologiste Bernard Séret réhabilite des animaux mal aimés et mal traités par l’homme, les requins, dont l’intelligence est beaucoup plus grande que ce que l’on avait longtemps cru. « Les requins existent partout ou presque et ils ont aussi une très large distribution bathymétrique entre la surface et 4 000 mètres de profondeur » (p. 203). Contrairement à ce qu’on croit, beaucoup sont sociables. Ce sont des stratèges de la chasse, du camouflage et de l’orientation en mer. Ils communiquent entre eux, sont capables d’apprentissages, voire d’anticipation des cyclones en repérant la chute barométrique !
Voici donc quelques facettes, assez fascinantes, de l’intelligence animale, parmi de nombreuses autres possibles et qui pourront constituer les thèmes des « Universités d’été de l’animal » des années à venir.
Article publié dans le numéro 99 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.