Élisabeth Hardouin-Fugier, Alma, 478 pages (34€)
Faut-il tuer les animaux « sur le coup » ou bien les saigner lentement ? Et comment s’y prendre ? C’est ce qu’Élisabeth Hardouin-Fugier s’attache à définir dans cet ouvrage, en retraçant l’histoire de l’abattage à travers différentes cultures et époques.
Comme son sous-titre l’indique, cet ouvrage retrace l’histoire de l’abattage animal. Il le fait de manière très documentée et précise.
En effet, l’ouvrage est intéressant à plusieurs égards. D’abord il montre que le questionnement sur « comment abattre un animal ? » a assez peu changé au fil de l’histoire, mais que ce sont plutôt les techniques de sacrifices, de mises à mort et d’abattages qui ont évolué et ont été repensées en fonction des cultures et des contextes. Ensuite, l’étude des différents cultes et cultures au fil des siècles révèle les nombreuses manières de considérer les animaux à abattre et les raisons pour lesquelles ils sont abattus. Enfin, l’ouvrage met l’accent sur le fait que la période actuelle, plus évoluée en tous points que toutes celles qui ont précédées, se pose les mêmes questions que sous l’Antiquité sans forcément trouver de réponses appropriées sur le plan éthique malgré un apparat technique, philosophique, scientifique, juridique bien plus développé que jadis.
Que l’on passe par les formes plurielles de « médiations » sacrées ou divines, par les sacrifices pour les dieux ou pour un dieu, ou bien par une chaîne d’abattage opératoire et relevant de la technologie de la plus primitive à la plus sophistiquée, la question qui traverse les siècles est : faut-il tuer les animaux « sur le coup » ou bien les saigner lentement ? Et comment s’y prendre ? C’est ce qu’Élisabeth Hardouin-Fugier s’attache à définir en creusant les cultures de l’Égypte antique en passant par la Grèce ou le développement des monothéismes juifs et musulmans où les abattages rituels kasher et halal restent de mise aujourd’hui encore. Avec le christianisme, dont le Dieu amour met fin aux sacrifices humains et animaliers pour passer à une approche liturgique symbolique, le sacrifice animal n’est plus dans l’air du temps, mais la consommation des animaux ne disparaît pas pour autant, ce qui maintient la problématique de la manière de tuer les animaux dans les contextes urbains, économiques, religieux et laïcs.
Les temps dits modernes connaissent l’évolution de l’industrialisation de la société, des élevages et des mises à mort des animaux : se posent alors de nouvelles questions autour de l’hygiène, de la santé publique, de l’éthique, émergent également, sur le plan philosophique, technologique, juridique, sociétal et donc politique les grandes questions de la souffrance animale et de la maltraitance au sein d’abattoirs, cachés aux yeux des consommateurs de chaire animale, où les cadences sont devenues effrénées, générant une escalade de scandales et dérapages.
Durant une longue période qui va du XVIIIe siècle à aujourd’hui, l’ignorance sur les mises à mort a régné, par méconnaissance scientifique et pour éviter de réveiller les différentes formes de « sensibleries » des gens des villes. Aux XXe et XXIe siècles, avec d’un côté l’apparition du pistolet industriel, l’utilisation de l’électronarcose, de la mise à mort par perforation de la boîte crânienne, et de l’autre le maintien du couteau rituel pour des mises à mort traditionnelles et cultuelles via dérogation juridique, le débat se déplace pour la première fois vers de nouvelles approches, qui mettent en relation aussi bien les scientifiques, les politiques, les juristes que le grand public qui s’investit dans des associations de terrain engagées pour faire cesser des pratiques considérées d’un autre temps.
L’ouvrage dresse un tableau très précis d’une évolution qui va de la préhistoire aux « joyeux lundis sans viande de Tel Aviv », écrit dans un style agréable et pourtant érudit. La formation de l’auteure en Histoire de l’art est très appréciable, elle permet d’accompagner et d’aérer agréablement ce texte très fourni d’une somme de photos et d’illustrations en couleurs et en noir et blanc qui passent par les symboles animaliers depuis les mythologies les plus anciennes aux mosaïques et codex antiques et médiévaux, ou encore aux tableaux de peintres comme Rembrandt ou Franz Marc. L’auteure avait déjà rédigé un ouvrage sur l’Histoire de la corrida, avec ce nouveau livre, elle confirme son intérêt pour la question de la mise à mort des animaux dans l’histoire.
En somme, voici un excellent ouvrage que toute bonne bibliothèque doit posséder pour se rappeler que l’histoire commune des humains et des animaux n’est pas un long fleuve tranquille, et que bien des progrès restent à accomplir pour diminuer, voire supprimer toutes les formes de souffrance animale. Cet ouvrage pourra aussi contribuer à informer les décideurs sur les pratiques d’hier et d’aujourd’hui, et ce n’est pas là la moindre de ses qualités.
Astrid Guillaume
Article publié dans le numéro 101 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences