Le vaisseau spatial « Planète Terre » est actuellement le théâtre d’un désastre biologique majeur caractérisé par la disparition de très nombreuses espèces animales à un rythme accéléré ; celle-ci conduit à considérer cet évènement comme la 6ème extinction de masse marquant l’histoire de la Terre. Les données quantitatives précises concernant l’ampleur du phénomène sont très difficiles à établir du fait même que l’inventaire exhaustif des espèces présentes sur la Terre n’existe pas ; en effet nombre d’entre elles restent à découvrir dont certaines sont d’ailleurs découvertes chaque jour, ou bien elles disparaissent avant de l’avoir été.
En ce qui concerne les espèces menacées, les données numériques figurant dans la Liste Rouge publiée en novembre 2014 par L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) donnent des ordres de grandeur (1). Depuis les années 1500, on évalue un total de 765 espèces éteintes se répartissant ainsi : Mammifères, 79 ; Oiseaux, 145 ; Amphibiens, 36 ; autres, 505 (pour les Poissons Reptiles et Insectes, les nombres respectifs n’ont pas été établis de manière satisfaisante). Par rapport au nombre d’espèces répertoriées le nombre des espèces menacées représente un pourcentage qui est indiqué en second lieu : Mammifères, 1999 (26 %) ; Oiseaux, 1373 (13) ; Amphibiens, 1957 (41) ; Insectes, 993 (seulement 0.5 pourcent du million décrit a été évalué ; on considère que le nombre des espèces d’insectes vivantes excéderait 5 millions !…). Selon leur type, les principales menaces se répartiraient ainsi : l’exploitation directe, 37 % ; la dégradation des habitats, 31 % ; la destruction des habitats, 13 % ; l’action des espèces invasives, 5 % ; la pollution, 4 % ; les maladies, 2 %. Les nombres qui correspondent aux différents groupes zoologiques sont éloquents mais ils masquent le fait que chacune de leurs espèces qui est menacée est insérée dans un écosystème particulier de telle sorte que « sauver » une espèce implique au préalable une connaissance approfondie de celui-ci afin d’identifier précisément la nature de la menace. Cette menace peut être directe, relativement facile à déceler, ou bien très indirecte comme l’illustre la disparition des papillons azurés (2) dont le cycle vital dépend spécifiquement des colonies de fourmis elles-mêmes tributaires spécifiquement de la présence de certaines plantes sauvages, notamment dans les zones humides elles-mêmes menacées d’assèchements opportunistes.
Des cas particuliers de protection ciblée ont prouvé leur efficacité, au bénéfice par exemple de certaines espèces de rapaces (3). Mais souvent ce sont des mesures de protection collective qui se traduisent par la création de zones terrestre ou marines « sanctuarisées » tels que des Parcs nationaux ou bien d’autres zones de surfaces plus restreintes identifiées Natura 2000. Ces espaces de protection collective de faunes et de flores possèdent l’intérêt de protéger des écosystèmes et de permettre de les étudier sur le « temps long ».
Cependant, nous évoquerons prochainement ici les menaces qui pèsent sur les sanctuaires eux-mêmes au nom d’impératifs économiques. En effet, certains d’entre eux ont acquis dans l’actualité un potentiel économique qu’ils n’avaient pas au moment de leur création et que l’on cherche à concrétiser, au risque qu’ils ne soient plus du tout des sanctuaires et deviennent à leur tour des sources de menaces.
Deux exemples de travaux destinés à mettre en œuvre des protections ciblées vont être exposés. Les recherches ont la singularité de faire appel aux progrès technologiques spectaculaires obtenus dans le cadre de la génomique pour l’un et de la physiologie de la reproduction pour l’autre.
Le premier exemple concerne le guépard Acinonyx jubatus considéré comme une espèce en voie d’extinction. L’étude approfondie de son génome (4) a été réalisée par la coopération de 35 auteurs dans les 26 instituts, centres de recherche et laboratoires répartis dans 11 États. Les génomes de 7 individus, 4 originaires de Namibie et 3 de Tanzanie ont été analysés. L’un des points majeurs à retenir est la très faible variabilité génétique de ces individus lorsqu’on la compare à celle existant chez d’autres espèces comme le chat domestique, le lion, le tigre ou le chien. Cette faible variabilité se retrouve aussi au niveau des complexes majeurs d’histocompatibilité (MHC) qui commandent la reconnaissance du soi. Ceci expliquerait l’observation ancienne de la tolérance de greffes de peaux effectuées entre des individus non apparentés. Une autre observation importante concerne le gène APAK₄, impliqué chez les mammifères dans la spermatogénèse. Il est ici porteur de très nombreuses mutations ; or 80 % des spermatozoïdes du guépard présentent des anomalies, expliquant la faible fécondité de l’animal en captivité. En plus de ces informations génomiques actuelles, l’analyse du génome fournit des informations précieuses sur l’histoire de l’espèce. Originaire du continent Américain (d’où elle a disparue), l’espèce a gagné l’Asie puis l’Afrique en franchissant il y a environ 100 000 ans la région de Détroit de Bering, alors « à sec ». Cet évènement aurait conduit à une forte réduction de la population en déplacement et par là même à un certain degré de consanguinité. Cette première réduction de la population aurait été suivie d’une seconde, il y a environ douze mille ans affectant les guépards Africains.
Sur la base de la connaissance du génome du guépard, les différentes organisations responsables de la conservation du guépard devront en priorité veiller à ne pas accentuer, mais plutôt à réduire, le handicap de la consanguinité déjà survenue « naturellement » dans le passé. Cela implique la mise en œuvre de programmes de reproduction de géniteurs captifs et, en ce qui concerne ceux à l’état sauvage, veiller à ce qu’ils ne soient pas confinés, en faibles effectifs, dans des enclaves dispersées et aussi organiser une lutte efficace contre les braconniers ou les éleveurs soucieux de protéger leurs troupeaux.
Le second exemple concerne l’utilisation combiné d’une fécondation in vitro et d’une gestation subséquente assurée par une mère porteuse autre que la mère « biologique » donneuse d’ovules. Mise au point initialement chez la souris, la technique a été transposée à l’espèce humaine avec succès et des débats éthiques que l’on sait. Transposé également chez les animaux de rente, voire de compagnie, elle a été préconisée pour assurer la sauvegarde d’espèces menacées et de façon récurrente (5). Ainsi, un reportage réalisé dans le parc zoologique de la Haute-Touche dans l’Indre où « des chercheurs utilisent cette technique de procréation assistée pour sauver des espèces de cervidés en voie d’extinction dans la nature », fait état des multiples obstacles qui jalonnent la mise en œuvre du projet. Il convient donc de rappeler ce qui a été exposé ici il y a bientôt dix ans (7). Les procédures expérimentales sont lourdes à mettre en œuvre et il faut disposer d’un nombre suffisant d’individus pour produire des embryons et ensuite assurer leur gestation.
La fécondation in vitro nécessite l’obtention de spermatozoïdes et d’ovules fonctionnels aptes à réaliser la fécondation dans des milieux de culture adéquats élaborés au laboratoire, et à élever les embryons obtenus jusqu’au stade dit du blastocyste. Alors capables de s’implanter dans la muqueuse utérine, les blastocystes sont transférés dans l’utérus d’une femelle porteuse. Pour que l’implantation réussisse, il convient que l’utérus soit lui-même réceptif. Dans les conditions naturelles et « banales » de la reproduction, la préparation synchrone des partenaires assure le succès de l’implantation. Celle-ci est beaucoup plus aléatoire quand on a mis en œuvre la fécondation in vitro et a fortiori quand l’embryon obtenu in vitro est d’une espèce différente de celle de la femelle porteuse, chaque espèce présentant des contraintes hormonales et chronologiques singulières qui doivent impérativement être identifiés par les expérimentateurs. L’objectif est d’obtenir des nouveau-nés viables (nourris par la mère porteuse ? ou bien artificiellement ?) à partir d’embryons issus de la fécondation in vitro dont le nombre dépend du nombre d’ovocytes provenant de l’espèce à sauver. Pour obtenir un nombre plus ou moins important d’ovocytes, supérieur à celui d’une ovulation naturelle spontanée, il faudra provoquer une superovulation par stimulation hormonale, au risque de détraquer, voire stériliser les ovaires de la femelle utilisée (or il s’agit d’un rare exemplaire d’une espèce à sauvegarder…).
Un sauvetage authentique de l’espèce nécessite impérativement d’obtenir par cette technique un nombre important d’individus des deux sexes aux patrimoines génétiques aussi divers que possible ; il est donc indispensable que les géniteurs initiaux producteurs des spermatozoïdes et des ovocytes ne soient pas apparentés.
Tout récemment (8) la présentation d’un projet de sauvetage, par cette technique, du rhinocéros blanc du Nord (Ceratotherium simum cottoni) dont il ne reste plus qu’un mâle (ayant un faible taux de spermatozoïdes) et deux femelles (dont une est sa fille) apparaît plutôt farfelue et surtout déplacée en raison du coût du projet, évalué à plusieurs millions de dollars et en regard du braconnage intense dont sont victimes les populations de rhinocéros, au rythme de 500 à 1000 individus par an, en raison des prétendues vertus aphrodisiaques de leur corne. N’y aurait-il pas des mesures de conservations plus pertinentes que celle-ci qui à l’évidence est (hélas !) condamnée à l’échec si elle devait être tentée ? Bien sûr il est frustrant de constater cette disparition mais combien d’autres ont-elles lieu que nous ignorons ?
Le dernier exemple cité me semble illustrer des combats d’arrière-garde dans la lutte contre l’extinction de masse, en quelque sorte des tentatives d’une correction des effets, nos chances de réussite dans cette lutte reposent sur l’analyse méthodique des causes de chacune extinctions afin de tenter d’y remédier.
Alain Collenot
(1) Monastreky R. (2014). Life – a status report. Nature, 516, 159-161.
(2) Bulletin de la LFDA, n ° 60 Janvier 2009.
(3) Une souscription pour le circaète Jean-Le-Blanc. Le Courrier de la Nature, n ° 281, Mars-Avril 2014, p. 8.
(4) Dobrynin P. et al. (2015). Genomic legacy of the African cheetah. Acinonyx jubatus. Genome Biology, n ° 16, 277.
(5) Bulletins de la LFDA n os 36, avril 2002; 40, juillet 2003, 43, avril 2004.
(6) Vahé Ter Minassian. Un zoo de mères porteuses. Le Monde, 25 novembre 2015.
(7) Bulletin de la LFDA n ° 52, janvier 2007.
(8) Callaway E. (2016) Geneticists aim to save rare rhino. Nature, 533, 20-21.
Article publié dans le numéro 90 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.