Dans le domaine de l’enseignement, la majorité des animaux est exploitée à des fins de dissection. L’utilisation de la grenouille dans ce cadre est courante depuis plusieurs décennies. Malgré une législation chaotique, rythmée par des autorisations succédant à des interdictions, et inversement, l’utilisation des animaux dans l’enseignement et la formation ne diminue pas.
Une législation fournie
Dès 1810, avec l’entrée en vigueur de l’ancien code pénal, l’article 454 régit l’expérimentation sur les animaux, complété par l’article 276 du code rural de 1955. Cette législation interdisait déjà la pratique de l’expérimentation animale sans autorisation préalable et condamnait les mauvais traitements envers les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité, limitant les expérimentations « aux cas de stricte nécessité ».
Le 9 février 1968, intervient un décret fixant les modalités de la réalisation de l’expérimentation sur les animaux vivants. Ce décret imprécis concernant l’enseignement laisse place à des interprétations divergentes entre les défenseurs de la dissection animale et ses opposants. Trois ans plus tard, un « jeu » pour enfant appelé kit de biologie fait polémique. Justifié par la passion des enfants pour la science, il était constitué d’une boîte contenant une grenouille ou une cigale morte, qu’il fallait disséquer. Le responsable marketing de la marque, n’y voyant rien de choquant, a affirmé utiliser entre 50 000 et 100 000 grenouilles par an pour le jeu.
Finalement, un décret du 19 octobre 1987 relatif aux expériences pratiquées sur les animaux vertébrés vient mettre un terme aux multiples interprétations et pose les conditions pour qu’une expérience traumatisante sur des animaux vertébrés vivants soit licite :
- Elle doit revêtir un caractère de nécessité.
- Elle ne doit pas pouvoir être remplacée par d’autres méthodes expérimentales.
- Lorsqu’elle est pratiquée à des fins pédagogiques, elle ne peut l’être que dans l’enseignement supérieur ou les formations professionnelles aux métiers comportant la réalisation d’expériences sur des animaux ou le traitement et l’entretien d’animaux.
Vingt-trois ans plus tard, la directive européenne du 22 septembre 2010 établit des mesures pour la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques ou éducatives. Son article 5 intitulé « Finalités des procédures » dispose que « Seules sont admises les procédures qui ont pour objet : […] f) L’enseignement supérieur ou la formation en vue de l’acquisition, de l’entretien ou de l’amélioration de compétences professionnelles ». Dès lors, si l’on procède à une interprétation à contrario, ne sont normalement plus admises les procédures d’expérimentation animale dans l’enseignement secondaire. Cependant, la directive n’interdit pas clairement cette pratique et son interprétation laisse la possibilité aux professeurs de proposer cet exercice aux collégiens et lycéens.
La directive définit également la règle des « 3R » : remplacement, réduction, raffinement. L’idée est que l’utilisation d’animaux pour l’expérimentation ne doit être effectuée qu’après s’être assuré qu’aucune méthode alternative ne peut être employée, que le nombre d’animaux utilisés est réduit au minimum permettant d’atteindre les objectifs fixés, et qu’elle soit effectuée de manière à engendrer le moins de douleur et de stress possible, en améliorant les conditions d’hébergement et d’expérimentation, et en respectant les besoins vitaux et sociaux des animaux. L’Organisation Mondiale de la Santé Animale (OIE) admet que la plupart des scientifiques et l’opinion publique conviennent que l’utilisation d’animaux ne doit s’effectuer que si elle revêt un caractère de nécessité et doit se justifier d’un point de vue éthique (Code terrestre – Chapitre 7.8).
Le décret du 1er février 2013 est venu transposer la directive européenne de 2010 en droit français, ajoutant une section 6 dans le code rural et de la pêche maritime, intitulée « utilisation d’animaux vivants à des fins scientifiques » au sein du chapitre relatif à la protection des animaux. L’article R214-105 de cette section rappelle notamment la règle concernant la finalité de l’expérimentation animale imposée par la directive. À savoir : dans le cadre de l’enseignement, elle ne peut être pratiquée que dans l’enseignement supérieur ou la formation professionnelle. L’article rappelle également l’obligation de « respecter les principes de remplacement, de réduction et de raffinement ».
Mais les choses deviennent tumultueuses à partir de 2014. Suivant la logique de l’Union européenne, une circulaire de la ministre de l’Éducation nationale du 28 novembre 2014 interdit la dissection animale dans l’enseignement secondaire, s’appuyant sur la directive 2010 et le décret de 2013. Le syndicat national des enseignements du second degré, saisit par les enseignants, demande alors à la ministre d’abroger sa circulaire. Celle-ci refuse le 8 avril 2015. Cette décision de refus est finalement abrogée par le Conseil d’État le 6 avril 2016, à la suite d’une saisine par le syndicat. La juridiction estime qu’aucune disposition du code rural et de la pêche maritime « ne fait obstacle à l’élevage d’animaux vertébrés, à leur mise à mort et à l’utilisation de leurs tissus et organes lorsque cette utilisation est destinée à l’enseignement scientifique dans les classes du secondaire » et que la ministre de l’Éducation « ne pouvait, sans en faire une interprétation erronée, se prévaloir des dispositions de la directive du 22 septembre 2010 et du décret du 1er février 2013, pour interdire, par voie de circulaire, dans les établissements du secondaire, les travaux pratiques […] réalisés sur des vertébrés […] mis à mort » (voir « Des souris et des normes », revue n° 90).
Finalement, le 25 juillet 2016, une nouvelle circulaire de la ministre Najat Vallaud-Belkacem, ne mentionnant aucune référence aux deux textes précités, interdit à nouveau la dissection dans l’enseignement secondaire. La circulaire précise que « plus généralement dans toutes les classes jusqu’au baccalauréat, des dissections ne peuvent être réalisées que : – sur des invertébrés, à l’exception des céphalopodes, – sur des vertébrés ou sur des produits issus de vertébrés faisant l’objet d’une commercialisation destinée à l’alimentation ». Ainsi, il n’est plus autorisé de procéder à des dissections d’animaux morts élevés à seule fin d’expériences scientifiques. Depuis, aucune nouvelle réglementation n’est intervenue sur le sujet.
Une pratique encore trop répandue en France
Malgré une réglementation interdisant la pratique de la dissection dans l’enseignement secondaire, force est de constater que l’enseignement supérieur et la formation professionnelle ne suivent pas la même orientation. L’utilisation des animaux dans ce cadre ne réduit pas. Pis encore, elle augmente chaque année.
La directive européenne du 22 septembre 2010, dans son article 54, impose aux États membres de collecter et de publier chaque année des informations statistiques sur l’utilisation d’animaux (vertébrés et céphalopodes) dans des procédures expérimentales. Ainsi, d’après les enquêtes statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, il est possible de comparer l’évolution de l’utilisation des animaux à des fins scientifiques en France. Par conséquent, on remarque une augmentation constante de l’utilisation des animaux dans la catégorie « enseignement supérieur et formation professionnelle ». Ainsi, 35 512 animaux ont été utilisés dans l’enseignement en 2017, contre 34 280 en 2016 et 25 908 en 2014. Les souris sont l’exemple de la progression la plus importante : 12 495 en 2014, 17 768 en 2016 et 19 754 en 2017. Dans un article publié par La Croix le 25 avril 2019, on apprend que pour l’année 2016, le Royaume-Uni a utilisé 1 438 animaux pour la formation, contre 34 280 en France. De ce constat, il appert que la France n’applique pas l’esprit de la réglementation issue de la directive européenne de 2010, qui reconnaît que les animaux ont « une valeur intrinsèque qui doit être respectée ».
Ainsi, alors que la dissection est une pratique fréquente dans certains pays comme la France, elle se révèle plutôt rare dans beaucoup d’autres, notamment dans l’Union européenne. Bien qu’ils possèdent un budget important en matière d’éducation, et qu’ils soient réputés pour la qualité de leur formation, peu d’animaux sont utilisés à cette fin. C’est le cas notamment des pays scandinaves. À titre d’exemple, en Suède ou en Norvège, la dissection est très peu pratiquée dans le cycle secondaire, et pourtant, le niveau scientifique dans ces pays se révèle être plus élevé qu’en France (2015). De grandes écoles de médecine aux États-Unis, tel que Harvard, Stanford ou encore Yale, ont également adopté un mode d’enseignement excluant l’expérimentation animale.
Dans certains pays, notamment les pays scandinaves, le droit à l’objection de conscience est particulièrement développé. Il consiste à refuser de réaliser une certaine pratique pour des raisons éthiques. Cette expression est née du refus de porter les armes lors du service militaire ou de tuer lors d’un conflit armé. Aujourd’hui, ce droit s’exprime également par le refus des étudiants d’expérimenter sur les animaux. Or, bien qu’il soit indirectement garanti par l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (1), ce droit à l’objection de conscience n’existe pas actuellement en France. Cependant, les choix éthiques des individus sont de plus en plus acceptés. Certains pays reconnaissent même légalement le droit à l’objection de conscience dans leur constitution, comme le Brésil ou l’Équateur (2).
Violine Jacquot
- Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Bayatyan c. Arménie (n° 23459/03), 7 juillet 2011.
- Publication des nations unies, L’objection de conscience au service militaire, p. 53 n° de vente : F.12.XIV.3.
Article publié dans le numéro 102 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences
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