En mai dernier, le Conseil d’Etat a refusé l’application d’un taux de TVA réduit à 5,5% à une société organisatrice de corridas pour sa billetterie, estimant que la tauromachie ne peut pas être considérée comme un spectacle vivant.
Depuis plus de quarante ans, la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) a mené de nombreuses actions contre la corrida. Parmi les plus marquantes, on peut citer le rapport intitulé « La tauromachie en France », publié en 1982, proposant notamment une interdiction clairement explicitée dans le code pénal d’organiser des corridas dans des communes nouvelles. De nombreuses procédures à l’encontre des organisateurs de corridas illégales ont été intentées par la Fondation, qui pour la plupart ont abouti à la condamnation des organisateurs. La LFDA a également publié en 2003, réédité en 2019, un dépliant « Découvrez la corrida », destiné à informer le public sur la réalité des sévices infligés aux taureaux qui a remporté un grand succès. Ce dépliant est toujours disponible. Elle est par ailleurs intervenue sur le sujet de la TVA à taux réduit pour la corrida il y a déjà presque 30 ans.
La corrida : un spectacle vivant ?
En France métropolitaine, quatre taux de TVA existent. Si la plupart des secteurs d’activité ne sont concernés que par un ou deux taux, la culture, quant à elle, applique les quatre. Dans ce domaine, le taux de TVA réduit de 5,5 % est strictement réservé aux spectacles vivants. La législation française considère comme « spectacle vivant » tout spectacle « produit ou diffusé par des personnes qui, en vue de la représentation en public d’une œuvre de l’esprit, s’assurent la présence physique d’au moins un artiste du spectacle percevant une rémunération ». Ainsi, d’après le site officiel de l’administration française, sont concernées uniquement les recettes perçues lors de représentations théâtrales, de spectacles de cirque ou encore de concerts. Dans une récente décision du 24 avril 2019, la plus haute juridiction de l’ordre administratif, le Conseil d’État, a estimé que la tauromachie ne pouvait se prévaloir d’une TVA à 5,5% au même titre que les spectacles vivants.
Dès 1991, la TVA applicable à la corrida était sujet de discorde. Les milieux tauromachiques revendiquaient d’ores et déjà l’application d’un taux réduit au nom de la « culture ». La LFDA et le Comité réformiste anticorrida (CRAC) furent, cette année-là, reçus en audience sur le sujet au cabinet du ministre de l’Économie et des Finances Pierre Bérégovoy et remirent un dossier financier et fiscal documenté. Le ministre fit alors savoir que la TVA serait appliquée à la corrida au taux général. Par la suite, en 2011, la corrida fut inscrite par le gouvernement de François Fillon à l’Inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France, alors même que les violences de la corrida sont exemptées de poursuite à titre dérogatoire (article 521-1 du code pénal punissant les sévices graves et actes de cruauté envers les animaux), reconnaissant implicitement le caractère cruel de cette activité. Les organisations de protection animale ont à ce moment-là vigoureusement protesté, tant en France qu’à l’étranger, et la LFDA fit parvenir au directeur général des Patrimoines du ministère et à ses collaborateurs des courriers qui resteront sans réponse. Voyant dans cette inscription la possibilité de faire reconnaître l’aspect culturel de la corrida par l’administration fiscale, Simon Casa Production, une société de production de spectacles tauromachiques de Nîmes, a de son propre chef, appliqué une TVA au taux réduit de 5,5% entre 2011 et 2014. La société en question demandait à l’administration de pouvoir bénéficier d’un sursis de paiement, conformément à la réglementation fiscale, pour l’imposition qu’ils contestaient, tout en bloquant sur un compte la somme correspondant à la différence de taux.
L’inscription de la corrida au patrimoine culturel immatériel de la France a finalement été abrogée par le Conseil d’État en juin 2015. Depuis, Simon Casa Production applique à nouveau une TVA à 20% sur sa billetterie. La somme des impayés s’élevant à plusieurs centaines de milliers d’euros a finalement été versée à l’État en novembre 2016, lorsque le recours de l’entreprise pour la décharge des rappels de TVA qui lui ont été réclamés fut rejeté par le tribunal administratif de Nîmes. Cette décision a par la suite été confirmée par la cour administrative d’appel de Marseille le 27 février 2018, estimant qu’il est impossible de « regarder ce spectacle tauromachique, eu égard à sa singularité, tenant notamment à ce qu’il se déroule dans des arènes autour du thème central de l’affrontement entre l’homme et le taureau, selon un rituel comportant en règle générale la mise à mort de ce dernier, ni comme étant au nombre des spectacles de variétés au sens de l’article 279 cité du code général des impôts, ni comme pouvant être assimilée aux spectacles de cirque« . Enfin, le Conseil d’État est venu confirmer les deux précédentes décisions ce 24 avril 2019, en rejetant également la demande de Simon Casa Production. Il estime, en effet, que la corrida ne peut pas être considérée comme un spectacle vivant, et ne peut donc se prévaloir d’une TVA au taux réduit de 5,5%.
Cependant, le combat n’est peut-être pas terminé. La société de production a, en effet, annoncé étudier la possibilité d’un recours au niveau européen. D’ici là, la législation française s’applique, ne permettant pas aux organisateurs de corridas de bénéficier d’un taux de TVA réduit.
Violine Jacquot
Article publié dans le numéro 102 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences