Les mesures de protection contre les grands prédateurs: quelles aides pour quelle efficacité?

Les éléments en couleur correspondent à une mise à jour non-exhaustive de l’article, prenant en compte le nouveau dispositif d’indemnisation des éleveurs confrontés à la prédation récemment annoncé par les ministères de l’Agriculture et de l’Environnement.

I. Les aides financières à la protection des troupeaux contre le risque de prédation
II. Le dispositif d’aide à la protection des troupeaux
III. Un dispositif encore insuffisamment mis en œuvre
IV. Un dispositif de protection globalement efficace
V. Les axes d’amélioration

I. Les aides financières à la protection des troupeaux contre le risque de prédation

Les dispositifs permettant aux éleveurs français de bénéficier d’aides à la mise en place de mesures de protection de leurs troupeaux contre le risque de prédation résultent essentiellement de la stratégie mise en place par l’Union européenne (UE).

Soutien de l’UE à la politique de développement rural

Dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie européenne « Europe 2020 » adoptée en 2010, l’Union européenne soutient la politique de développement rural de ses États membres. Ainsi, le règlement de développement rural n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 prévoit une série de mesures d’aides visant à encourager le développement rural des États membres parmi lesquelles on peut notamment retrouver celles destinées à soutenir les activités pastorales. Ces aides proviennent du second pilier de la PAC, le FEADER (Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural). Avec un budget de 100 milliards d’euros, FEADER 2014/2020 finance l’ensemble des mesures visant à contribuer au développement des territoires ruraux, d’un secteur agricole plus équilibré, plus respectueux des écosystèmes, plus résilient face au changement climatique, et enfin plus compétitif et plus innovant.

Au titre de l’objectif de préservation de l’activité agropastorale, le FEADER subventionne donc les mesures visant à réduire le risque de dommages causés aux troupeaux par les grands carnivores. En finançant également la mise en place d’actions de sensibilisation, de formation et de communication pour faciliter la cohabitation entre l’humain et les grands prédateurs, le FEADER participe au soutien de la politique internationale de protection des espèces.

L’origine des fonds des aides à la protection des troupeaux

Les aides financières à la protection des troupeaux contre la prédation accordées aux éleveurs sont cofinancées par l’État (ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation) et l’Europe via le FEADER 2014/2020. La subvention comprend une part de FEADER mobilisée en contrepartie du versement d’une somme par un financier national (État, Région ou autre Collectivité) : les fonds FEADER s’élèvent à 53 % et le reste est constitué de fonds du ministère.

La déclinaison des mesures FEADER en France

En France, les mesures de programmation FEADER sont déclinées à travers les programmes de développement ruraux régionaux (PDRR). Afin de prendre en compte les besoins spécifiques à couvrir pour chaque territoire, les PDRR sont établis par chaque région de France, en concertation avec les acteurs locaux.

En raison de la nécessité de préserver l’activité agropastorale et agricole essentielle au maintien de l’équilibre de ces territoires ruraux, il n’est pas laissé le choix aux régions s’agissant de la question de la protection des troupeaux. Ainsi, ces dernières doivent se conformer au Cadre National de partenariat État/Régions et prévoir la possibilité de bénéficier d’aides à la protection des troupeaux dans tous les PDRR des régions de France susceptibles d’être concernées par le risque de prédation.

Afin de compenser les surcoûts, les PDRR prévoient donc la possibilité pour les éleveurs de bénéficier d’un financement. Les éleveurs peuvent obtenir une subvention en vue de la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures matérielles (ex : chiens, clôtures, etc.) et immatérielles (études de vulnérabilité). En pratique, la mise en œuvre de ces mesures est assurée par les Opérations de protection de l’environnement dans les espaces ruraux (OPEDER) dont les caractéristiques et les règles de détermination des territoires sur lesquels elles peuvent être mises en œuvre sont arrêtées par le ministre chargé de l’agriculture.

A ainsi été créée l’OPEDER portant sur la protection des troupeaux ovins et caprins contre la prédation exercée par le loup et l’ours. Aucune disposition n’est a priori prévue pour la protection des troupeaux de bovins. Par ailleurs, les informations mises à disposition à ce jour semblent démontrer que les éleveurs français ne peuvent pas bénéficier des aides financières à la mise en place de mesures de protection du troupeau contre la prédation exercée par le lynx (1). Pourtant les éleveurs sont indemnisés des préjudices causés par ce félin dans le Jura.

Les autres dispositifs d’aide à la protection des troupeaux

Outre le dispositif d’aide résultant du FEADER, il convient de souligner que des moyens de protection des troupeaux (financement du matériel pour les parcs de regroupement électrifié, étude de vulnérabilité, acquisition de matériel d’effarouchement) sont également subventionnés par des crédits d’État délégués en urgence par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation en cas de situations de crise. Mobilisables principalement dans les zones non concernées par les dispositifs de protection, les crédits d’urgence constituent un financement de mesures de protection totalement distinct de celui du FEADER.

Par ailleurs, les éleveurs peuvent bénéficier gratuitement d’aides à la protection de leurs troupeaux via l’action de certaines associations. Ainsi, la Pastorale Pyrénéenne, association subventionnée par le ministère de la Transition écologique et solidaire au service des professionnels du pastoralisme exerçant sur l’ensemble du massif pyrénéen, offre la possibilité aux éleveurs (adhérents et non adhérents) de bénéficier gratuitement de moyens de protection contre la prédation de l’ours, notamment via son réseau technique « chiens de protection » et son Réseau Berger d’Appui (RBA).

L’équipe de bergers « mobiles » mise à disposition par l’association permet également aux éleveurs de bénéficier d’un appui technique de la part de bergers, d’une surveillance nocturne ou encore de visites d’estive (surveillance nocturne de nuit en cas de fortes attaques, aide au montage de parcs de nuit électrifiés, appui à des bergers nouveaux sur une estive pour accompagner les premiers pas). 

II. Le dispositif d’aide à la protection des troupeaux

Des mesures bien définies de protection des troupeaux ouvrant droit à subvention

Il n’est pas laissé aux éleveurs le loisir d’innover dans le choix des mesures de lutte contre la prédation à mettre en place pour bénéficier d’une aide financière. En effet, seuls des moyens strictement définis par le Cadre national et les PDRR sont subventionnés par le FEADER. Ces derniers sont d’ailleurs identiques, que la prédation soit d’origine ursine ou lupine. Les options de protection des troupeaux ouvrant droit à subvention sont les suivantes :

  • gardiennage ou surveillance renforcée,
  • chiens de protection des troupeaux,
  • investissements matériels (parcs de regroupement électriques mobiles, parcs de pâturages électrifiés fixes),
  • investissements immatériels (analyses de vulnérabilité du territoire visant notamment à identifier les moyens à mettre en œuvre pour prévenir et réduire les risques de prédation et accompagnement technique).

Les conditions pour bénéficier des aides à la protection des troupeaux.

Toute personne ne peut pas forcément bénéficier des aides à la protection des troupeaux au titre du dispositif FEADER. Le troupeau doit notamment pâturer pendant au moins 30 jours dans une région de France subissant la pression de la prédation. En effet, les aides à la protection des troupeaux FEADER sont mobilisables uniquement lorsque les éleveurs conduisent leurs troupeaux dans les cercles 1 et 2. Ces cercles sont délimités par arrêté préfectoral pris chaque année avant le 28 février sur la base des données des dommages aux troupeaux constatés dans le cadre de l’instruction des dossiers d’indemnisation de dégâts ainsi que les données d’indices de présence biologiques transmises dans le cadre du suivi de l’espèce par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).

Le premier cercle correspond aux zones de présence avérée du loup ou de présence permanente de l’ours pour chacune de ces deux années. Tandis que le cercle 2 correspond aux zones à forte probabilité de colonisation du loup ou de l’ours à court terme. Pour l’ours, il s’agit des communes limitrophes à celles du cercle 1. Les mesures de protection susceptibles d’être subventionnées ne sont pas similaires selon que le troupeau pâture en cercle 1 ou 2. Ainsi, dans le cercle 1, l’intégralité des mesures de protection peuvent être souscrites. Il faut d’ailleurs contracter au moins deux options parmi les suivantes : gardiennage/surveillance renforcée des troupeaux, chiens de protections, ou investissements matériels. En revanche, lorsque le troupeau pâture dans le cercle 2, toutes les options proposées n’ouvrent pas droit à subvention. Ainsi, en cercle 2 ne peuvent être financées le gardiennage renforcé et l’analyse de vulnérabilité.

Le montant des subventions

Les subventions ne couvrent pas la totalité du montant des dépenses engagées par les éleveurs. À titre d’exemple, pour un troupeau de moins de 100 animaux le plafond de dépense annuel pour le gardiennage en cercle 1 est de 10 000 euros.

  • À ce jour, le financement s’élève à 80 % pour les dépenses d’investissement matériel (gardiennage/surveillance renforcé, achat et entretien des chiens de protection).
  • En revanche, le taux d’aide est de 100 % pour les dépenses liées à la réalisation d’analyses de vulnérabilité, de tests de comportements des chiens de protection et d’accompagnement technique.
  • Le taux d’aide est également de 100 % lorsque les dépenses liées au gardiennage/surveillance contre le loup concernent des troupeaux pâturant dans les zones de cœurs de parcs naturels situés en cercle 1.

Procédure et versement de la subvention

La demande de subvention relève quelque peu du parcours d’embûches… Chaque autorité de gestion régionale définit librement les modalités de dépôt des demandes de subvention en conformité avec la législation européenne et nationale. Il existe certains principes communs à ces demandes de subventions. L’éleveur devra choisir la combinaison d’options lui semblant la plus appropriée par rapport aux caractéristiques du mode de conduite de son troupeau. Il devra déposer une seule demande par an, dans le département du lieu de réalisation des opérations de protection et ce même si les zones de pâturage de ses troupeaux s’étendent sur plusieurs départements. Cette demande devra être formulée entre le 1er janvier et une date limite fixée par chaque région. Étant précisé que le dossier ne pourra être déposé avant la publication de l’arrêté préfectoral délimitant les zones concernées pour l’année.

Une fois sa demande déposée, l’éleveur devra attendre l’instruction de son dossier avant de mettre en place les options de protections demandées. Il devra donc se montrer patient car le délai d’instruction peut se révéler particulièrement long. En effet, l’autorité de gestion dispose d’un délai de 6 mois à compter de la date de réception du dossier complet pour instruire la demande et vérifier son éligibilité ainsi que celle des dépenses prévisionnelles.

Par la suite la décision de l’autorité de gestion sera communiquée à l’éleveur. Sera précisé l’échéancier de mise en place des options de protection ainsi que les modalités de versement de l’aide. Ce n’est qu’une fois les mesures mises en place que les éleveurs pourront demander aux services instructeurs le remboursement des frais avancés sous réserve d’en justifier la preuve. L’attribution des aides est strictement contrôlée puisque le paiement ne peut avoir lieu que sur présentation des preuves de dépenses acquittées (ex : factures d’acquisition du matériel).

Engagements des bénéficiaires

L’éleveur devra respecter les engagements définis dans le cahier des charges des services instructeurs et mettre en place les options de protection pour lesquelles il a opté. Le non-respect d’une option ou d’un engagement entraîne la suppression de l’aide pour cette option. Des visites sur place effectuées par le service instructeur permettent de s’assurer que les éleveurs mettent bien en place les options souscrites.

III. Un dispositif encore insuffisamment mis en œuvre

Les freins à la mise en place des mesures de protection par les éleveurs

Bien que soient fournies des statistiques relatives au nombre de demandes de subvention des mesures de protections déposées chaque année par les éleveurs ainsi que des options souscrites nous ne disposons pas de données chiffrées quant au nombre d’éleveurs qui pourraient bénéficier de ces aides, et qui n’en font pas la demande. Il est donc difficile d’établir un bilan chiffré de l’application du dispositif et notamment de savoir si la majorité des éleveurs y recourent.

Des réticences de principe

S’agissant de l’ours, les experts de la Mission soulignent le fait que les mesures de lutte contre la prédation sont très inégalement mises en œuvre par les éleveurs et parfois de manière partielle. Cela s’explique tout d’abord par la réticence dont font preuve certains éleveurs à souscrire les moyens de protection des troupeaux qui leur sont offerts en raison d’oppositions de principe résultant du refus d’accepter la présence de l’ours. En effet, pour certains, « accepter les mesures de protection, c’est accepter l’ours ». Cette opposition de principe ne semble pas avoir été relevée chez les éleveurs confrontés à la prédation du loup. Cela peut potentiellement s’expliquer par le fait que contrairement au loup dont la présence est naturelle, l’ours a été volontairement réintroduit en France par les pouvoirs publics.

Des limites techniques et opérationnelles

Les freins à l’adoption par les éleveurs des moyens de protection subventionnés par le FEADER résultent également des importantes contraintes et difficultés rencontrées par ces derniers lors de la mise en place de ces mesures. Plusieurs limites techniques et opérationnelles dissuadent les éleveurs de souscrire à ces options de protection.

  • À titre d’exemple, la mise en place des installations de protection (clôtures électriques, etc.), peuvent parfois impliquer la nécessité pour les éleveurs d’obtenir l’accord voire le concours du propriétaire pour mettre en œuvre celles-ci ; cela peut être de nature à les décourager à formuler toute demande de subvention.
  • Par ailleurs, la mise en place des moyens de protection génère de nouvelles obligations et difficultés pour les bénéficiaires. Ainsi, employer un berger représente des contraintes importantes pour l’éleveur, en terme administratif (fiche de paie, contrat de travail) qui peuvent être de nature à le dissuader d’opter pour ce moyen de protection.
  • De même, certains éleveurs hésitent à souscrire l’option « chien de protection », alors même que celle-ci permet de protéger efficacement le troupeau, en raison des responsabilités et risques de conflits qu’implique l’utilisation de ce mode de protection. En effet, du fait de la nécessité de dresser et d’éduquer le chien, de le gérer pendant la période hivernale en bergerie et en raison des nouvelles responsabilités qu’il créé à l’égard des tiers (en particulier les randonneurs), les éleveurs considèrent que le chien constitue une importante source de contraintes.
  • Certains éleveurs sont réfractaires à l’idée de mettre en place certaines mesures en raison des incidences sur leurs troupeaux. À titre d’exemple, les parcs de regroupement impliquent un confinement des bêtes, un surpâturage ayant des conséquences sanitaires sur les bêtes et notamment une augmentation du nombre d’avortements de brebis.
  • Enfin, les éleveurs peuvent se trouver découragés par la difficulté de savoir comment mettre correctement en place les mesures de protection des troupeaux.

Des freins financiers et administratifs

Un autre point de blocage résulterait du taux d’aide actuel qui, pour la plupart des mesures de protection, est limité à 80 % du montant des dépenses d’investissement matériel (gardiennage/surveillance renforcée, achat et entretien des chiens de protection). 20 % des dépenses restant à la charge des éleveurs, cela représente des montants assez importants pour ces derniers, de nature à les dissuader de demander à bénéficier de ces aides notamment en ce qui concerne le recrutement de bergers.

La décision de la Commission européenne du 9 novembre 2018 autorise désormais les États membres à rembourser intégralement les investissements consentis par les agriculteurs pour la construction de clôtures électriques ou l’achat de chiens de gardes. L’objectif est d’accroître le soutien aux agriculteurs situés dans les zones où les grands prédateurs sont présents.

Il convient également de souligner que les éleveurs peuvent être découragés de demander le bénéfice du dispositif de protection en raison de la lenteur du traitement administratif de leur demande leur imposant de retarder la mise en place des mesures de protection de leur troupeau à la notification de la décision de l’autorité de gestion.

À noter que le fait de devoir avancer les frais nécessaires à la mise en œuvre des options avant de pouvoir prétendre obtenir le remboursement partiel sur présentation des justificatifs de factures constitue également un frein. Ce dernier point de blocage semblait avoir été pris en compte dans la proposition de « Feuille de route post 500 loups révisant le Plan national d’actions 2018/2023 sur le loup ». Était ainsi prévu d’accorder en cercle 1 et dans le nouveau cercle 0 (2) un forfait dont les modalités restaient à définir ou a minima une avance conséquente sur le montant dépensé pour la protection l’année précédente.

VERS UNE MEILLEURE EFFICACITÉ DU DISPOSITIF AVEC UNE FUTURE CONDITIONNALITÉ DES COMPENSATIONS À LA MISE EN PLACE DES MESURES DE PROTECTION

Jusqu’à présent, l’absence de mise en place de mesures de protection en cas de prédation ursine et lupine ne fait pas obstacle au versement à l’éleveur de l’indemnisation prévue en cas de dommages causés à leurs troupeaux du fait de la prédation. Cette absence de conditionnalité n’incitait donc pas réellement les éleveurs à demander le bénéfice des aides FEADER, ce qui a eu pour conséquence de nuire à l’efficacité globale du dispositif. En effet, comme cela été mis en évidence pour le loup, il apparaît que la prédation sur les troupeaux protégés est plus faible que sur ceux qui ne le sont pas.

Le lien de causalité entre modalités d’indemnisation des dommages causés par la prédation et efficacité du dispositif de protection est d’ailleurs mis en évidence par la synthèse de l’Étude internationale sur les dégâts d’ours en Europe qui conclut qu’un système de compensation strict serait de nature à favoriser la mise en place des mesures de protection. Aux termes de cette étude, il apparaît que les dégâts causés par les ours sont bien moindres en Suède qu’en Norvège et ce alors même que le nombre d’ours est bien inférieur dans ce pays. Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que les systèmes d’indemnisation des dommages causés aux troupeaux sont bien plus stricts en Suède qu’en Norvège où ils s’avèrent laxistes et sans vérification.

Toutefois, cette situation n’a pas vocation à perdurer et va évoluer. En effet, malgré l’opposition des éleveurs, afin de se mettre en conformité avec la réglementation européenne, le gouvernement a prévu de mettre en place un dispositif de conditionnalité de l’indemnisation des dommages causés par les grands prédateurs à la mise en place des moyens de protection subventionnés.

Ce régime de conditionnalité des aides sera toutefois bien encadré. Ainsi, dans son communiqué de presse du 23 juillet 2019, le ministère de la Transition écologique et solidaire précise que ce dispositif ne sera applicable qu’aux territoires où la prédation du loup et de l’ours a été constatée depuis au moins 2 ans. Dans ces zones, pour prétendre à être indemnisés au-delà de la troisième attaque, les éleveurs devront donc avoir installer les moyens de protection requis sauf si le troupeau a été reconnu comme non protégeable. Reste à déterminer quels critères seront appliqués pour l’identification des troupeaux dits non protégeables et de quelle manière il sera procédé au contrôle de la mise en place préalable des mesures de protection des troupeaux par les éleveurs.

Ce nouveau dispositif de conditionnalité devrait avoir le mérite d’inciter davantage les éleveurs à mettre en œuvre les mesures de protection qui leur sont offertes afin d’obtenir l’indemnisation des préjudices leur étant causés. D’autant plus que l’application d’un barème unique d’indemnisation des dégâts – et ce, quel que soit le prédateur – prenant en compte les taux les plus élevés des anciens dispositifs d’indemnisation devrait conduire à une meilleure indemnisation des dommages. Jusqu’à présent les dommages causés aux troupeaux étaient indemnisés de manière distincte selon l’espèce prédatrice.

A noter toutefois qu’en ce qui concerne l’ours, afin de prendre en compte la grande diversité des pratiques pastorales et du niveau d’équipement des estives dans les Pyrénées, le régime de la conditionnalité des aides ne sera mis en place qu’à l’issue d’une période transitoire de deux ans.
Durant cette période, les indemnisations pourront toujours être versées en cas de dommages causés par l’ours et ce, même si l’éleveur n’a pas mis en place les mesures de protection requises.

Par ailleurs, il convient de relever que désormais toutes les pertes directes et pertes directes consécutives à l’attaque seront indemnisées quel que soit l’espèce prédatrice.

IV. Un dispositif de protection globalement efficace

L’appréciation de l’efficacité des mesures de protection

L’efficacité des mesures de protection du troupeau est appréciée sous deux angles. Ainsi, un moyen de protection est considéré comme efficace lorsqu’il permet, d’une part, de réduire le nombre d’attaques et, d’autre part, de diminuer le nombre de bêtes tuées au sein des troupeaux par rapport à ceux qui ne sont pas protégés.

S’agissant de la prédation exercée par le loup sur les troupeaux ovins, les experts en la matière tendent à affirmer que les mesures de protection proposées sont plutôt efficaces et permettent de limiter le nombre d’attaques et de victimes… Le plan d’actions Ours Brun 2018-2028 conclut quant à lui que les mesures de protection contre la prédation ursine sont efficaces dans la grande majorité des situations.

Néanmoins, la Mission chargée d’évaluer l’efficacité des moyens de protection se montre plus réservée sur le sujet. Certes, elle considère que le triptyque de protection des troupeaux contre la prédation de l’ours « Gardiennage des bergers/ Regroupement nocturne/ Chiens de protection » est pertinent et cohérent. Toutefois, elle déplore que ces mesures ne soient que partiellement mises en œuvre et souligne que les points de vue divergent entre les acteurs quant à l’efficacité du dispositif.

Il convient de garder une certaine réserve quant à ces propos dans la mesure où la question de l’efficacité des mesures de protection contre la prédation ursine n’a pas fait l’objet d’études systématiques à ce jour contrairement au loup. Par ailleurs, il convient de souligner que comme l’indique le rapport de l’IPRA, il est difficile de définir avec certitude si un moyen est efficace ou non dans la mesure où il est impossible de documenter la plupart des situations de prédation et ce faute de données précises sur la réalité des moyens de protection déployés durant les épisodes d’attaques, les données sur le loup présent dans la zone concernée et le succès des moyens de protection lorsqu’ils ont permis d’éviter l’attaque.

Il en découle la nécessité d’approfondir de manière plus poussée les recherches relatives à l’efficacité des mesures de protection. Espérons que l’Observatoire de l’efficacité de la protection des troupeaux dont est prévue la mise en place dans le cadre du plan loup permettra de gagner en visibilité sur ce point et contribuera à rendre plus efficace les mesures d’accompagnement aux éleveurs.

Une efficacité conditionnée à la combinaison de plusieurs mesures de protection

Que ce soit pour le loup ou pour l’ours, il est démontré qu’afin d’assurer une réelle efficacité du dispositif et de limiter le nombre d’attaques, au moins trois options de protection doivent être combinées. D’ailleurs, la Mission souligne dans son rapport que le regroupement nocturne des troupeaux n’est efficace que si celui-ci est mis en place dans de bonnes conditions et également combiné avec les deux options de protection suivantes : présence de bergers et chiens de protection. Ainsi, le déploiement des mesures de protection en combinaison conditionne leur efficacité.

S’agissant du loup, il  a été  mis en évidence le fait que la présence du berger limite les attaques dans les estives. Toutefois son efficacité étant conditionnée à un temps de présence important avec le troupeau, ce dispositif ne saurait se suffire à lui seul. Le chien est également considéré comme efficace, à condition d’être associé à d’autres mesures d’accompagnement (gardiennage et regroupement nocturne). Le chien ne constitue pas un outil de protection efficace en permanence. En effet, ce dernier se fatiguant du fait de la pression de la prédation permanente exercée par le loup, sa vigilance diminue, rendant par là-même le troupeau plus vulnérable. D’autres dispositifs de protection des troupeaux doivent donc venir en complément.

Une fluctuation de l’efficacité des mesures de protection

L’efficacité des mesures de protection varie en fonction d’un grand nombre de facteurs allant de la taille du troupeau à la topographie du terrain en passant par les conditions climatiques. Les premiers facteurs contribuant à la variation de l’efficience du dispositif de protection sont relatifs à la taille du troupeau et au nombre d’années de mise en place de la protection.

L’efficience des mesures d’accompagnement fluctue également en fonction du contexte paysager et de la pression de la prédation. Les moyens de protection sont donc plus ou moins efficaces en fonction de la zone concernée. Le rapport Terroiko met ainsi en évidence le fait que la mesure relative aux parcs de regroupements pour lutter contre les loups est bien moins efficace en zones intermédiaires qu’en zones d’alpage. Cela s’explique par le fait que les éleveurs montagnards transhument sur des estives en milieu ouvert qui sont plus faciles d’accès que celles des éleveurs sédentaires préalpins ou méditerranéens.

V. Les axes d’amélioration

Les dispositifs permettant aux éleveurs français de bénéficier d’aides à la mise en place de mesures de protection de leurs troupeaux contre le risque de prédation résultent essentiellement de la stratégie mise en place par l’Union européenne (UE).Qu’il s’agisse de la prédation exercée par le loup ou celle de l’ours, le constat est unanime : pour gagner en efficacité et permettre d‘assurer une meilleure cohabitation entre grands prédateurs et activité pastorale, les mesures d’accompagnement des éleveurs nécessitent d’être améliorées. Outre l’adaptation des mesures de protection aux spécificités des différents territoires de France et notamment à la topographie des terrains via la réalisation de diagnostics préalables, il convient donc de faire évoluer le dispositif de protection offert aux éleveurs.

Plusieurs axes majeurs d’amélioration du dispositif se dégagent des rapports parmi lesquels on peut citer les suivants :

Accroître la présence humaine auprès des troupeaux

Pour renforcer l’efficience du dispositif de protection existant, il est primordial d’accroître la présence humaine aux côtés des troupeaux. Celle-ci permet de réduire les dommages causés par la prédation exercée par le loup et l’ours et n’a cessé de démontrer son efficacité depuis les débuts de la pratique du pastoralisme. Ce point était déjà mis en exergue en 1996 dans le rapport « Loup et Pastoralisme » du Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée (CERPAM) qui précisait que la prédation est plus faible dans un pays d’élevage traditionnel comme la Roumanie où la forte présence humaine permet d’appliquer des mesures de protection très contraignantes. En revanche, la prédation est plus importante dans les pays où le loup autrefois disparu refait son apparition alors qu’ont été entretemps mis en place des élevages extensifs où la présence humaine est limitée.

Il convient donc de mettre en place un dispositif permettant le recrutement de bergers qualifiés. En effet, aussi bien s’agissant de la prédation lupine qu’ursine, il est constaté un manque de main d’œuvre pour protéger les troupeaux de manière régulière et surtout de bergers formés. Pour remédier à ce problème, il est préconisé d’améliorer les conditions de vie et notamment de confort des bergers de manière à rendre leur métier davantage attractif, et ainsi pouvoir en recruter plus. Cela implique le fait de construire des cabanes d’hébergement des bergers mieux équipées, ou encore d’améliorer la couverture téléphonique afin de lutter contre le sentiment d’isolement auquel ces derniers peuvent être confrontés.

De plus, aussi bien le Plan loup que le Rapport de la Mission sur l’Ours s’accordent sur le fait qu’il n’existe pas assez de bergers préparés au risque de la prédation. Ainsi, la Mission déplore l’absence de modules préparant les bergers aux spécificités des zones à prédateur. Pour combler cette lacune, les experts proposent notamment de mettre en place des actions visant à améliorer la formation des bergers concernant les risques de prédation ainsi que l’établissement d’un cahier des charges du métier de berger intégrant ces problématiques.

II convient également de préciser que la proposition de la Feuille de route post 500 loups révisant le Plan national d’actions 2018/2023 sur le loup a pris en compte l’importance de renforcer la présence humaine. Ainsi, il est prévu la création d’un cercle 0 correspondant aux importants foyers de prédation (4) au sein duquel devraient être donnés aux éleveurs les moyens humains et matériels permettant de garantir une présence humaine renforcée auprès du troupeau. Le gouvernement a ainsi précisé que les embauches de bergers pour les troupeaux pâturant au moins 3 mois dans ces zones ne seront pas soumis à des plafonds d’aide annuels.

Le gouvernement a ainsi précisé que les embauches de bergers pour les troupeaux pâturant au moins 3 mois dans ces zones ne seront pas soumis à des plafonds d’aide annuels.

Mieux connaître le loup en zone pastorale

Les différentes études relatives à l’amélioration du dispositif de protection des troupeaux contre la prédation mettent en avant la nécessité d’améliorer les connaissances sur l’éthologie du loup dans le contexte pastoral de prédation. En effet, il faut approfondir nos connaissances sur l’éthologie du loup dans le système pastoral afin de comprendre et lutter contre ses comportements déprédateurs (5) et déterminer quels sont les moyens de protection les plus adaptés. Cette appréhension passe par l’identification du mode de dispersion des loups et l’analyse de leur régime alimentaire afin de déterminer la proportion de faune domestique et sauvage consommée. Rappelons que les dernières données existant relatives au régime alimentaire du loup des meutes françaises remonteraient à plus de 10 ans.

En bref, il nous faut mieux connaître le loup et comme l’indique Jean-Marc Landry, biologiste et éthologue, il ne s’agit pas de n’importe quel loup, mais du « loup en zone pastorale ».

Expérimenter des moyens de protection innovants

L’amélioration de l’efficacité du dispositif de protection des troupeaux passera également par l’expérimentation de nouvelles mesures d’accompagnement des éleveurs. À titre d’exemple, il est proposé de repousser les loups en marquant les alpages avec les crottes de loup de meutes très éloignées afin de simuler leur présence. Est également préconisée d’électrifier les clôtures grillagées existantes.

S’agissant de l’ours, la mission propose la mise en place de moyens innovants parmi lesquels on peut notamment citer les travaux d’enrichissement de la forêt en ressources alimentaires (arbres à fruits, myrtilliers). Une expérimentation visant à enrichir en ressources végétales les zones forestières afin de fixer l’ours dans ces territoires devrait d’ailleurs être menée dans le cadre de la mise en œuvre de la Feuille de route « pastoralisme et ours ». Il a également été proposé de pratiquer le nourrissage artificiel des ours (agrainage au maïs voir avec des carcasses) comme le font certains pays européens (Slovénie, Finlande) depuis des décennies. L’idée étant de fournir suffisamment de nourriture aux ours dans les espaces forestiers de manière à ce que ces derniers ne viennent pas attaquer les bêtes dans les zones de pâturage tout en les déshabituant à consommer des brebis vivantes.

Toutefois, cette idée ne sera pas expérimentée dans le cadre de la Feuille de route « pastoralisme et ours » car les ministères concernés considèrent que cette pratique impliquerait un risque d’accoutumance des ours à la présence humaine et une augmentation de la dangerosité de l’animal. Seule une analyse des expériences scientifiques menées sur ce sujet à l’étranger sera réalisée.

Enfin, il convient de garder à l’esprit que tous les moyens innovants ne sont pas forcément efficaces et nécessitent donc d’être testés au préalable. Il a ainsi été démontré que la mesure consistant à équiper les loups d’un collier anti-ovin afin qu’ils reçoivent une décharge électrique lorsqu’ils s’approchent du troupeau, ne permettait en aucun cas de réduire la pression de la prédation.

Renforcer l’accompagnement technique des éleveurs pour une bonne mise en place des mesures de protection

Afin de mieux protéger les troupeaux contre la prédation, il est primordial d’organiser et de subventionner un dispositif d’accompagnement technique des éleveurs lors du déploiement de mesures de protection. Celui-ci est aujourd’hui insuffisant. En effet, on ne saurait rappeler que le problème de l’efficacité des mesures de protection reste celui de leur correcte mise en place. Une mauvaise mise en œuvre de ces moyens, comme par exemple un entretien insuffisant des clôtures, nuit à l’efficience du dispositif. Seul un accompagnement technique de qualité des éleveurs permettrait de remédier à cet écueil.

En Slovénie, il a ainsi été démontré que le fait de subventionner les dispositifs de protection des troupeaux ne suffit pas à réduire les dommages causés par l’ours et le loup. La prédation continuant d’augmenter malgré la mise en place des moyens de protection par les éleveurs, les agents du Slovenia Forest Service ont procédé à des analyses de terrain et ont mis en évidence le fait que les mesures n’étaient pas efficaces car celles-ci avaient été mal utilisées. Une observation attentive leur a également permis de déterminer quelle était la meilleure façon de poser les clôtures, la longueur minimale et maximale de l’installation nécessaire à son efficacité, sa hauteur, la puissance du courant nécessaire pour effaroucher les ours et les loups.

Cette nécessité semble avoir été prise en compte par le plan loup qui prévoit d’une part la mise en place d’un accompagnement des éleveurs par une équipe technique lors de l’utilisation des mesures de protection, et d’autre part un dispositif mobile d’intervention composé de bergers expérimentés visant à apporter un soutien aux éleveurs dans les foyers d’attaques importants (mise en  place de parcs, regroupements nocturnes) en situation de routine ou d’urgence (situations de prédation répétées ou difficiles).

Par ailleurs, le déploiement de l’option de protection « chiens » sera sans doute amélioré s’agissant de la lutte contre la prédation lupine. En effet, les éleveurs sont censés depuis septembre 2018 pouvoir bénéficier d’un accompagnement via le réseau technique d’experts « chiens de protection ». Celui-ci a vocation à conseiller et épauler les éleveurs dans le cadre de l’acquisition du chien de protection et tout au long de son éducation et intégration au troupeau.

Conclusion générale

Ainsi, bien que la mise en place des mesures de protection des troupeaux permette globalement d’assurer une bonne conciliation entre les objectifs de préservation de l’activité pastorale en France et ceux de protection des grands prédateurs, il serait possible de parvenir à une meilleure cohabitation.

Comme nous l’avons exposé précédemment, celle-ci passera inévitablement par la suppression des différents freins financiers et techniques qui dissuadent aujourd’hui les éleveurs de mettre en place les outils de protection.

La conditionnalité des indemnisations à la mise en place des mesures de protection permettra notamment d’aller dans cette voie. Toutefois, il sera indispensable de renforcer l’accompagnement technique des éleveurs confrontés à la prédation afin de leur permettre de composer sereinement avec cette nouvelle contrainte. En ce sens, la feuille de route « pastoralisme et ours » adoptée par le Gouvernement le 06 juin 2019 est censée permettre aux éleveurs de s’adapter davantage à la présence des grands prédateurs. En effet, cette feuille de route reprend un certain nombre des suggestions du rapport rendu par les inspecteurs du CGEDD parmi lesquelles ont peut mentionner le renforcement de l’accompagnement financier des éleveurs et ce notamment via un accompagnement financier du développement du pastoralisme (cabanes, abris pastoraux etc). Est également prévue la mise en place d’une proposition de formation des éleveurs et bergers visant à leur permettre d’identifier la présence de l’ours.

A noter que la nécessité d’améliorer le dispositif de protection des troupeaux face à la future prédation du loup dans le cadre d’une vision à plus long terme devrait enfin être prise en compte. Ainsi, afin d’anticiper l’arrivée future du loup sur certains territoires, le Gouvernement a annoncé, le 28 mai 2019, que dans les fronts de colonisation où le loup est susceptible de s’établir dans les années à venir, les éleveurs pourront, s’ils le souhaitent, bénéficier de l’aide existant pour les éleveurs des cercles 1 et 2 concernant l’acquisition, l’entretien et la bonne utilisation des chiens de protection, des prestations de conseil individuel ou des formations collectives. Cette mesure devrait concerner les communes des départements comprenant déjà des communes en cercle 1 et 2 et les départements limitrophes.

La multiplication d’études scientifiques sur les comportements des grands prédateurs en milieu pastoral devrait également permettre d’améliorer le dispositif existant.

Enfin, si aujourd’hui la cohabitation n’est pas parfaite, il convient toutefois de souligner que malgré tous les maux qu’on leur attribue, les grands prédateurs participent paradoxalement au soutien de l’emploi pastoral dans le milieu rural.Ainsi, le loup aurait notamment permis d’assurer un rebond durable de l’emploi pastoral avec la subvention d’un grand nombre d’emplois de bergers. Or, un tel soutien au pastoralisme n’aurait sans doute pas été accordé en l’absence de retour des grands prédateurs…

Éléonore Picot, juriste

1. Aucun arrêté ne prévoit de cercles relatifs à la présence du lynx.

2. Le cercle 0 serait un nouveau cercle correspondant aux zones de forte prédation.

3. Réponse ministérielle.

4. La feuille de route post 500 loups révisant le Plan national d’actions 2018/2023 sur le loup  prévoit la création d’un cercle 0 correspondant aux foyers de prédation. La délimitation pourrait être fondée sur les données suivantes : 50 éleveurs ont concentré 30 % des attaques sur la période 2013-2016 et 195 éleveurs ont représenté 50% des dommages sur la période 2015-2017.

5. Il s’agit des comportements de prédation des animaux. Ce terme est trompeur mais souvent utilisé dans les ouvrages relatifs à la prédation des troupeaux par les grands prédateurs.

Article publié dans le numéro 102 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences

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