Suite aux demandes de l’Association Nationale des Chasseurs de Gibier d’Eau (ANCGE), afin, selon ces derniers, d’apaiser leur «colère légitime» résultant des arrêtés interdisant la chasse aux oies à compter du 31 janvier 2015 (1), Mme Royal, ministre de l’écologie, a écrit la lettre circulaire suivante aux préfets et au directeur de l’ONCFS:
«La date de fermeture de la chasse des oies est fixée au 31 janvier par l’arrêté du 19 janvier 2009.
Du samedi 31 janvier au dimanche 8 février, le Directeur général de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage donne des instructions aux services départementaux pour organiser une action d’information visant à en prévenir les chasseurs.
La verbalisation prendra effet à compter du lundi 9 février.» (2)
Bien que ces instructions ministérielles n’aient pas de valeur réglementaire, il ne faut pas en sous-estimer l’impact: il s’agit d’une instruction de service adressée par un supérieur hiérarchique à des agents subordonnés qui sont en conséquence tenus d’en respecter le contenu.
Ainsi, les chasseurs ont pu, pendant 8 jours, transgresser l’arrêté du 19 janvier 2009 avec l’assentiment des pouvoirs publics. Cet arrêté participe pourtant à l’application des dispositions de la directive européenne dite « Oiseaux » qui visent à interdire les pratiques constituant une menace pour la préservation des oiseaux, telles que leur chasse en période de reproduction (3).
Il est en outre intéressant de noter que l’autorisation implicite d’une chasse illégale en France intervient au moment même où Mme la ministre se positionne fermement contre le braconnage qui décime les populations d’éléphants en Afrique (4). Mme Royal est peut être «consciente de l’enjeu que représente la préservation de l’éléphant», mais semble oublier l’importance de la préservation des espèces protégées en Europe (5)…
Au-delà d’une partialité inquiétante bien qu’assez habituelle des ministres successifs de l’écologie en faveur du lobby chasseurs, le tout au détriment de l’environnement dont il serait pourtant logique que la protection soit au centre de ses préoccupations, la méconnaissance par Mme la ministre du droit européen de l’environnement et des sanctions financières européennes dérange quelque peu…
• Les sanctions financières prononcées par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), ne sont pas à prendre à la légère (6). Ni par les États, ni par les lobbies.
• Lorsqu’un État ne se conforme pas aux prescriptions d’une décision de la CJUE établissant une méconnaissance des textes européens (procédure dite « de manquement »), la Commission européenne peut saisir la CJUE afin que celle-ci sanctionne financièrement l’État par le biais d’une astreinte ou d’une amende forfaitaire (procédure dite de « manquement sur manquement »).
• L’astreinte vise le futur: d’un montant de base de 660 euros, celle-ci est payée à intervalles réguliers par l’État fautif jusqu’à la cessation de la violation.
• L’amende forfaitaire, vise quant à elle une situation passée. Le montant journalier de base (220 euros) est multiplié par «le nombre de jours de persistance de l’infraction intervenus entre le jour du prononcé du premier arrêt et le jour de la régularisation de l’infraction». Elle permet ainsi une prise en compte du délai écoulé entre la décision de manquement et la mise en conformité.
• Si la France est condamnée par l’Union européenne, le contribuable français sera amené à payer une facture qui pourrait s’annoncer salée. Ainsi, une majorité de non chasseurs, dont un pourcentage est fermement opposé à la chasse, paiera de sa poche afin qu’une minorité puisse pratiquer son activité de loisir !
Au regard de ces principes de base du droit européen relatifs aux sanctions financières, Mme la Ministre de l’écologie et l’Association Nationale des Chasseurs de Gibier d’Eau devraient réfléchir à deux fois avant de décider (pour l’une) puis d’annoncer (pour l’autre) haut et fort que les textes européens ne seront pas respectés.
(1) Communiqué de presse de l’Association Nationale des Chasseurs de Gibier d’eau du 31 janvier 2015 (http://www.ancge.fr/)
(2) Lettre de Mme le ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie du 29 janvier 2015 relatif à la chasse aux oies
(3) L’arrêté du 19 janvier 2009 relatif aux dates de fermeture de la chasse aux oiseaux de passage et au gibier d’eau est pris en application de la « directive 79/409/CEE du Conseil du 2 avril 1979 modifiée concernant la conservation des oiseaux sauvages, notamment l’article 7, paragraphe 4 »
(4) Dossier de presse du 27 janvier 2015 sur la préservation des éléphants et la lutte contre le braconnage
(5) Id.
(6) Article 260 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE)
Katherine Mercier
Juriste, Membre Comité scientifique LFDA