Compte-rendu: un colloque pour préserver et protéger les animaux sauvages en liberté

La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) a organisé le colloque intitulé « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté » le mardi 16 novembre 2021. Des intervenants de haut vol se sont succédé dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne pour rappeler l’importance de préserver les espèces animales, composantes essentielles de la biodiversité, et appeler à protéger les animaux sauvages vivant en liberté contre la maltraitance et la cruauté.

Le colloque a été l’occasion pour la LFDA de révéler un chiffre édifiant : 85 % des Français interrogés sont favorables à étendre l’interdiction des actes de cruauté aux animaux sauvages en liberté. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Cette demande formulée par la LFDA est donc soutenue par une très large majorité de Français.

Les espèces animales, composantes essentielles de la biodiversité

Louis Schweitzer, président de la LFDA, a démarré la journée en dévoilant ce sondage de l’Ifop commandé par la fondation. Il a présenté la LFDA et la thématique du jour avant de laisser la place au pupitre à Gilles Boeuf. En tant que Grand témoin, le biologiste et professeur d’université, ancien président du Muséum national d’Histoire naturelle et membre du comité d’honneur de la fondation, a expliqué ce que sont le Vivant et la symbiose entre tous les organismes vivants, animaux, végétaux et à commencer par les acariens qui partagent notre lit ! Pour lui, les scientifiques sont formels au sujet de l’effondrement de la biodiversité, directement ou indirectement causé par les activités humaines. Il a appelé à « stopper une économie stupide et suicidaire qui consiste à faire du profit en détruisant et surexploitant la nature. »

La première table ronde était modérée par Laurence Parisot, vice-présidente de la LFDA. Hélène Soubelet, docteure vétérinaire et directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité, a déclaré qu’« il faut qu’on considère le vivant comme ayant autant le droit que nous à vivre sur cette planète. » Elle a abordé notamment la question de l’agriculture, qui a un impact certain sur la biodiversité. Pour elle, il y a un manque de volonté des pouvoirs publics d’engager une vraie transition agricole. D’après son expérience au ministère de l’Écologie, elle estime que les connaissances scientifiques se heurtent souvent au processus de concertation et aux intérêts particuliers lors de l’élaboration des politiques publiques.

De gauche à droite: Jean-Marc Landry, Laurence Parisot, Hélène Soubelet.
De gauche à droite: Jean-Marc Landry, Laurence Parisot, Hélène Soubelet. © Gabriel Legros

Jean-Marc Landry, éthologue spécialiste du loup en milieu pastoral, a évoqué cet animal qu’il connait bien et qu’il considère comme « une espèce ambassadrice pour la disparition des espèces ». Selon lui, si demain l’on parvient à faire cohabiter les humains et les loups ensemble, cela sera un formidable espoir pour la préservation de la biodiversité. Il a déclaré que la France est le pays où le conflit humain-loup est le plus fort alors que c’est aussi le pays où il y a le plus de subventions et d’aides pour les éleveurs. Laurence Parisot a synthétisé le message de la table ronde : « c’est donc un problème de transformation de modèles économiques dont il s’agit. »

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Agir pour préserver les espèces animales

La seconde table ronde, modérée par Louis Schweitzer, a accueilli quatre intervenants. Maud Lelièvre, présidente du comité français de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), a mentionné les récents événements importants pour l’avenir de la biodiversité : le congrès de l’UICN, qui s’est tenu à Marseille en septembre dernier, et la Cop-15 biodiversité, qui s’est tenue à Kunming (Chine) en octobre. Elle a bien sûr parlé de la Liste rouge de l’UICN qui répertorie les espèces menacées de disparition partout sur la planète. Observant que certaines espèces parviennent malgré tout à voir leur statut de conservation s’améliorer, l’UICN va lancer un nouvel indicateur : le statut vert des espèces permettra d’évaluer l’impact des politiques de préservation des espèces.

De gauche à droite: Sabrina Krief, Maud Lelièvre, Antoine Frérot, Humberto Delgado Rosa, Louis Schweitzer.
De gauche à droite: Sabrina Krief, Maud Lelièvre, Antoine Frérot, Humberto Delgado Rosa, Louis Schweitzer. © Gabriel Legros

Ensuite, la docteure vétérinaire et spécialiste des chimpanzés Sabrina Krief a déclaré que parmi les 500 espèces de primates, plus de la moitié sont menacées et les trois quarts ont des populations en déclin. Les causes principales sont la perte de leur habitat due à l’agriculture intensive et l’exploitation forestière. Pour elle, la solution pour faire face à ce déclin est la pédagogie auprès des populations locales pour un meilleur partage du milieu naturel, et auprès des consommateurs pour mieux consommer.

Puis, le PDG de Veolia Antoine Frérot a considéré deux axes de travail sur la biodiversité pour les entreprises comme la sienne : la lutte contre les pollutions et la recherche de solutions alternatives à la surexploitation des ressources naturelles (l’économie circulaire par exemple). Il a pris l’exemple de l’eau, dont son entreprise gère le cycle. La collecte et le traitement de l’eau usée permettent de lutter contre la pollution.

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Humberto Delgado Rosa, directeur pour le Capital Naturel à la Direction Générale Environnement de la Commission européenne a clos cette table ronde. Il a expliqué ce qu’est le Pacte vert de l’actuelle Commission européenne qui prévoit notamment une « stratégie biodiversité à l’horizon 2030 ». Il a affiché son ambition pour les prochaines discussions de la Cop-15 biodiversité en avril 2022 (la suite du sommet de Kunming) : « trouver des objectifs mesurables, vérifiables, quantifiables ». Selon lui, la préservation de la biodiversité est indispensable pour l’espèce humaine pour les services écosystémiques que la nature lui rend.

L’espoir porté par l’action des ONG

Allain Bougrain-Dubourg
Allain Bougrain-Dubourg. © Gabriel Legros

La matinée s’est terminée avec l’intervention du président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) Allain Bougrain-Dubourg en tant que Grand témoin. Allain Bougrain-Dubourg a applaudit l’affiche du colloque, qui met en avant un chardonneret, petit oiseau chanteur de nos campagnes. Il a précisé que le chardonneret a perdu 30 % de ses populations en 15 ans et qu’il est pourtant toujours braconné et piégé à la glu en France. A ce propos, le président de la LPO est revenu sur une victoire majeure de l’année 2021 : la décision de la Cour de justice de l’Union européenne puis du Conseil d’État de juger la chasse à la glu illégale pour des raisons de préservation des espèces mais également de dommages faits aux oiseaux en tant qu’individus. Son association a été moteur dans cette victoire en attaquant les arrêtés autorisant cette pratique de chasse cruelle. Allain Bougrain-Dubourg a terminé son allocution en citant Albert Einstein : « Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. »

Lors de la reprise après la pause déjeuner, Louis Schweitzer a annoncé que la ministre Barbara Pompili ne pourrait pas conclure le colloque car elle était retenue à l’Assemblée nationale pour le vote solennel de la proposition de loi sur la maltraitance animale qui a lieu le soir-même. Elle a tenu à enregistrer une intervention filmée dans laquelle elle apporte son « soutien aux actions de la fondation » et mentionne la proposition de loi sur la maltraitance animale, « qui n’existerait pas sans le travail de réflexion et de conviction des militants de la cause animale ». Pour la ministre, « notre lien avec les animaux sauvages en liberté […] est un enjeu […] au cœur de nos politiques publiques en faveur de la biodiversité ». Elle reconnait qu’« il existe une différence entre préserver les espèces et préserver l’animal en tant qu’individu » et que « notre droit et nos politiques publiques en faveur de la biodiversité ne traitent pas réellement de l’animal en tant qu’individu ». Selon elle, « sur des sujets aussi profond, le chemin n’apparait qu’au travers de la discussion, l’échange des points de vue même divergents, la confrontation de nos visions du monde et de notre avenir ». Enfin, elle note que « l’expérience prouve que les débats organisés par la LFDA permettent toujours de faire progresser les politiques publiques ».

Une interview vidéo de Nicolas Hulot par Louis Schweitzer spécialement pour l’occasion a ensuite été diffusée. Au sujet de la perte de biodiversité, l’ancien ministre de la Transition écologique et solidaire et président d’honneur de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme déclare que « ce qui se joue actuellement, c’est l’avenir du vivant ». D’après lui, « il va falloir changer en profondeur un modèle de prédation. […] c’est notre dignité qui se joue, c’est notre grandeur, et quelque part, c’est aussi notre avenir. » Nicolas Hulot partage la demande d’une meilleure protection des animaux sauvages en liberté en sanctionnant les actes de cruauté à leur égard. Pour lui, « l’éloignement physique, géographique et sensoriel ne doit pas justifier un écart d’attention et de responsabilité » à l’égard de certains animaux. Il martèle : « Il faut donner un statut au sauvage ».

Assurer la protection des animaux sauvages en tant qu’individus

Muriel Falaise.
Muriel Falaise. © Gabriel Legros

Muriel Falaise, maître de conférences en droit privé et administratrice de la LFDA, a introduit la thématique de l’après-midi sur la nécessité de protéger les animaux sauvages vivant en liberté. Elle a d’abord expliqué qu’en ce qui concerne les animaux sauvages en liberté, seules les atteintes aux espèces sauvages protégées sont condamnées. Un animal élevé pour la chasse pourra passer d’une catégorie juridique à une autre : il sera protégé des actes de cruauté parce qu’il est captif dans l’élevage, mais une fois lâché dans la nature, il ne bénéficiera plus de cette protection. Elle donne aussi l’exemple d’un blaireau qui s’est fait maltraiter par des jeunes en soirée après qu’ils l’aient renversé en voiture. La LFDA a porté plainte mais l’affaire a été classée sans suite. Pour elle, « le droit pénal français est défaillant : il n’y a pas de disposition protégeant l’animal sauvage libre en sa qualité d’être vivant sensible. » Au nom de la LFDA, Muriel Falaise demande de compléter l’article 521-1 du code pénal ainsi :

« Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, ou sauvage est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

La troisième table ronde était modérée par Laurence Parisot qui a d’abord donné la parole à Marie-Bénédicte Desvallon, avocate au Barreau de Paris et lauréate du Prix de Droit 2020 de la LFDA. Me Desvallon a souligné que les animaux sauvages sont définis par la négative dans le droit français : « animaux non domestiques ». Selon elle, « la reconnaissance du caractère sensible de l’animal est inhérente à son appropriation par l’homme. […] C’est dans le prisme de la sensibilité humaine et non pas animale que la sensibilité est appréhendée. »

Manon Delattre, juriste en droit de l’environnement à l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), s’est focalisée sur la pratique de la vénerie sous terre, qui consiste à acculer un blaireau dans son terrier pendant des heures en creusant pour parvenir à le sortir à l’aide de pinces métalliques et d’une meute de chiens. Elle a annoncé que le 27 juillet 2021, grâce à l’action en justice de plusieurs ONG dont la sienne, le tribunal administratif a suspendu en urgence un arrêté autorisant la vénerie sous terre des blaireaux. Pour elle, à l’heure actuelle, le seul moyen de faire condamner des actes de cruauté commis à l’encontre d’animaux sauvages en liberté est de considérer qu’ils étaient captifs au moment des faits, mais cela est rarement reconnu par les tribunaux.

Ensuite, Loïc Dombreval, député et président du groupe d’études « condition animale » à l’Assemblée nationale a soulevé une autre incohérence entre le droit et la science : la liste des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (les espèces dites « nuisibles »). Il a déclaré que les animaux de certaines espèces (corneilles, putois, martres…) sont tués sans fondement scientifique ni évaluation de l’impact de ces destructions. De même, aucune méthode non létale n’est mise en place pour contrôler les populations de ces espèces.

De gauche à droite: Muriel Falaise, Loïc Dombreval, Manon Delattre, Laurence Parisot, Loïc Obled, Marie-Bénédicte Desvallon.
De gauche à droite: Muriel Falaise, Loïc Dombreval, Manon Delattre, Laurence Parisot, Loïc Obled, Marie-Bénédicte Desvallon. © Gabriel Legros

Enfin, Loïc Obled, directeur général délégué Police, Connaissance, Expertise de l’Office français de la biodiversité (OFB), était le dernier intervenant de cette table ronde. Après avoir expliqué les missions de l’OFB, notamment en matière de police de l’environnement, il a mis l’accent sur la difficulté pour le juge de qualifier l’élément moral qu’est l’intention de faire souffrir qui caractérise un acte de cruauté. Il a également mentionné « l’éthique de la chasse » qui serait un code de déontologie appliqué par certains chasseurs pour refuser certaines pratiques de chasse pourtant légales. Loïc Obled a aussi évoqué la question des trafics, dont le chardonneret fait notamment l’objet. Le placement des animaux saisis est une question complexe traitée par l’OFB.

Paroles d’un militant

La dernière partie du colloque était une séance de questions-réponses avec le journaliste Hugo Clément, très engagé dans la défense de l’environnement et des animaux. La première question concernait le faible poids politique de la majorité silencieuse opposée à la chasse face au million de chasseurs auprès des pouvoirs publics. Pour Hugo Clément, le meilleur moyen de contrer le poids politiques du lobby de la chasse est de « soutenir les associations car les seules forces d’opposition au lobby de la chasse aujourd’hui, ce sont les associations ». Selon lui, « la force du mouvement de la cause animale, c’est son pacifisme ». Il retient également « qu’il y a de moins en moins de monde dans les pratiques contre lesquelles on se mobilise ».

Hugo Clément
Hugo Clément. © Gabriel Legros

Le journaliste a été interrogé sur la théorie du lien entre les violences sur les animaux et les violences sur les humains et sa pertinence comme argument pour punir les actes de cruauté à l’encontre des animaux sauvages. Hugo Clément a approuvé et expliqué que « dans beaucoup d’homicides en France aujourd’hui, les armes qui sont utilisées sont des armes de chasse ». Il estime qu’« il y a une vraie tolérance inacceptable sur les accidents de chasse » et que l’argument souvent avancé est celui sur la légalité, « mais ce n’est pas parce que c’est légal que c’est moral, que c’est éthique ». En tout cas, il « pense que la simple question de la biodiversité et de la souffrance animale devrait suffire » à interdire les pratiques cruelles sur la chasse.

Interrogé sur l’impact de sa prise de conscience à propos des sujets environnementaux et de la condition animale sur sa manière de faire du journalisme, Hugo Clément ne pense pas avoir changé sa façon de faire son métier. Il ajoute que « pendant longtemps, on ne parlait pas du tout de la cause animale dans les médias ». Pour lui, « l’information est une des clés de ce combat. Les gens ont besoin de savoir ce qu’il se passe pour réagir à la fois par leur manière de consommer mais aussi de s’engager ».

Ensuite, le journaliste s’est intéressé à notre rapport au Vivant : « la nature, c’est nous ». « Quand on dit ‘il faut sauver la planète’, en fait on parle de nous. […] C’est nous qu’il faut sauver à travers la lutte contre le changement climatique et pour la sauvegarde de la biodiversité ». Il a parlé de la domination de l’espèce humaine sur les autres espèces animales et végétales de la Terre. « On confond supériorité et domination : l’espèce humaine est l’espèce dominante dans ses rapports avec les autres animaux, mais n’est pas supérieure ».

Hugo Clément a ensuite été ensuite interrogé sur l’impact de la pandémie actuelle sur une potentielle prise de conscience liée à la biodiversité et à la préservation de la faune sauvage. Il a expliqué que l’épidémie de Covid-19 a montré « la fragilité de l’humanité ». « Ce que nous ont dit les scientifiques de l’Onu dans un rapport de l’Ipbes qui est sorti au milieu de la pandémie, c’est que le lien entre l’effondrement de la biodiversité et la multiplication des pandémies est très clair ; il a été étudié depuis très longtemps. Plus vous détruisez la biodiversité, plus vous détruisez les espaces naturels, les forêts, plus vous avez un risque d’émergence de virus dans la population humaine ». Pour lui, il faut avoir la même ambition face à la perte de biodiversité et au changement climatique que face à la Covid-19.

Un colloque réussi

Ce colloque a été un succès. La biodiversité est un sujet majeur pour l’avenir et la fondation continue à œuvrer pour enrayer son érosion. Quant aux animaux sauvages en tant qu’individus, forte de ce colloque et de la richesse des interventions, la LFDA va porter sa demande d’interdiction des actes de cruauté à leur égard auprès des pouvoirs publics, comme y sont favorables les Français. Près de 400 personnes ont assisté au colloque en présence et 1100 ont suivi la retransmission en direct sur nos réseaux sociaux et notre chaîne Youtube. Les médias s’en sont fait l’écho : AFP, Ouest-France, Sud-Ouest, les journaux du groupe Ebra, Le Figaro, la presse vétérinaire… La LFDA tient à remercier l’ensemble des intervenants, des personnes qui ont assisté au colloque, ainsi que ses partenaires Ouest-France, le Groupe Ebra et Sud-Ouest.

De gauche à droite: Hugo Clément, Louis Schweitzer, Laurence Parisot.
De gauche à droite: Hugo Clément, Louis Schweitzer, Laurence Parisot. © Gabriel Legros

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